Depuis le COVID rien ne va comme avant semblent nous montrer les plus récentes études. Qu’en est-il du côté des jeunes, de l’emploi, des études et de la formation ? Il y a un an, Laetitia Vitaud nous livrait son analyse du futur du travail, vers plus d’inclusion et d’indépendance. Quelles sont les tendances socio-économiques qui caractérisent la classe d’âge des 15-25 ans en ce début d’automne ?
Les jeunes et l’emploi en quelques chiffres
Les indicateurs de l’Insee indiquent une baisse du taux de chômage chez les jeunes de -2,8 points entre les deuxièmes trimestres 2020/2021. Ce qui correspond à un taux de 19,8% de chômage chez les 15-24 ans. C’est le groupe d’âge qui enregistre la plus forte diminution, sachant qu’a contrario le taux de chômage des plus de 50 ans augmente de 1,6 points sur la même période.
Cependant, la tendance générale est à la reprise avec une augmentation de « 0,3 point à 66,9 % » du taux d’emploi des 15-64 ans. Celui-ci « retrouve son niveau d’avant-crise (+0,1 point par rapport à fin 2019) ». Enfin, la bonne nouvelle est que « le taux d’emploi des jeunes est supérieur de 1,2 point par rapport à son niveau d’avant-crise ».
Toutefois, au deuxième trimestre 2021, le nombre moyen d’heures travaillées, tous âges confondus, se situe « encore au-dessous de son niveau d’avant crise (–2,2 % par rapport à fin 2019). Il est de 30,6 heures et a baissé de nouveau de 1 point par rapport au 1er trimestre 2021.
Au final, le taux d’emploi des jeunes de 15-24 ans monte à 31,1% (+1,4 points par rapport à la fin 2019), avec un recul global des CDD/Interim et du temps partiel.
Cependant, ces statistiques masquent une réalité tout autre pour les jeunes diplômés des promotions de la fin 2019 et de 2020.
L’accès à l’emploi des jeunes diplômés
En effet, pour les jeunes sortant d’études en pleine crise sanitaire, l’accession au marché du travail a rencontré plus d’un obstacle. D’après une étude de l’Apec, « 69% des jeunes diplômés 2019 étaient en emploi 12 mois après l’obtention de leur diplôme, contre 85% de la promotion 2018. Ce qui correspond à une chute de 16 points du taux d’emploi en un an. »
Une situation totalement inédite et préoccupante pour les jeunes qui doivent faire face à de nombreuses contraintes :
- postes plus précaires (59% des jeunes ont obtenu un CDI, soit 10 points de moins en un an. 37% des néo-diplômés ont accepté un emploi en CDD, contre 25% un an plus tôt.),
- inégalité d’accès en fonction de la filière d’origine. Avec 72% d’insertion pour les filières scientifiques et technologiques, contre 53% pour les diplômés de lettres, langues ou arts,
- la concurrence des nouveaux diplômés de la session 2021.
Cependant, quelques points positifs émergent :
- l’accès au statut de cadre reste stable à 57% pour la promotion 2019 (identique à la promotion 2018),
- la baisse de la rémunération brute annuelle médiane limite les pots cassés avec une diminution de 3%. Ce qui représente 1 000 euros brut par an de moins pour la promotion 2019, comparé à la promotion précédente.
À relever toutefois que parmi ces nouveaux accédants à l’emploi, 26% déclarent avoir renoncé à leurs aspirations personnelles (+5 points sur un an) et 19% avoir accepté un poste qui ne correspond pas à leur discipline de formation (+4 points). Des choix d’orientation contrariés qui auront sans doute une répercussion dans le futur. Le désir de reconversion toucherait 9 actifs sur 10 (source Nouvelle vie professionnelle 2019) et selon Le Point (10/02/21) et une enquête Inffo un actif sur cinq est engagé dans une reconversion professionnelle.
Choix des études supérieures : les filières santé attirent toujours plus
Le bilan des voeux sur Parcoursup en 2021 montre toujours en tête les métiers de la santé. En effet, le Diplôme d’Infirmier d’État représente 8,7% des voeux (+13%), la 1ère année en PASS 4,6% et 3,5% pour LAS. La licence arrive en tête avec 30% des voeux, toutes disciplines confondues, avec une prépondérance pour la Licence de Droit (3,7%).
On remarque une attractivité accrue pour les cursus plus courts de type BTS et BUT (bac +3). D’après le Figaro Etudiant, le BTS management commercial opérationnel occupe la 5ème place dans le top 5 des formations les plus attractives.
Cet engouement repose sur une attitude pragmatique des jeunes :
- un encadrement scolaire réputé plus soutenu,
- des cours majoritairement en présentiel,
- un taux d’employabilité intéressant.
En 2021, «les candidats de séries technologiques font plus souvent un vœu en BUT (57%). La demande en BTS des terminales technologiques et professionnelles s’est stabilisée à un niveau élevé (82% et 89%). (source MEN cité par le Figaro Etudiant).
Tendances et perspectives socio-économiques : les jeunes face au monde de l’emploi
Vague de démissions : la fin des bullshit jobs ?
