Derrière la question de l’orientation scolaire, il y a l’injonction de réussir sa vie. Et avec elle l’angoisse qu’elle suscite dans les familles, côté parents comme côté jeunes. Si le modèle de réussite dominant reste celui d’un métier valorisé socialement et financièrement (CF l’enquête de l’OCDE sur les aspirations des ados de janvier 2020), certains jeunes font sécession. Leurs critères d’orientation valorisent leur bien-être au quotidien. Ils n’ont résolument pas envie de suivre la voie de leurs parents. Car ils recherchent avant tout le métier qui leur permettra de s’épanouir, d’avoir du temps libre et de rester ouvert aux opportunités de la vie.
Qui sont ces jeunes qui changent les critères de réussite ?
En matière d’indice de confiance en l’avenir, les statistiques fluctuent en fonction des critères pris en compte. En 2009, Le Monde reprenait une étude Ipsos pour la Fondation Wyeth qui annonçait que « plus de 7 ados sur 10 disent être confiants par rapport à leurs capacités personnelles à réussir dans la vie ». Mais, en 2017, L’Express titrait « 8 jeunes sur 10 sont pessimistes pour l’avenir » d’après un sondage Opinionway pour l’Udes. Enfin, en mars 2021, un sondage BVA tentait d’évaluer l’impact de la crise sur l’orientation des jeunes. Ainsi, « 86 % des répondants avouent être inquiets ou l’avoir été » concernant leurs choix d’orientation. Et « 62 % des étudiants ont peur de ne pas trouver d’emploi après leurs études ». Dans ce contexte peu engageant, certains jeunes prennent une direction inédite et qui surprend souvent leur entourage.
Un contexte économique, social et environnemental morose qui pousse à l’émancipation
Tout d’abord, il y a ce contexte diagnostiqué lourd, complexe, changeant par les médias. En résumé, les jeunes se trouvent confrontés à un futur qu’on leur prédit difficile. Plus difficile que celui de leurs parents. Les causes, réelles, sont multiples et souvent ressassées en boucle par les journalistes :
- la crise du Covid qui malmène l’économie et le moral,
- la crise climatique qui annonce des catastrophes naturelles aux conséquences dramatiques,
- le terrorisme, la délinquance, l’insécurité…
À côté de ces discours inquiétants qui tirent parfois sur l’ambiance fin de monde, les jeunes doivent continuer à faire comme leurs aînés. Perpétuer la société humaine, parce que c’est comme ça depuis la nuit des temps. Sauf que dans cette pensée somme toute linéaire et dont l’aboutissement n’est jamais tangible, on oublie la formidable capacité des jeunes à observer le monde différemment de leurs aînés.
Et c’est une bonne nouvelle pour l’humanité. Car qui, sinon les générations futures, pourrait être plus impliqué que les jeunes dans l’avenir de notre planète ?
Car ces jeunes ont bien compris que si on ne change pas les modèles, la société ne changera pas. Et elle ira très certainement vers un durcissement des conflits. Alors, changer de critères de réussite pour certains, c’est une manière de revenir à l’essentiel. De se poser « les bonnes questions ». Qu’est-ce que je veux faire de ma vie ? Comment je me projette dans mon futur ? De quoi j’ai besoin pour aller bien ? Quelles actions dois-je accomplir pour y parvenir ?
Une offre de formations riche et accessible pour réussir sa vie à tout moment
L’émancipation des jeunes autorise cette réflexion qui s’appuie sur la versatilité des formations. Aujourd’hui, les possibilités d’accéder aux connaissances, de valider ses acquis sont pléthores. L’explosion des MOOC et autres formations en ligne favorise (et démocratise) l’accès aux connaissances. Et ce, tout le long de la vie. Pour répondre à un besoin personnel de formation ou pour se tenir à jour et s’adapter au marché du travail. En formation initiale ou en formation continue, en présentiel ou en distanciel, en alternance, l’offre s’adapte à tous les profils. Et donne la liberté à chacun·e de construire son parcours sur une temporalité qui ne se résume pas au post-bac.
Ainsi, les jeunes qui utilisent massivement les plateformes Youtube, les comptes discord et même Instagram pour réviser et s’informer, ont aussi le réflexe numérique pour se former. Même si une grande majorité continue d’emprunter les voies traditionnelles, elle le fait en sachant que rien n’est figé ni définitif. Il sera toujours temps de bifurquer, de se réorienter, de compléter sa formation ultérieurement. Ceux qui ont pris conscience de cette formidable liberté abordent les questions de l’orientation avec moins d’appréhension. Ce qui les autorise aussi à plus de liberté dans leurs choix et plus de distanciation par rapport à leur famille.
Casser les normes pour réussir sa vie : le choix d’une minorité rebelle ?
