Début janvier 2021, une enquête Ipsos tirait la sonnette d’alarme concernant la santé mentale des jeunes. Elle concluait à la nécessité de considérer l’urgence psychiatrique dans le contexte de l’urgence sanitaire. Difficile en cette rentrée d’avoir le recul nécessaire pour savoir si la situation a évolué. Depuis, le Président de la République a dit sa volonté de permettre aux jeunes qui en ont besoin de bénéficier de soins. Ainsi le dispositif PsyEnfantAdo prévoit la prise en charge à 100% d’un soutien psychologique pour les 3-17 ans. Sont concernés les jeunes en « souffrance psychologique d’intensité légère à modérée » pourvus d’une prescription médicale. Revenons sur les résultats de l’enquête Ipsos et les éclairages fournis par des médecins spécialistes dans la presse ces derniers mois.
Explosion des troubles mentaux chez les jeunes
La santé mentale des jeunes plus touchée que celle de leurs aînés
L’enquête Ipsos, menée lors du second confinement, montre clairement que les jeunes sont plus touchés que leurs aînés par la crise sanitaire.
D’après le Pr Marie-Rose Moro, psychiatre et directrice de la Maison des adolescents à l’hôpital Cochin à Paris interrogée par la journaliste scientifique Isabelle Hoppenot pour vidal.fr, la situation est préoccupante. En effet, l’enquête Ipsos annonce que « 32% des 18-24 ans ont un trouble de santé mentale, [ce qui représente] +11 points par rapport à l’ensemble de la population. »
De plus « 2 jeunes sur 3 estiment que la crise actuelle liée à la Covid-19 va avoir des conséquences négatives sur leur propre santé mentale ». Par ailleurs, leur état anxieux tient aussi de l’inquiétude qu’ils nourrissent à l’égard de la santé de leurs proches et des Français en général. En effet, 74% des jeunes interrogés déclarent s’inquiéter pour leur entourage et 91% pour les Français en général.
La crise sanitaire remet en cause les projets d’avenir
De fait, la crise sanitaire du COVID a brutalement touché les jeunes dont les espoirs d’avenir ont fléchi. Comment croire en l’avenir alors que le monde se referme sur lui-même ? Comment trouver son stage, choisir sa voie professionnelle ? Et multiplier les interactions et expériences pour forger ses appétences et compétences lorsque le monde vit dans la peur ? Le professeure Moro explique que « les situations de crise conduisant à des consultations aux urgences pédopsychiatriques, telles qu’automutilation, tentative de suicide ou troubles graves du comportement, ont augmenté d’environ 30 % au niveau national, comparativement aux données de 2019. »
D’après le témoignage d’Angèle Consoli, psychiatre spécialiste des enfants à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, « cette crise Covid ne fait qu’exacerber les difficultés dans un système déjà en grande tension » (France Inter, 22/03/21). Elle ajoute que des études épidémiologiques montrent « une augmentation des symptômes dépressifs chez les moins de 15 ans. Avec une augmentation des passages aux urgences et du nombre d’hospitalisations après passage de 80 %. De même pour la tranche 12/17 ans, avec des symptômes anxieux, dépressifs et des crises suicidaires. »
Pourquoi la santé mentale des jeunes est-elle plus particulièrement touchée par la crise sanitaire ?
La crise sanitaire a contrarié la socialisation et l’autonomisation des jeunes
Le professeure Moro explique que « chez les adolescents, qui sont dans une période d’ouverture vers la vie sociale et amicale, ces contraintes vont à l’encontre du mouvement d’autonomisation par rapport aux parents. Ceci explique qu’elles aient un impact encore plus marqué que chez les enfants plus jeunes. » En effet, l’enquête Ipsos montre que les étudiants ont été encore plus touchés que les collégiens ou lycéens par la crise Covid. Là encore, le professeure Moro met en cause l’arrêt de « la prise d’autonomie » qui a généré chez de nombreux étudiants « des troubles du sommeil [et] un sentiment d’avenir bouché et perdu. » (vidal.fr)
Par ailleurs, sur la tranche des 18-24, les 22-24 ans présentent davantage de troubles mentaux que les plus jeunes. En cause, un éloignement familial plus fréquent et son corollaire de l’isolement pendant le confinement. Ce qui ne signifie pas que les jeunes restés dans leurs familles aient été exempts de difficulté relationnels ou de troubles anxieux. Mais ceux qui habitaient loin de leurs proches ont particulièrement souffert de la rupture du lien social réel. Le numérique n’ayant, on l’a constaté à tout âge, pu remplacer le contact humain concret.