La sphère des réseaux sociaux a relayé ces derniers temps le hashtag #QuitMyJob. Tout est parti d’une première vidéo postée en octobre 2020 par Shana Blackwell, 19 ans, employée d’un supermarché texan. Dans sa vidéo, elle dénonce le harcèlement dont elle est victime depuis plusieurs mois. Et elle se filme en train de régler ses comptes avec sa hiérarchie. Elle précise en légende : «Voici la vidéo de moi quittant mon lieu de travail toxique, sexiste et raciste». Sa vidéo affichait 35 millions de vue sur TikTok cet été (source Figaro Tech et Web du 20/08/21).
À sa suite les posts montrant des jeunes quittant leur emploi aux États-Unis ont cumulé 124 millions de vue. En France, on retrouve également cette tendance avec le hashtag #Demission. Mais il privilégie le témoignage après la démission plutôt que pendant son annonce.
Le point commun de tous ces posts ? Une majorité de jeunes femmes bien décidées à ne pas subir une situation professionnelle qui ne leur convient pas. Même lorsque tout se passe bien avec leurs collègues et hiérarchie, elles expliquent vouloir s’affranchir du salariat, initier leur propre activité. En cela on retrouve bien la tendance d’avant crise détaillée par Laetitia Vitaud dans son ouvrage Du labeur à l’ouvrage. Le système fordiste a vécu et les jeunes réclament plus d’équité et de respect sur leur lieu de travail. Plus de considération et plus de sens dans leurs tâches quotidiennes. Cette tendance a cours dans toute la société. Pour preuve l’augmentation des reconversions professionnelles ces derniers mois.
L’augmentation des reconversions après le confinement
En fait, comme pour beaucoup d’autres salariés, la crise sanitaire a favorisé la réflexion sur le bien-être au travail. La pause du confinement a incité celles et ceux malheureux ou insatisfaits de leur emploi à chercher une issue ailleurs. Nombreux sont celles et ceux qui ont engagé un projet de reconversion, comme l’indiquaient déjà plusieurs médias à l’automne 2020. Ainsi Philippe Duport, dans son émission C’est mon boulot sur France Info titrait « Le confinement a donné des envies de reconversion aux Français ». C’est le secteur de la santé qui attire le plus les candidats à la reconversion. Tout comme il arrive en tête des vœux sur Parcoursup.
Les jeunes, mais les moins jeunes aussi, choisissent prioritairement des voies professionnelles qui donne du sens au travail. Le sentiment d’utilité participe à l’estime de soi et au bien-être général. Gérer son temps en fonction de ses impératifs personnels, maîtriser les processus de production, avoir une visibilité sur la finalité des tâches à accomplir. Tous ces facteurs contribuent à l’épanouissement personnel et professionnel.
De plus, les jeunes diplômés issus des filières longues dédaignent les grandes entreprises traditionnellement pourvoyeuses d’emploi.
Urgence climatique : la mobilisation des jeunes diplômés
Une récent article de Welcome to the jungle interrogeait Arthur Gosset, 24 ans et tout juste sorti de l’école Centrale Nantes. Il a réalisé un film, Ruptures, qui montre comment des jeunes ingénieurs tournent le dos aux entreprises traditionnelles pour s’engager face à l’urgence écologique et sociale. Arthur « parle de ruptures intergénérationnelles, d’éco-anxiété, et de pouvoir individuel. »
« Cette rupture, c’est avant tout un changement de paradigme. On a été formaté tout au long de notre parcours pour occuper en priorité une place dans la société, un job qui est reconnu socialement, avec un gros salaire et une belle voiture de fonction. Le changement de paradigme c’est de dire non, nous voulons un job qui a un impact positif pour l’environnement. »
Arthur Gosset pour Welcome to the Jungle
Alors que les entreprises sont désormais soumises à la RSE (Responsabilité Sociétale des Entreprises) et doivent produire des preuves de leurs bonnes actions, Arthur considère que c’est encore insuffisant. « Je pense que l’ère du greenwashing et des belles paroles est révolue. On est à des degrés de conscientisation et d’engagement tels qu’un jeune ne peut plus rester dans une boîte qui n’est pas alignée avec ses valeurs. » Il espère toutefois que les pressions gouvernementale et citoyenne finissent par peser efficacement sur les comités de direction. Il souligne que l’éco-anxiété chez les 16-25 ans (45% affectés d’après La revue The Lancet Planetary Hearth) peut aussi être une source d’énergie pour se battre.
« Certains vont arriver à transformer cette éco-anxiété en espèce de rage positive. Ils vont bosser comme des fous pour essayer de faire bouger les lignes. »
Arthur Gosset pour Welcome to the Jungle
La responsabilité des jeunes ingénieurs en matière environnementale
Par ailleurs, Arthur estime que les ingénieurs ont une part de responsabilité dans l’avenir de la planète. Il sait qu’il est privilégié et peu impacté par le chômage. Par conséquent, il adhère au discours de Clément Choisne et trouve naturel de s’investir pour « faire bouger les lignes ».
Par conséquent, il adhère totalement à la thèse de la journaliste du Monde Marine Miller, autrice d’ un livre sur la question de la révolte des jeunes ingénieurs. « Elle en conclut que les ingénieurs se sentent responsables de la construction du monde et je trouve ça hyper juste, indique-t-il. »
« Tous les ingénieurs et moi y compris sommes responsables d’une part de l’urgence dans laquelle nous nous trouvons. Si le monde va si mal aujourd’hui c’est en partie à cause des ingénieurs. Et il est grand temps de faire changer ça. »
Arthur Gosset pour Welcome to the Jungle