Concrètement, cela se manifeste par des choix de carrière dissonants face au contexte familial et aux normes sociétales de réussite.
Premièrement, le montant du salaire ne figure plus parmi les critères fondamentaux. Deuxièmement, les conditions d’exercice, lieu de travail, emploi du temps, temps de trajet, revêtent une grande importance. Enfin, troisièmement, les objectifs de l’entreprise sont étudiés à la loupe. En effet, on remarque une tendance des jeunes diplômés à se détourner des grandes entreprises réputées polluantes et/ou peu respectueuses de leurs collaborateurs.
Tout comme les actifs désirent se reconvertir vers des métiers qui font sens, les jeunes sont sensibles à ces carrières qui changent d’orientation. Ils sont sensibles aux problématiques de burn et bore out. Ils s’interrogent sur ces parcours tout tracés qui de grandes écoles en double master conduisent vers un quotidien sans surprise. La peur de l’ennui, de l’inutilité et de la souffrance au travail conduit certains jeunes à casser ces modèles de réussite. D’une part, ils considèrent qu’ils ne tiennent pas leurs promesses. D’autre part, ils estiment que ces modèles contreviennent aux besoins de la société en matière d’écologie.
Vers un désengagement de la société de consommation ?
Faire sécession pour créer ses nouveaux codes de réussite
Au vu de ce constat, qui ne concerne toutefois qu’une minorité, on peut se demander ce qui pousse ces jeunes à refuser les modèles dominants de réussite. La pression pour poursuivre des études longues, en école de commerce, école d’ingénieur etc. est forte dans les classes sociales aisées. C’est justement dans ces milieux où la réussite semble toute tracée, qu’on trouve des jeunes qui font sécession. Ce terme est d’ailleurs cher au romancier Vincent Villeminot qui, dans Nous sommes l’étincelle, dépeint une société où des individus tentent un nouveau mode de société plus proche de la nature, plus collectif. Il montre bien comment les jeunes sont justement aptes à remettre en question des modèles que les adultes pensent immuables. Bien que compris par les adultes et parfois même encouragés, ces derniers restent souvent prisonniers de leur propre vie.
Les jeunes qui décident aujourd’hui d’emprunter d’autres voies n’ont pas nécessairement une utopie en tête. Ils cherchent une forme de simplicité, un mode de vie respectueux des autres et d’eux-mêmes. Ils ont trop vu leurs parents consacrer trop de temps au travail. Ces jeunes adultes cherchent la voie qui leur permettra d’exercer un métier qui leur plait, mais qui leur laisse aussi du temps. Du temps pour le loisir, la détente, le bien-être.
Réussir sa vie en respectant l’écologie
À la croisée des tendances de repli vers des carrières « classiques » et l’envie de changement, on trouve ces nouveaux diplômés qui refusent de travailler dans les entreprises polluantes. Ou qui décident de s’investir pour changer les choses de l’intérieur.
Ainsi le New York Times consacrait un article récent aux étudiants des Grandes Écoles qui s’emparent de la cause environnementale. À titre d’exemple, il relate l’opposition des étudiants de l’École Polytechnique contre l’installation d’un centre de recherche Total au sein de leur établissement. Benoit Halgand, 22 ans, en dernière année à Polytechnique, déclare à ce propos : « Je trouve ça dérangeant d’être influencé par Total qui a une vision assez biaisée de la transition énergétique,”. Il pointe ainsi la logique du groupe de favoriser les énergies fossiles pendant encore de nombreuses années.
En 2018 déjà , un “Manifeste pour un éveil écologique » rédigé par des étudiants de Grandes Écoles et d’universités appelait à “placer la transition écologique au coeur de notre projet de société”. Il avait recueilli près de 30 000 signatures en quelques semaines. Cette tendance a d’abord surpris les observateurs, car traditionnellement les étudiants de ces filières restaient plutôt discrets sur leurs engagements.
Mais un large mouvement partout en Europe montre que les étudiants destinés à des carrières dans des grandes entreprises de l’énergie, de l’industrie etc. réclament un changement radical en matière écologique. Benoit Halgand rapporte que les entreprises « font tout » pour [les] recruter. Mais lui leur répond : « Nous, on ne viendra pas parce que vous êtes en train de détruire la planète et qu’on ne cautionne pas le système économique dans lequel vous êtes ». Et il indique que « ça leur fait peur”. Ces étudiants ont compris qu’ils avaient la main sur leur avenir. Et qu’ils avaient le pouvoir, mais surtout le devoir, de faire bouger les choses, pour le bien de tous.