40% des jeunes de moins de 25 ans rapportent un trouble anxieux généralisé. (+9 points par rapport à l’ensemble des Français). Parmi les 22-24 ans, plus fréquemment isolés, hors du foyer familial, près d’1 sur 2 avoue des niveaux de problèmes qui font suspecter un seuil d’anxiété nécessitant une évaluation clinique psychiatrique. (47% contre 31% pour les 18-21 ans).
Enquête Ipsos, Perceptions et représentations des maladies mentales. Avec l’urgence sanitaire, l’urgence psychiatrique, Focus jeunes 18-24 ans, janvier 2021
Méconnaissance des troubles de la santé mentale
Le bilan de la santé mentale des jeunes en temps de pandémie de COVID 19 montre que les jeunes méconnaissent le système de prise en charge des troubles mentaux. Mais surtout ils ignorent les conséquences des troubles mentaux sur leur vie quotidienne. Ainsi, seulement 36% déclarent connaitre « les outils existants [qui] permettent de diagnostiquer des maladies mentales » et 32% « les traitements pour soigner les maladies mentales ».
Il apparait donc que les jeunes sont sous-informés par rapport au reste de la population. Et qu’ils ignorent les conséquences à court ou plus long terme des troubles mentaux sur leur vie.
Une prise en charge des troubles mentaux des jeunes insuffisante et inadaptée
Autre point alarmant : l’absence de structures adaptées à l’accueil des adolescents et des jeunes adultes. D’une manière générale, le domaine psychiatrique fait figure de parent pauvre de la médecine. La fondation FondaMental, qui a diligenté l’enquête Ipsos, attirait déjà l’attention du grand public et des pouvoirs publics en 2018 avec son ouvrage Psychiatrie : l’État d’urgence. Ainsi, elle estimait à 12 millions le nombre d’individus concernés par les troubles mentaux. Elle déclare sur son site : « Nous avons ausculté l’organisation des soins en psychiatrie qui, en cinquante ans, est passée d’un idéal d’égalité, partout sur le territoire, à un dédale dans lequel plus personne ne se retrouve, même les acteurs les plus impliqués. »
Surtout, cette fondation rappelle que les troubles mentaux sont des maladies qui se soignent tout comme les autres pathologies. Le manque cruel de moyens et un défaut d’organisation limitent la prise en charge des patients. Et la crise COVID n’a fait qu’amplifier une situation déjà extrêmement tendue. Dans ce contexte de pénurie de réponse satisfaisante, le dispositif PsyEnfantAdo tente d’apporter une solution. Mais il ne répond que partiellement aux besoins des patients.
De plus, les psychologues critiquent le système de prescription et de remboursement. Selon le site france-victimes.fr, cela alourdit le parcours de soin du patient. De plus, cela met « à mal la confidentialité des échanges » et restreint l’accès à une classe d’âge et de symptômes. Au final, les professionnels du secteur relèvent une « inégalité d’accès à la prise en charge psychologique ». Ils pointent également un taux de remboursement insuffisant.
Conséquences à long terme de la crise du COVID
On a pu observer les conséquences à court terme de la crise sanitaire sur le mental des jeunes. Et le constat était préoccupant, voire alarmant. Nous avions d’ailleurs recueilli ici les témoignages de Léa et Mehdi à propos de leur année d’étude sous COVID. Depuis l’hiver dernier, plusieurs documentaires, mais aussi les réseaux sociaux, ont relayé la parole des adolescents et des jeunes adultes. Comme celui de France.tv Mes 15 ans dans ma chambre diffusé sur France 2 dans l’émission Infrarouge. On y suivait cinq adolescents, élèves de Seconde, confrontés au confinement. Chacun·e à sa manière affrontait ce grand bouleversement tout en continuant, malgré tout, à grandir, à mûrir, à réfléchir sur soi et sur le monde.
De plus, les médias ont donné la parole à des étudiant·e·s plus âgés, souffrant d’isolement, de précarité. Des jeunes qui peinaient à trouver l’énergie nécessaire pour rebondir et continuer à aller de l’avant, envers et contre tout. Le degré de résilience de chacun·e a pu révéler leur capacité à mobiliser leurs ressources mentales pour se sortir de cette ornière. Mais pour certain·e·s, l’accumulation de facteurs a fait déborder la coupe et a nécessité une prise en charge qui tarde encore à venir.
