À situation sanitaire inédite, disposition exceptionnelle : les stages de troisième ne sont pas obligatoires cette année. Comment les élèves et leurs familles vivent-ils ce choix (ou non choix) ? Quelles sont les possibilités pour palier une absence de stage ? En définitive, quels sont les objectifs de ces immersions courtes en entreprises ? Les choix d’orientation sont en jeu, mais pas forcément de façon ciblée. Le stage de troisième permet un premier contact avec le monde du travail, sans nécessairement se produire dans la branche métier désirée.
Constat d’un décalage entre école et monde du travail
C’est une antienne aussi vieille que l’école elle-même, une lutte entre la connaissance pour la connaissance et son application concrète dans le monde du travail. Pour certains, l’école serait le lieu de fabrication d’un citoyen éclairé, à même de faire ses choix personnels d’avenir. Pour d’autres, l’école est une lieu de formation des travailleurs de demain, pour servir la collectivité au mieux, davantage que l’individu.
Individu versus société ?
Plutôt que d’opposer ces deux versants d’une même réalité, pourquoi ne pas tenter de les concilier pour le bien de l’individu et de la société elle-même ? Ces deux échelles peuvent, doivent, cohabiter pour créer des synergies. En cela, le stage de troisième répond à une demande pragmatique des élèves comme des professionnels, mais représente aussi une union symbolique entre l’institution éducative et le monde du travail.
Tout d’abord, les chefs d’entreprise, ceux qui sont sensés fournir un emploi aux jeunes adultes, réclament une approche plus concrète des apprentissages. Selon eux, l’école vit dans une bulle, en dehors des réalités du terrain. Ainsi, les enseignants seraient surtout capables de dispenser des savoirs et non des savoirs être, pourtant précieux pour exercer un métier. Autonomie, responsabilité, initiative, rigueur, ponctualité, le monde du travail développe ses propres codes. Avec tous les variables induits par les différents secteurs d’activité : horaires décalés de la boulangerie et de l’hôtellerie/restauration, disponibilité et empathie des services d’aide à la personne, sens de l’organisation et de la communication en management d’équipe…
Savoirs et savoirs-être au coeur du stage
Autant de subtilités, de compétences transversales qui s’acquièrent par l’expérience et au contact de ses collègues au sein d’une équipe. A contrario, l’école délivre des contenus, des connaissances à des individus sensés les exploiter dans leurs futures études. Hormis le CAP qui est le seul diplôme qui débouche directement sur le monde du travail, les enseignements restent trop souvent éloignés des réalités économiques et professionnelles.
D’où l’idée de proposer au plus tôt un stage aux jeunes afin qu’ils découvrent le quotidien des entreprises et la réalité des métiers.
Par ailleurs, l’institution éducative a une obligation de résultat vis-à-vis de la collectivité. Elle doit veiller à délivrer le savoir à toutes et à tous en fonction de leurs projets personnels. Les missions de l’Etat et des régions ont été récemment recadrées dans la loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel.
De plus, l’école doit participer au bon fonctionnement de l’économie en pourvoyant à la formation des futurs travailleurs. Elle est sensée actualiser ses formations au regard des besoins du futur du travail. Ainsi, ce sont les régions qui veillent à harmoniser les offres de formation en fonction des besoins des territoires.
Afin de mieux ancrer l’information sur les formations et les métiers dans le contexte local, en prenant pleinement en compte les caractéristiques de l’offre de formation régionale et les besoins économiques locaux, les Régions se voient confier de nouvelles responsabilités qu’elles exercent de façon complémentaire et cohérente avec les actions menées par l’État.
Sur ce terrain-là, ses compétences font l’objet de lourdes critiques. En effet, le monde du travail change à vive allure, alors que les enseignements ont l’habitude d’évoluer sur des temps plus longs. D’où ce sentiment perpétuel d’inadéquation entre l’offre de formation et le marché du travail.
