Pourquoi dit-on souvent que l’adolescence est la pire des périodes de votre vie, qu’elle est souvent synonyme de souffrance psychique et/ou physique pour les adolescents ?
Avons-nous tous été si mal en point pendant cette période de notre vie? Pour ma part, je n’en suis pas si certaine…
Cette période dite “tumultueuse” est surtout redoutée par les parents qui espèrent secrètement que leurs enfants ne grandiront pas trop vite, car ils pensent que l’adolescence de leurs enfants se passera forcément mal, et qu’ils n’auront pas nécessairement les clés pour les aider à surmonter certaines situations. De plus, il a été constaté que l’adolescence commence de plus en plus tôt, avec un phénomène que l’on observe aujourd’hui et que l’on nomme « adonaissance » ou pré-adolescence qui est supposée avoir lieu entre 10 et 12 ans. Alors, on comprend l’inquiétude que peut susciter un tel phénomène chez les parents.
Pourquoi dit-on que l’adolescence est forcément la période de transition par excellence jalonnée de crises existentielles, et de changements ? De qui tient-on cette définition? Quelles sont les conséquences de cette vision sur la jeunesse?
L’ adolescence, et si on s’en souvenait un peu, histoire de se rafraîchir la mémoire?
En ce qui me concerne, je ne crois pas que cette période de ma vie fut la plus “mémorable”, ni la plus “excitante” du monde. En effet, je ne crois pas avoir fait de crise, ni m’être opposée fortement à ma famille, ni à l’école. Je me suis investie dans mes études, mes activités extra-scolaires, mais aussi avec mes amis. Je n’ai consommé ni drogue, ni alcool, et je n’ai pas fugué, ni quoique ce soit de ce genre. Je n’ai pas vécu cette situation comme étant une phase de grands changements, mais plutôt comme un continuité.
Une chose est sûre j’ai eu besoin de m’accrocher à des repères solides pour réussir: mes parents, mes frères et soeurs et mes amis. Dit ainsi, on pourrait tout-à-fait croire que j’ai eu une adolescence ennuyante, inintéressante, “conventionnelle”, soumise et que j’ai certainement dû louper une phase cruciale de ma vie, celle où où l’on se déchire et se sépare de ses parents pour exister pour de vrai. Tout ce dont je me souviens c’est d’avoir souffert de cette urgence de la société qui demande aux adolescents d’être rebelles et de se sentir mal pour pouvoir se sentir enfin vivants. Oui, car quand on tape pas sa crise , on peut être pris pour une personne transparente, sans saveur.
Mais pourquoi t’as pas fait ta crise!!!!????
Une vision “romantique” de l’adolescence fortement ancrée dans l’inconscient collectif
Les discours psychologisants, les média donnent cette image de l’adolescence, qui n’est pas totalement en phase avec la réalité selon moi. Ces discours contribuent surtout à dévaloriser cette classe d’âge plus qu’autre chose. Les parents, l’école, la société en général, ont peur des jeunes alors, ils les cadrent, les contrôlent et parfois les surprotègent. Sait-on jamais, les jeunes pourraient créer le chaos social… Quelle est donc cette définition de l’adolescence qui semble nous égarer de la réalité de la jeunesse et de qui la tient-on?
Voici comment nous caractérisons l’ adolescence de manière quasi systématique:
1. Adolescence = puberté
Nous confondons souvent l’adolescence avec la puberté, et nous considérons de façon systématique la puberté comme un facteur causal de l’adolescence. Même si les transformations physiques sont importantes à cette période et qu’elles peuvent être un véritable calvaire pour beaucoup, je passe donc les détails, il existe très peu d’études qui montrent que la croissance physique a de réelles conséquences psychologiques néfastes sur l’adolescent. De plus, mettre l’accent sur les transformations physiques ne nous permet pas nécessairement de conceptualiser l’adolescence de manière précise. En somme, nous isolons potentiellement d’autres facteurs sans doutes intéressants qui vont influer sur les comportements dits “adolescents”.
2. Adolescence= période de transition et de changement
L’adolescence est vue comme une période de transition, la transition est le passage d’un état A à un état B. L’adolescence est le passage de l’enfance à l’âge adulte. On a longtemps décrit que l’enfance et l’âge adulte comme étant des états psychologiques relativement stables contrairement à l’adolescence.
Pourtant, chacun connaît les progrès qui ont été réalisés autour du développement de l’enfant, ces progrès apparaissent au niveau des facultés cognitives et sont interprétés comme étant des “changement qualitatifs structurels (Piaget, 1966). En ce qui concerne l’âge adulte, il n’existe pas de théorie scientifique limitant la fin du processus du développement. En somme, la construction identitaire, est un processus long, et complexe. L’adolescence n’a donc pas le monopole de l’instabilité.
