Au collège, les sections d’enseignement général et professionnel adapté (SEGPA) permettent aux élèves en grande difficulté d’apprentissage de poursuivre une scolarité de la 6ème à la 3ème. Pour en parler avec nous cette semaine, j’ai recueilli l’expérience de Françoise, professeure des écoles à Paris. C’est l’occasion aussi de parler du métier d’enseignant et d’informer les jeunes susceptibles de s’engager dans cette voie. D’ailleurs, au cours de cet entretien, le terme d’engagement résonne tout particulièrement.
Qu’est-ce qu’une SEGPA ?
Tout d’abord, il convient de définir ce qu’est une SEGPA. En fait, ces sections spécialisées s’adressent aux jeunes sortant de l’enseignement primaire avec des lacunes importantes. Ils ne présentent pas de troubles dys (dyslexie, dyspraxie, dyscalculie, dysorthographie), ni handicaps, mais ont besoin de plus de temps pour apprendre. L’objectif de la SEGPA est de leur fournir un niveau de fin d’élémentaire à la fin de la 3ème. Ainsi, ils pourront poursuivre en section professionnelle et finaliser leur parcours par un diplôme.
Par ailleurs, les élèves sont répartis en petits groupes de 16, afin d’individualiser au maximum leur prise en charge. En effet, leurs profils sont très variés ainsi que les raisons de leur orientation en SEGPA.
D’autre part, les contenus d’apprentissages suivent ceux des classes du collège, mais ils sont adaptés aux difficultés des élèves. Ainsi, les enseignants peuvent utiliser les manuels dévolus à leur niveau. Mais en en allégeant le propos et surtout en variant les approches pédagogiques. De ce fait, travailler en SEGPA découle du choix de l’enseignant, qu’il soit professeur de primaire, de collège ou de lycée. En théorie, une formation débouchant sur le certificat d’aptitude professionnelle aux pratiques de l’éducation inclusive (CAPPEI) permet aux professeurs des écoles de se spécialiser. Les professeurs de lycée et collège, de lycée professionnel peuvent également compléter leur formation par un certificat complémentaire pour les enseignements adaptés et la scolarisation des élèves en situation de handicap (2 CA-SH).
Mais, en réalité, lorsqu’une académie manque de professeurs spécialisés, elle ouvre son recrutement aux volontaires. Celles et ceux qui le souhaitent pourront réclamer cette formation ultérieurement. Cette passerelle reste accessible pendant toute la carrière.
Ainsi, Françoise est arrivée par hasard en classe de SEGPA, à l’occasion d’un remplacement. Et elle y est restée quatre ans. Aujourd’hui, elle enseigne en maternelle.
Placer les élèves en situation de réussite
Quel est le profil des élèves de SEGPA ?
Comment es-tu arrivée en SEGPA ?
Je venais de passer quelques mois en Espagne et je ne savais pas trop quel poste demander. Finalement, j’ai effectué un remplacement congé maternité en SEGPA dans un collège très difficile de Nîmes. Je suis restée jusqu’à la fin en juin, puis j’ai demandé à rester sur ces fonctions. En tout, j’ai travaillé quatre ans au collège. C’était passionnant, mais difficile aussi. Par rapport à une classe ordinaire, c’est pas à 100% qu’il faut être, mais à 150% !
C’était très différent de ce que j’avais connu en primaire. D’abord, au niveau des horaires puisque j’avais plusieurs niveaux et que j’enseignais certaines matières. Avec mes collègues, nous nous répartissions les disciplines en fonction de nos spécialités et affinités. Dans le collège où j’ai travaillé, nous étions quatre instit’s de SEGPA. Moi j’assurais les cours de français, d’histoire-géo et d’arts plastiques. Un collègue plus sportif donnait les cours de sport, un autre plus scientifique la physique-chimie et biologie.
Par rapport à une classe ordinaire, c’est pas à 100% qu’il faut être, mais à 150% !
Françoise, professeure des écoles
Mais surtout, la prise en charge de ces élèves, parfois rebelles et toujours en grande difficulté scolaire, réclame un réel engagement. Donc, c’est toi qui dois croire en eux, plus que eux ne croient en eux-mêmes.
En effet, certains jeunes se retrouvent comme piégés par l’impuissance apprise, ce conditionnement qui les convainc qu’ils sont nuls et qu’ils n’arriveront à rien. Cette pensée négative les maintient dans une spirale de l’échec souvent difficile à surmonter. La SEGPA peut être un moyen de s’en sortir.
Donc, c’est toi qui dois croire en eux, plus que eux ne croient en eux-mêmes.
Françoise, professeure des écoles
La SEGPA comme moyen de lutte contre le décrochage scolaire
Quels types jeunes as-tu rencontrés en SEGPA ?
Alors, ce ne sont pas des déficients intellectuels, mais ce sont des jeunes qui sont capables d’avoir un métier, principalement un CAP. Quand ils arrivent en 6ème, ils ont un niveau CE1. Quand ils terminent le collège, ils sont sensés atteindre le niveau CM du primaire. Ce sont des ados dont l’estime de soi a été écornée par des résultats scolaires faibles et des difficultés familiales parfois terribles.