Trouver un stage de troisième
De surcroit, dans un État centralisateur comme la France, subsiste une tradition éducative qui voudrait que l’institution forge les esprits plus que les travailleurs.
En fait, le stage de troisième fonctionne comme une preuve de bonne foi envers le monde du travail, comme une volonté de coopérer. Pour certains, cette volonté n’est pas suffisante pour lutter contre les inégalités sociales. Et d’une bonne intention découle un biais qui va favoriser les familles détentrices d’un réseau efficace.
Les dispositifs d’aide en REP et REP+
Le ministère a bien conscience de cet état de fait qu’il tente de corriger en proposant des plateformes d’aide pour trouver un stage. Ainsi le site monstagedetroisième s’adresse exclusivement aux élèves de REP et REP+. L’idée est d’accompagner les élèves dans leurs recherches et de maximiser leurs chances de trouver un stage cohérent avec leur projet d’orientation. Cette année, pour palier les difficultés de stages en présentiel, des solutions numériques proposent de découvrir des métiers en visio-conférences. Mais rien ne vaut l’expérience concrète pour se projeter dans son futur métier. De fait, ces dispositifs à distance ont surtout vocation à informer et non à former.
Malgré ces actions de l’État et des Régions, bon nombre d’élèves peinent à trouver un stage. Et pas seulement dans les cités éducatives.
Je travaille dans le 93 et mes élèves de troisième sont loin d’être favorisés. Pour autant, mon établissement n’est pas classé en REP et ne bénéficie d’aucune aide. Quand arrive la période de stage, c’est toujours la même chose. Les parents bien insérés dans un milieu professionnel trouve un stage à leur enfant. Ce qui ne leur convient pas forcément d’ailleurs. Et puis il y a tous les autres qui galèrent et qui se retrouvent dans des stages qui ne leur servent à rien. Gros moment de frustration pour ces élèves. C’est dommage parce que la plupart ont vraiment envie de se frotter au monde du travail.
Célia, professeure de SVT dans un collège du 93
Intervention des associations pour l’accompagnement à la recherche de stage
Parfois, les établissements font intervenir une association locale pour aider les jeunes à trouver un stage.
Dans mon établissement, nous avons décidé que le stage devrait obligatoirement se dérouler sur cinq jours consécutifs, sauf si la deuxième partie a lieu hors temps scolaire. Cette année, le stage était prévu pour la semaine qui précédait les vacances de Noël. En janvier, nous avons fait intervenir une association pour aider celles-ceux qui n’avaient rien trouvé. Nous avons ciblé ceux qui s’orientent en voie professionnelle. Pendant toute une journée, ces élèves ont été pris en charge par une intervenante en présentiel et d’autres intervenants en visio-conférence.
Wassim, professeur de maths dans le 92
D’après Wassim, les chances de décrocher un stage sont assez disparates d’une classe à l’autre. Cette année, une classe entière est partie en stage, tandis que dans une autre, seule la moitié en avait trouvé un. Difficile pour les enseignants d’en tirer des conclusions. Pourquoi certains et pas d’autres ? D’autant qu’ils ne disposent ni du temps ni des moyens nécessaires à cette analyse.
Pourtant, c’est ce que l’on aimerait mieux comprendre. Qui trouve un stage et pourquoi ?
Les facteurs sociaux et géographiques influencent le choix du stage
En interrogeant quelques jeunes ayant effectué leur stage de troisième cette année, trois profils émergent :
- reproduction sociale avec un stage réalisé chez un parent ou un proche de la famille,
- un stage de proximité qui explore les possibilités dans un secteur géographique familier,
- un stage vraiment choisi, en adéquation avec le projet d’orientation.
Il existe certainement d’autres profils qui combinent plusieurs facteurs. D’ailleurs, il serait intéressant de mener une enquête à ce sujet. En effet, à première vue les motivations et chances de trouver un stage dépendent de nombreux critères, personnels, familiaux, socio-économiques, géographiques… Cependant, pour des raisons de commodités évidentes, la plupart des stages ont lieu dans le cercle familial ou proche.