Il est à noter aussi qu’il est difficile de dire exactement quand débute d’adolescence et quand elle se termine. Est-ce qu’elle commence à la puberté, sachant que l’apparition de la puberté varie selon les sexes, les milieux, les climats, la cultures etc. Peut-on considérer que la fin de l’adolescence est marquée par la capacité de l’individu à se prendre en charge (indépendance), car il est socialement mûr, expérimenté et a les motivations nécessaires pour assumer son rôle d’adulte. Peut-on aussi considérer que la fin de l’adolescence est marquée par la capacité de s’impliquer dans une relation intime, amoureuse?
Ces questions d’indépendance, d’identité sexuelle, de maturité ont les retrouve tout le long du tourbillon de la vie (parole d’adulte ;-), no worries…). L’idée de transition est insuffisante pour définir l’adolescence. Dire que l’adolescence est la période de transition par excellence mène à des conclusions peu consistantes et stériles pour caractériser les comportements adolescents.
3. Adolescence = période de crise existentielle, tensions, tempêtes, turbulences et incertitudes
Apparemment c’est par ce critère que l’on reconnait le mieux un adolescent. L’adolescence est une période où l’enfant est sensé se séparer de ses parents, et elle est donc jalonnée de conflits, de tensions, de perturbations, et d’inadéquations. La théorie dit que cette période transitoire est un passage obligé et est synonyme d’une santé mentale saine… Tiens, tiens, ça devient intéressant…
Mais de qui tient-on cette théorie vaseuse sur l’ adolescence?
Il me semble que l’on a atteint le summum de la bêtise avec la définition qu’Anna FREUD (1969) a fait de l’adolescence, tenez-vous bien, elle dit qu’un adolescent normal est :
- Beaucoup trop égoïste et en même temps si altruiste et dévoué
- Engagé dans des relations amoureuses intenses, et les abandonne aussi inopinément qu’il les a entreprises
- Socialement actif et à la fois il a des envies irrépréhensibles de s’isoler
- Soumis à un chef tout comme il peut se rebeller contre l’autorité
- Egoïste, matérialiste mais il peut être un idéaliste enjoué
- Sobre mais peut néanmoins succomber à des instincts les plus primaires
- Acerbe tout comme il peut être agréable avec autrui, il est aussi un personnage très susceptible, il travaille avec passion, infatigable et parfois il est apathique, mou
Elle dit aussi que l’adolescent se considère comme le centre de l’univers et se voit comme l’unique objet digne d’intérêt.
Alors, on se sent comment après ça, normal ou pas normal?
Anna FREUD (1969) défendra que cet état adolescent est tout-à-fait “normal”, et qu’il est “anormal” d’être stable à cette période de vie . Il est anormal d’être normal! (sans blague…). Pour elle, cet état psychologique n’est pas du tout un trouble, bien au contraire. En revanche si cet état resurgit à l’âge adulte alors, il faudra que vous vous inquiétiez car, cela signifiera que vous êtes sérieusement atteint.
Erik ERYKSON (1956), que j’affectionne pourtant pour ses travaux sur la construction identitaire en a rajouté une couche en affirmant que “ ce type de crise peut se résoudre toute seule” et aurait selon lui, une fonction essentielle car elle fait partie intégrante du processus de construction de l’identité de l’individu.
Peter BLOS (1962), quant à lui met l’emphase sur les tensions et conflits inévitables provoqués par les besoins de liberté de l’adolescent vis-à-vis de ses parents. Cela peut être défendable, mais ce n’est pas systématique! Pour lui, l’individuation (construction identitaire, Piaget), chez l’adolescent serait nécessairement une expérience douloureuse . De plus, pour couronner le tout, les spécialistes des sciences sociale comme Coleman (1961) défendent que l’expérience adolescente dans les sociétés prétendument modernes comme la nôtre, engendre forcément des conflits entre les générations et des tensions entre parents et enfants.
Cette triste définition de l’adolescence semble bien ancrée dans nos esprits… Construite sur des croyances, elle alimente les peurs, et empêchent réellement de développer une relation entre les adolescents et les adultes fondées sur la confiance, le non-jugement, l’ouverture. Malheureusement on n’exige pas des adolescents d’être authentiques, d’assumer leurs choix, leurs responsabilités, la seule chose qu’on exige d’eux c’est d’apprendre à l’école peu importe l’issue de tout cela, l’essentiel c’est d’avoir un bon diplôme. Les adolescents sont formés pour devenir des exécutants, et pour pouvoir faire face, aux mêmes épreuves que leurs parents ont connues. L’accumulation de savoir peut tout à fait être abrutissante, si les jeunes ne savent pas quoi en faire.