Comment ces jeunes et leurs familles appréhendent-ils une scolarisation en SEGPA ? Ces sections n’ont pas toujours bonne réputation auprès des parents.
Une orientation en SEGPA ne se décide pas sur un coup de tête de l’enseignant de CM2. Il y a plusieurs réunions avec toute l’équipe éducative, dont le·la psychologue scolaire. On voit les parents, on explique en quoi consiste la SEGPA au collège. Ce n’est pas une punition, mais plutôt une chance pour un jeune d’éviter le décrochage scolaire et de sortir de l’école sans diplôme. Parfois aussi, on oriente après une 6ème qui a montré l’impossibilité de poursuivre le cursus classique.
En effet, la France enregistre encore un taux de sortie prématurée du système scolaire de 9% en 2017 (d’après une étude du Céreq relayée par la Banque des Territoires en 2019). Ce taux est en recul, mais « augmente dans les zones où le taux de chômage juvénile est élevé, et ce d’autant plus pour les jeunes issus de milieux défavorisés. »
Absolument, notre mission c’est vraiment d’éviter que des jeunes en grande difficulté scolaire et comportementale désertent l’école et disparaissent des radars sans perspective professionnelle. Ces jeunes sont compétents, ils peuvent réussir, à condition d’adapter les contenus d’apprentissages.
En somme, tu les aides à renouer avec leur Sentiment d’Efficacité Personnelle.
La SEGPA comme tremplin vers l’orientation professionnelle
Donner du sens aux apprentissages favorise l’inclusion
En fait, il faut oublier toutes nos références pour se concentrer sur chacun et chacune. Quand tu enseignes en SEGPA, tu dois bien connaître chaque élève pour évaluer au mieux les possibilités d’aide. Le programme sera le même que pour les autres collégiens, mais avec moins de détails, moins d’exercices écrits. Et puis ce sont des ados, pas des primaires. Donc il faut trouver des textes intéressants pour leur âge avec un niveau de difficulté adapté.
Tu as aimé être dans cette recherche pédagogique ?
Oui, j’ai énormément apprécié la liberté pédagogique qui est laissée aux enseignants de SEGPA. Dans la mesure où nous nous adaptons à chaque élève, nous cherchons des idées pour transmettre les savoirs et faire éclore les compétences. Cela passe beaucoup par les projets. C’est très varié ! Tu peux faire des rallyes lecture, des projets artistiques avec d’autres classes aussi.
Depuis 2016, les SEGPA sont plus inclusives. Elles bénéficient de « temps d’enseignement dans les autres classes du collège ou dans des groupes de besoin », notamment les EPI, enseignements pratiques interdisciplinaires (voir Eduscol).
« La mise en oeuvre des programmes de collège doit permettre des projets communs sur les thèmes étudiés, de façon ponctuelle sur une sortie, une compétence ou un projet précis, ou sur un enseignement en barrette avec par exemple, des groupes de besoins sur une ou plusieurs matières. »
source site Eduscol du Ministère de l’Education nationale
Globalement, les élèves de SEGPA mettent plus de temps à apprendre. C’est pourquoi ils ont besoin d’enseignements adaptés. Notre objectif vise la maîtrise de connaissances et compétences validées par le DNB [en général le DNB pro]. L’idée c’est de réamorcer une dynamique d’apprentissage vers les voies professionnelles.
« En sus des enseignements disciplinaires, des enseignements pré-professionnels, assurés par les professeurs de lycée professionnel, sont proposés aux élèves dans le cadre de l’enseignement de complément.[dès la classe de 5ème] »
source site Eduscol du Ministère de l’Education nationale
L’environnement socio-économique conditionne la réussite des jeunes
Pour la grande majorité des élèves qui sont admis en SEGPA dès la 6ème, l’objectif est clair : intégrer la voie professionnelle. Les deux débouchés principaux sont les centres de formation d’apprentis (CFA) et les lycées professionnels pour obtenir un CAP, un bac pro, un BTS. Après, libres à eux de continuer, des passerelles sont toujours possibles entre les filières.
Cependant, une étude de la Depp montre que sur 3% d’élèves entrés en SEGPA, seulement 37% obtiennent un diplôme (CAP ou bac pro) …
Oui, c’est vrai que cela peut paraître décourageant… C’est pour ça aussi que travailler en SEGPA est difficile. On rêverait de bousculer ces données statistiques, de montrer que ces jeunes ont de la valeur. Mais les difficultés sont telles… Parfois on obtient des résultats, on est sur un petit nuage et le lendemain tout est à refaire. La plupart de ces jeunes font partie de milieux défavorisés [73% des élèves de SEGPA viennent d’une CSP défavorisée contre 40% pour les collégiens hors SEGPA]. Cette dimension est fondamentale pour comprendre le métier d’enseignant spécialisé.
D’ailleurs, quand je suis arrivée dans mon collège nîmois, mes collègues m’ont tout de suite sensibilisée sur l’environnement des élèves. Quand un élève arrive en retard, il faut comprendre que son ascenseur est en panne alors qu’il habite au 12ème étage d’une barre.