Activer le réseau familial pour trouver un stage
Le premier réflexe des familles à l’approche de la convention de stage obligatoire (cette année facultatif), tient dans la sollicitation du réseau. Quel que soit le métier des parents, des amis de la famille, il faut répondre à l’injonction scolaire.
Le site du ministère indique clairement que « les élèves et leurs familles doivent être activement impliqués dans la recherche et le choix des lieux du stage. » Il les ramène ainsi à leur responsabilité individuelle et parentale. D’après l’expérience de Christine, professeure de français à Lyon, les élèves sont en général assez contents. « Ils apprécient cette parenthèse dans l’année scolaire et en tirent souvent une expérience enrichissante. Ils font en général leur stage auprès d’un proche et c’est l’occasion pour eux de découvrir une autre facette de la vie de leurs parents. » Comme en témoigne Brahim, élève de troisième dans un collège parisien.
Cette année, le stage était facultatif et tout le monde disait que ça allait être dur de trouver. Du coup, j’ai demandé à mon père si je pouvais passer la semaine avec lui. Il a une entreprise de BTP. C’était ce qu’il y avait de plus simple ! Après, moi ce qui m’intéresse c’est l’informatique, pas le bâtiment. Mais j’ai bien aimé quand même, l’ambiance, les gars qui bossent ensemble. C’est bien de voir autre chose que la salle de classe et les profs !
Brahim, élève de 3ème à Paris
Célia et Wassim confirment de leur côté que leurs élèves ont privilégié les stages dans leur famille, surtout cette année. Par exemple chez Wassim, une de ses élèves a effectué un stage au CNRS, là où travaillent déjà ses deux parents. Tandis que Célia mentionne plusieurs élèves stagiaires dans des magasins ou des établissements de restauration rapide, sur le lieu de travail d’un parent. À chaque fois, les retours sont positifs, même si le stage ne correspond pas au métier envisagé. Ce qui révèle sans doute un besoin de la part des élèves de s’impliquer dans des situations concrètes, d’apprendre en variant les contextes, mais aussi en observant les autres au travail.
Faire jouer la fibre locale des entreprises
D’autre part, les élèves qui ne trouvent pas de stage dans leur famille, en cherchent souvent un dans leur environnement proche. Ainsi, Samantha a réussi à convaincre le salon de coiffure de sa commune de l’Yonne. Elle ne sait pas encore ce qu’elle voudrait faire plus tard, mais elle avait envie de « voir comment ça se passe dans un commerce ». De cette expérience, elle retire « un super souvenir et même des fous rires avec quelques clientes ! ». De quoi la mettre en confiance pour ses prochaines recherches de stages en alternance.
Dans un autre registre, deux élèves de Wassim qui souhaitent faire des études de médecine, ont trouvé une pharmacie prête à les accueillir.
La pharmacie c’est ce qui se rapprochait le plus de médecine. Sinon c’était impossible de trouver un stage dans un service médical en ce moment.
Matilda, élève de 3ème dans le 92
Wassim relève également l’influence des réseaux sociaux pour trouver un stage. Les parents publient des appels sur FaceBook ou Twitter, voire sur des groupes privés d’entraide de parents. L’efficacité est très aléatoire, mais parfois ça fonctionne. Comme pour Théo qui voulait passer une semaine en librairie. Il a obtenu l’autorisation de fractionner son stage pour venir les samedis de janvier, après la grosse période d’activité des fêtes de fin d’année. C’était le seul compromis possible pour faire son stage dans sa commune.
Initialement, j’aurais aimé faire mon stage chez un éditeur. J’aurais pu être hébergé par ma tante à Paris, mais je n’ai rien trouvé. Finalement, j’étais content d’être en librairie. J’ai appris plein de choses sur les éditeurs grâce aux libraires !