L’impact de l’éco-anxiété chez les jeunes
Toutefois, d’autres jeunes, en dehors des cursus des Grandes Écoles, poursuivent aussi des objectifs respectueux de l’environnement. S’ils ne peuvent agir au sein des entreprises polluantes, ils font le choix de sortir des logiques de profit qui dégradent la planète. Ils misent sur la proximité, l’économie solidaire, des circuits courts et traçables. Pour certains, la préoccupation écologique génère des angoisses profondes. On parle alors d’éco-anxiété, sujet traité par Alexandra d’Império sur son blog et que nous avions interrogée au sujet de l’écologie et les jeunes.
Ainsi, on trouve des jeunes issus de filières générales avec de très bonnes notes choisir d’être guide de montagne, éducateur sportif, pâtissière, tapissier, agriculteur en permaculture etc. Ils ont décidé que leurs résultats scolaires ne devaient pas les enfermer dans des filières qui ne les satisferont pas. Ils manifestent l’envie d’exercer un métier qui a du sens, dont le résultat est tangible et qui respecte l’environnement.
D’autres encore font le choix de ce qu’ils définissent comme un confort de vie où le bien-être occupe une place fondamentale. D’où vient cette méfiance vis-à-vis du travail et ce besoin de garantie d’un quotidien supposé heureux ? Le modèle parental agirait-il comme un repoussoir pour certains ?
L’hyperparentalité conduit-elle les jeunes à se détourner des modèles classiques pour réussir sa vie ?
Le déterminisme influence nos choix d’orientation et notre réussite
Question épineuse que celle qui consiste à interroger le déterminisme. Jusqu’à quel point sommes-nous déterminés par notre environnement socio-affectif ? Ferions-nous les mêmes choix si nous n’avions pas eu les parents que nous avons eus, les amis, les enseignants ? Si nous n’avions pas habité à la campagne, à la ville ?… Déjà Sartre débattait de ce thème puis décidait de soutenir les étudiants de mai 68. Ceux-là aussi avaient décidé de ne pas vivre la même vie que leurs parents. Une vie perçue comme ennuyeuse, routinière, inféodée au travail répétitif et excluant le loisir. Une vie sans plaisir où le travail vaut comme sésame pour accéder à la consommation de masse.
Aujourd’hui, le contexte socio-économique a changé, mais le déterminisme, inhérent à tout être vivant, n’a pas disparu. En revanche, les moyens d’émancipation ont eux considérablement diminué. Alors que dans les années 60, on accédait facilement à l’emploi et à l’indépendance, on doit patienter plus longtemps pour quitter le domicile familial de nos jours (23,5 en moyenne en 2019 d’après Eurostat cité par La Croix).
Alors, on est forcément déterminé par plusieurs facteurs, mais chaque individu n’en fait pas la même chose. Chacun·e est libre d’agir pour orienter sa trajectoire.
L’hyperparentalité suscite la peur de ne pas réussir sa vie
Avec l’hyperparentalité, qui a tendance à surprotéger l’enfant face aux épreuves courantes de la vie, on aborde la question des conséquences du « trop plein d’attention ». Souvent les parents soucieux de bien faire privent leurs enfants d’expérimenter eux-mêmes la rudesse du quotidien. Cette bienveillance a des effets à long terme sur la prise de risque. Parfois certains jeunes refusent de s’engager ou de prendre des responsabilités parce qu’ils ne s’en sentent tout simplement pas capables. Ils comptent sur leurs parents pour continuer de les protéger financièrement et décident que ce critère n’est donc pas déterminant dans leur choix d’orientation. Cette attitude se retrouve plus difficilement dans les classes moins favorisées où l’entraide familiale matérielle n’est pas possible.
Chez ces jeunes, on peut constater un syndrome de Peter Pan qui caractérise le fait de refuser de grandir, de prendre ses responsabilités, notamment financières. Les parents s’inquiètent pour leurs enfants, car ils ont le sentiment que le jour où ils ne seront plus là, ils ne seront pas capables d’affronter les aléas de l’existence. C’est pourquoi souvent les parents souhaitent que leurs enfants « gagnent bien leur vie ». Mais à trop laisser poindre leurs angoisses, ils les communiquent à leurs enfants. Certains peuvent penser ne pas être à la hauteur des attentes de leurs parents pour réussir leur vie comme ils l’ont imaginé à leur place. Pour d’autres, un parcours sans embûche jusqu’au bac vaut remerciement aux parents pour leurs bons soins. Une fois le contrat rempli, certains jeunes prennent leur envol vers des horizons auxquels les parents ne s’attendaient pas. Et ouvrent de nouvelles perspectives de réussite !
Finalement, le meilleur moyen de conserver une bonne entente parents/enfants reste et demeura toujours la communication. À chacun la mission de « réussir sa vie » en fonction de sa personnalité, de ses besoins, de ses attentes personnelles et de la réalité du monde. À tout âge, pour les parents, comme pour leurs enfants.