Privilégier une approche éducative globale
Pour ma part, je me suis concentrée sur l’aspect éducatif de mes missions. On parle souvent de didactique et de pédagogie et elles sont fondamentales, mais l’aspect éducatif précède tout enseignement, tout apprentissage.
En cela, tu rejoins Abderrahim Bouzelmate, prof de français dans les quartiers nord de Marseille qui prône latransmission de la culture, des arts et des lettres comme vecteur humaniste et donc éducatif. Initier les jeunes aux subtilités du langage, leur donner le goût d’apprendre, la curiosité, la faculté de penser par eux-mêmes pour se sortir de contextes familiaux et/ou socio-économiques difficiles.
Oui, c’est fondamental de donner cette ouverture d’esprit, de montrer un ailleurs, d’élargir le champ des possibles pour échapper à la fatalité. Mais c’est difficile, exigeant et réclame un engagement fort. J’ai énormément appris au contact de ces jeunes de SEGPA et cela m’a servi par la suite pour mieux exercer mon métier, être à l’écoute, faire preuve de psychologie.
Il faut espérer que le label « Cités éducatives » attribués aux quartiers de Pissevin et Valdegour à Nîmes permettent d’améliorer la prise en charge éducative des jeunes. Sans politique de la ville et sans travail avec les associations de quartiers, les établissements scolaires croulent sous les difficultés.
En conclusion, que retires-tu de ton expérience en SEGPA ?
Mon expérience en SEGPA a été très enrichissante pour ma pratique. Avant j’avais fait beaucoup de CM et j’en ai gardé de très bons souvenirs avec de superbes projets. Mais après la SEGPA, j’avais envie de garder ma liberté pédagogique. C’est pour ça que j’ai opté pour la maternelle. Je retrouve cet aspect éducatif qui m’est cher : comment vivre ensemble avec toutes nos différences, comment favoriser le respect et l’écoute. En maternelle, je me sens plus libre de concevoir des projets transdisciplinaires. Je peux mêler arts plastiques et danse, chant et phonologie, les combinaisons sont infinies ! Et les élèves souvent plein d’enthousiasme.
Merci Françoise pour ton témoignage ! Pour conclure sur l’aspect orientation professionnelle de la SEGPA, voici encore quelques données sur les choix formulés à l’issue de la 3ème.
Quels sont les domaines d’activité les plus choisis après une 3ème SEGPA ?
D’après l’étude de la Depp (2017), seuls 1,7% des choix d’orientation après la troisième concernent un bac professionnel ou agricole, contre 73,2% pour les CAP. Les cinq domaines de spécialité les plus choisis après la 3ème SEGPA se répartissent comme suit :
- 19,44% pour le secteur « transformations » (contre 7,12% hors SEGPA),
- 20,48% pour le secteur « génie civil, constructions et bois » (contre 8,48% hors SEGPA),
- 15,55% pour le secteur « mécanique, électricité, électronique » (contre 25,43% hors SEGPA),
- 17,42% pour le secteur « échanges et gestion » (contre 25,21% hors SEGPA),
- 14,62% pour le secteur « services aux personnes » (contre 19,08% hors SEGPA).
À noter au passage que les SEGPA regroupent davantage de garçons que de filles : 62,2% contre 37,8%. Alors que la proportion avoisine le 50/50 hors SEGPA. De plus, les jeunes filles occupent quasi exclusivement le secteur des services aux personnes. Ce constat pose deux questions autour de la mixité :
- oriente-on plus fréquemment un garçon en SEGPA ? Si oui, pourquoi ?
- l’absence (supposée) de débouchés professionnels pour les filles, comme déjà pointée dans plusieurs études, explique-t-il un taux d’inactivité des femmes plus important dans certains territoires ?
Illustration de l’inactivité féminine plus importante dans les quartiers prioritaires, une femme sur trois âgée de 15 à 29 ans est NEET [ni en emploi ni en études ni en formation] au sens d’Eurostat (contre un homme sur quatre).
Pascal Dieuseart, rapport annuel 2018 de l’ONPV, Observatoire national de la politique de la ville
Je n’ai pas l’habitude de terminer sur des questions. Mais celles-ci m’ont paru pertinentes quoique sans réponse en l’absence d’étude à ce sujet.
Finalement, les SEGPA permettent à 37% de jeunes d’obtenir un diplôme qu’ils n’auraient sans doute jamais décroché sans prise en charge spécifique. Les enseignants impliqués dans ces classes à effectif réduit font un travail remarquable. Ils viennent en aide à des jeunes en grande souffrance qui depuis tout petit déjà vivent l’échec au quotidien. Personnellement, je n’ai proposé qu’une seule fois un passage en 6ème SEGPA. Il avait été refusé ; à l’époque il fallait que l’élève ait redoublé pour y avoir accès. Mais après une année de 6ème chaotique, cet élève avait finalement été réorienté en SEGPA. Aujourd’hui, il suit une formation de cuisinier et passe souvent saluer ses anciens enseignants de primaire… Une pensée pour toi Florian !