Les aide t-on vraiment à s’en sortir? Que vaut un diplôme si les jeunes ne savent pas qui ils sont, et où ils doivent aller? On ne leur explique pas non plus qu’un diplôme n’est pas forcément le graal qui va les mener vers l’épanouissement.
Conclusion, ne pas se fier aux étiquettes et éveillons la jeunesse à devenir elle-même, un point c’est tout!
On voit bien que cette définition réductrice de l’adolescence ne peut en aucun cas rendre compte de ce qu’est la jeunesse en réalité et a conditionné notre manière de gérer ou d’éduquer cette classe d’âge. D’autre part, j’ai beau éplucher les articles sur l’identité de la jeunesse, j’ai souvent trouvé des quantités études sur : “comment les jeunes perçoivent-ils leur avenir?” avec des quantités de réponses toutes différentes les unes que les autres, comme si on tentait de leur faire dire ce qu’on aimerait qu’ils disent. C’est une question certes importante car elle traite du niveau de projection dans l’avenir des jeunes, mais j’ai trouvé très peu d’études traitant des questions suivantes qui, il me semble sont prioritaires:
Comment les jeunes se perçoivent-il? Comment se définissent-ils? Sont-ils d’accord avec ce qu’on dit d’eux? Valident-ils la manière dont on souhaite les former pour les insérer dans la société? Se sentent-il concernés par les savoirs qu’on leur propose? Se sentent-ils libres de faire des choix? Pensent-ils qu’on leur donne suffisamment de crédit pour faire des taches difficiles mais très intéressantes? Comment se sentent-ils, se placent-ils en tant qu’individu dans la société? La manière dont ils évaluent leur efficacité personnelle est-elle prise au sérieux par leurs parents, leurs enseignants? Sentent-ils que leurs parents, leurs professeurs les aident à renforcer leurs compétences dans leurs champs d’intérêts?
Si nous posions chacune de ces questions aux adolescents tout le long de leur parcours, tous ces clichés sur l’adolescence voleraient probablement en éclat et notre manière de concevoir l’éducation s’en retrouverait bouleversée.
Pour moi, mettre des étiquettes sur la jeunesse est un exercice vain, c’est à la jeunesse de nous dire qui elle veut être, et c’est à nous de lui donner sa place, de l’écouter, de la comprendre, de la connaître car c’est elle l’avenir, quoiqu’on en dise.
BIBLIOGRAPHIE
- FREUD (Anna).- Adolescence as a developmental disturbance, dans Caplan (G.), Lebovici (S.), Adolescence : psychological perspective, New-York, Basic Books, 1969
- ERYKSON (Erik)- The problem of ego identity, Journal of the American psychoanalytic association (1956)
- BLOS (Peter).- On adolescence: a psychoanalytic interpretation, New-York of Glancoe, 1962
Tenter de mettre une étiquette sur un jeune comme sur n’importe qui est un exercice vain. Il en va des ados comme de n’importe quelle personne.
Donc bien d’accord pour dire que l’adolescent est une personne comme une autre, qu’il convient d’accompagner avec attention, bienveillance et surtout en prenant bien garde de ne pas…
Vous vous attelez là à une problématique importante. Le sujet est très bien cerné à mon sens. Je suis curieuse maintenant de voir ce que cette app pourra proposer. Je reste persuadée que rien ne vaut un échange entre personnes réelles : parents, ados, et un tiers. Encore faut-il que ce tiers joue son rôle de soutien à la parentalité, ce qui, dans le…
C’est exactement ce que l’apps apprend à faire à l’enfant et aux parents 🙂 , l’app ne se substitue à aucun moment aux parents, au contraire elle va favoriser le lien et les échanges et va aider l’enfant à se poser les bonnes questions, à se découvrir et à prendre conscience de son sentiment d’efficacité personnelle dans différents champs (pas que scolaire).
Quand un enfant, aux portes de cette fameuse “adolescence”, ne cesse d’entendre de la part des adultes “ah bah vous le verrez celui-là quand il fera sa crise d’adolescence…”, que ressent-il ? Il est très probable qu’à force de lui dire que ça va lui arriver, il doit se dire “bon, je vais inévitablement être en crise, de quoi, je ne sais pas, mais il…
C’est questions ne sont pas facultatives : toutefois , les adolescents sont considérés comme incapable de faire les bons choix et donc de répondre eux-mêmes … quel ineptie !
Et de toute manière , une fois que l’on a répondu à ces questions , nous pouvons nous dire adultes. Ce que beaucoup de parents ont du mal à gérer tant…
Bonjour Sami, merci de ce retour, je ne crois pas en la psychanalyse chez l’ado, notamment lorsqu’on lui demande de prendre des décisions importantes type voeux d’orientation, car pour moi, elle traite du passé, et insuffisamment du ici/maintenant, l’adolescent est en quête d’identité, il a besoin de savoir situer ici et maintenant et pas hier. La…
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