Comment évaluer la santé mentale des jeunes et les aider ?
Angèle Consoli explique que « certains signes doivent alerter les parents. Un changement de comportement, ce qu’on appelle une rupture avec l’état antérieur. Si l’enfant est plus irritable, plus colérique, plus explosif, ou plus en retrait, qu’il s’isole… Ce sont des signes qui doivent alerter, aussi à l’école ou via le réseau de sien. Il faut qu’on soit vigilants : il y a un impact sur la santé mentale. Si cela arrive, il faut parler avec son enfant, quel que soit son âge, avec les mots adaptés. Lui demander ce qui l’inquiète, ce qui l’angoisse. » (France Inter). Elle ajoute qu’ »une des réponses, c’est de se projeter vers un avenir meilleur. »
Il est plus que temps de renouer avec l’espoir, l’envie, la joie de vivre, sentiments moteurs de tout projet. Bâtir son projet d’avenir, se projeter dans un futur maîtrisé, voulu, désiré. Voilà ce que nous pouvons souhaiter pour cette nouvelle année d’expériences qui démarre. Ne pas négliger les appels à l’aide, ne pas toujours penser que « ça rentrera dans l’ordre avec le temps ». Comme le rappelle FondaMental, la prise en charge médicale des troubles mentaux permet d’améliorer la santé mentale des patients. Tout comme on va chez le médecin pour soigner son angine, on ne doit pas hésiter à faire soigner sa dépression, son état anxieux, ses TOC etc.
Les services d’écoute et d’accompagnement gratuits
Source : ameli.fr (entrer son code postal pour obtenir des informations locales) et santepubliquefrance.fr
Concernant la santé mentale des jeunes en particulier
- Fil santé jeunes (attention site en construction) est destiné aux jeunes de 12 à 25 ans. Infos accessibles sur leur site sur des thématiques diverses (mal-être, drogues, addictions…). Il est aussi possible de les appeler anonymement au 0 800 235 236 (tous les jours de 9h à 23h).
- www.info-depression.fr pour mieux comprendre la dépression, ses symptômes et ses traitements, s’informer sur la prise en charge (où et à qui s’adresser).
- SOS Amitié apporte une écoute et un soutien aux personnes de tout âge en détresse psychologique ou à leur entourage. Ils assurent une permanence téléphonique tous les jours, 24h/24. L’appel et le service est gratuit. Pour les joindre : 09 72 39 40 50
Lignes dédiées aux familles et aux parents
- Ecoute famille Unafam, destiné aux personnes qui doivent faire face à la maladie psychique d’un proche. On peut joindre un psychologue du lundi au vendredi, de 9h à 13h et de 14h à 18h (17h le vendredi) au 01 42 63 03 03.
- Inter service parents pour les parents résidant en région Île-de-France qui rencontrent des difficultés avec leur enfant. Des professionnels répondent aux parents du lundi au vendredi (sauf le mercredi), de 10h à 12h et de 14h à 16h au 01 44 93 44 93 au prix d’un appel non surtaxé, depuis un fixe ou un mobile.
- Phare Enfants Parents est une association engagée dans la lutte contre le mal-être et la prévention du suicide des jeunes. Des bénévoles sont à l’écoute des jeunes ou des parents confrontés au mal-être et au suicide des jeunes. Cette association est joignable par mail à cavaoupas@phare.org ou vivre@phare.org ou par téléphone, du lundi au vendredi de 10h à 17h au 01 43 46 00 62 au prix d’un appel non surtaxé, depuis un fixe ou un mobile.
Lignes d’écoute spécialisées pour les personnes qui ont besoin d’aide et leur entourage
Appels anonymes et gratuits :
- Drogues info service : 0 800 23 13 13, tous les jours, de 8h à 2h ;
- Tabac info service : 39 89, du lundi au samedi, de 8h à 20h. Si un contact avec un tabacologue est demandé, le service devient payant (prix d’un appel non surtaxé) ;
- Alcool info service : 0 980 980 930, tous les jours, de 8h à 2h ;
- Suicide Écoute : 01 45 39 40 00, tous les jours, 24h/24. Coût d’une communication locale. Ce service permet une écoute des personnes en grande souffrance psychologique ou confrontées au suicide, et de leur entourage.
- SOS Suicide Phénix : 01 40 44 46 45 (13h-23h)