Théo, élève de 3ème à Orléans
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Sortir des sentiers battus et décrocher le stage de ses rêves
Pour d’autres, minoritaires cependant, le stage de leur rêve a pu se réaliser. Une élève de Wassim est partie en stage dans une société de production, une autre dans une boulangerie/pâtisserie et une élève de Célia a décroché un stage chez Dior au service de la communication.
Ce qui me fascine moi, c’est le cinéma. Je voudrais être réalisatrice. Je ne voyais vraiment pas quel stage j’allais trouver dans ce secteur. J’ai envoyé des messages sur les comptes Insta de quelques acteurs et actrices que j’aime bien, mais je n’ai pas eu de réponse… Mais il y a quelqu’un qui m’a dit d’essayer au niveau de la production et j’ai tenté ma chance. J’ai envoyé plusieurs mails pour montrer que j’étais motivée. Et ça a marché ! C’était génial, j’ai adoré et beaucoup appris.
Soa, élève de 3ème dans le 92
Je sais déjà ce que je veux faire comme métier : pâtissière. J’avais vraiment besoin de faire un stage en laboratoire, pas en boutique. C’était compliqué avec le COVID, mais le patron qui a accepté de me prendre en stage est génial. Il a eu envie de m’aider et surtout de me transmettre sa passion. Il m’a juste demandé d’être hyper discrète pour qu’il reste concentré. Car il fallait qu’il tienne sa production donc pas question de le déranger. Je pense que je m’en suis bien tirée ! Et j’ai même appris quelques secrets de fabrication…
Élodie, élève de 3ème dans le 92
Certains secteurs économiques accueillent difficilement les stages de troisième
Ce témoignage est intéressant car il révèle une difficulté des artisans à accueillir les élèves en stage. Les artisans sont souvent débordés et n’ont pas le temps de prendre en charge convenablement des jeunes de 15 ans. C’est également le cas pour les apprentis dans de nombreux domaines d’activité. Il faut réussir à convaincre les responsables que le·la stagiaire n’est pas un poids de plus qui s’ajoute à la production et aux obligations administratives.
À ce constat s’additionne encore une difficulté supplémentaire liée à la dangerosité des conditions de travail. Ainsi, Célia m’indique qu’un artisan de sa commune a cessé de prendre des élèves en stage pour des raisons de sécurité. Il nettoie les aquariums et les étangs et ne souhaite plus assumer la responsabilité de devoir surveiller des jeunes. Christine signale la même retenue pour les secteurs de la construction où les risques de chutes et de projections de matériaux représentent un risque que les professionnels ne souhaitent pas endosser. Surtout pour une période si courte et avec des élèves si jeunes.
Au final, il s’avère plus simple de trouver un stage dans un bureau, au sein d’une équipe, plutôt que dans une toute petite entreprise, surtout s’il existe un risque professionnel.
Une expérience qui fait sens dans le récit de vie
Malgré ces difficultés spécifiques, l’expérience du stage de troisième demeure positive. Les jeunes ont ainsi l’occasion de découvrir l’organisation au travail, de sortir des murs du collège, de s’essayer à des gestes techniques simples. Mais c’est surtout leur sens de l’observation et leur capacité à restituer ce qu’ils·elles ont vécu dans un rapport de stage qui valident cette première expérience. C’est l’occasion de s’adonner au récit de vie, très formateur pour exprimer ce que l’on ressent et analyser ses besoins. Une première étape intelligente et concrète pour accompagner l’orientation scolaire et les projets professionnels des jeunes.
Pour finir, un petit clin d’oeil à Clémentine Beauvais, autrice de Les Petites reines (cité dans mon article sur le harcèlement scolaire), qui partageait en août 2020 sur son compte Instagram son cahier de stage de troisième. Elle l’avait effectué chez Disney France et avait été « totalement emballée » !