Ces derniers jours l’actualité n’a cessé de faire bondir le coeur des parents. Reprendra, reprendra pas ? Le retour à l’école à compter du 11 mai suscite de nombreux débats au sein des familles et entre parents. Il s’agira beaucoup plus probablement d’un retour très progressif, en fonction de la localisation des écoles et des élèves ciblés.
J’ai recueilli les témoignages de parents de collégiens pressés par les établissements de se prononcer sur le retour ou non de leurs enfants en présentiel.
Prévalence de la nécessité économique dans le retour à l’école
En première analyse, les familles ont pensé d’entrée de jeu déconfinement=reprise du travail=retour à l’école. Sauf que la liberté du choix énoncée par le Premier ministre a créé de fait deux catégories distinctes de parents. Il y a ceux qui n’ont pas le choix de se rendre sur leur lieu de travail. Et il y a ceux qui peuvent poursuivre le télétravail. Chacun des deux groupes aura donc tendance a adopté des points de vue d’emblée différent.
Les travailleurs en présentiel comptent sur un retour à l’école régulier
Ainsi, Myriam, orthophoniste dans le 94, a hâte de reprendre ses consultations. Jusqu’à présent, elle a réussi à maintenir le lien avec la plupart de ses patients. Mais pour certains, dont le suivi réclame une adaptation constante des outils, travailler par visio-conférence était impossible. Pour ceux-là, il devient urgent que les soins reprennent. Cependant, Myriam s’inquiète.
« La reprise va être très difficile. J’ai deux enfants scolarisés en primaire et au collège et je ne sais pas du tout comment la commune compte organiser les semaines. J’ai besoin de faire un planning et je suis coincée pour le moment. Ce n’est pas très rassurant pour mes patients qui comptent vraiment sur moi pour les accompagner pour leur retour à l’école. De plus, je vais devoir porter un masque. Pour éviter d’effrayer les plus jeunes, j’ai prévu de leur envoyer une photo de moi avec. C’est vraiment l’inconnu. Je ne sais pas bien où je vais et je n’aime pas ça ! »
Myriam, orthophoniste et maman de deux enfants
Le cas des orthophonistes est particulier puisqu’elles ont dû batailler pour faire entendre leur droit au masque auprès de l’ARS. Si les soins d’orthophonie n’ont pas fait partie de ceux de première nécessité, il devient urgent désormais de relancer les consultations. N’oublions pas que les orthophonistes ne prennent pas seulement en charge les enfants en difficulté scolaire, langagière ou autre. Elles (profession féminine à 96,8%) assurent aussi la rééducation des personnes ayant eu des accidents (AVC ou autre) et souffrant de problèmes d’élocution ou de déglutition. Des soins qui ne peuvent plus être différés sans fin.
Par ailleurs, les salariés des secteurs industriels, BTP et commerciaux, mis en chômage partiel pour beaucoup, espèrent une reprise de leur activité. La crainte est grande de perdre définitivement son emploi. Oscar, conducteur d’engins de chantier et père de deux garçons de 11 et 14 ans en Normandie croise les doigts pour que le collège rouvre ses portes.
« Au début, Daniel et Lucas suivaient bien et faisaient tout le travail donné. Mais après les vacances, il a fallu que je sois sur leur dos toute la journée. On ne peut plus continuer comme ça. Ils ont besoin de voir leurs copains. Et moi d’aller travailler. Si je ne suis plus là la journée, ils vont passer leur temps sur leurs jeux vidéos. Leur mère travaille dans la grande distribution et n’a pas le temps de les aider. Nous comptons sur le retour à l’école pour sortir de tout ça. «
Oscar, conducteur d’engins, père de Daniel et Lucas (11 et 14 ans)
De nombreux parents s’interrogent sur le fait de laisser seuls toute la journée leurs ados à la maison. La reprise du travail s’annonce déjà difficile et éprouvante pour les travailleurs. Si en plus, il fallait jouer au gendarme en rentrant le soir du boulot, les difficultés vont vite devenir insurmontables.
Les télé-travailleurs en burn-out
De son côté, Alia, éditrice indépendante à Lyon, ne cache pas son ras-le-bol. Divorcée et maman de Moses, 13 ans et de Sofia, 7 ans, elle attend avec impatience le retour à l’école de ses enfants.
« Je n’arrive pas à travailler avec eux. Ils passent leur temps à se chamailler pour rien. Je crois qu’ils sentent que je ne suis pas disponible et ils me le font sentir. Cette situation est vraiment contre nature pour nous qui sortons beaucoup d’habitude. Je me sens un peu coupable de dire ça, mais j’ai hâte que le retour à l’école soit confirmé. »
Alia, maman de Moses, 13 ans et Sofia, 7 ans
En effet, il n’est pas toujours évident d’exprimer ses sentiments au sujet de la reprise de l’école. Certains parents ont même fait l’objet de harcèlement sur les réseaux sociaux lorsqu’ils l’ont évoqué, comme le pointe l’Express. Jugés comme « monstrueux » aux yeux des « bien pensants », les parents qui ont décidé de remettre leurs enfants à l’école se font désormais discrets.
Et si l’on sortait tout simplement de ce débat ennuyeux et stérile qui consiste à donner systématiquement tort ou raison ?
Dans cette histoire de retour à l’école, on dirait que tout a été pensé pour cliver les familles. Entre celles qui ont le choix et les autres. Mais aussi entre celles qui s’empêchent et celles qui sont empêchées.
Principe de précaution et flou politique s’opposent au retour à l’école
L’impact psychologique du déconfinement sur les familles
Alors que le monde entier subit une crise sanitaire inédite, le retour à la normale, même progressif, ne va pas de soi. Après sept semaines de confinement, nos velléités de reprise de « notre vie d’avant » ont diminué ou ont tenté de migrer vers une attitude responsable, raisonnable, rationnelle. Abreuvés de bilans quotidiens décomptant le nombre de malades et de morts, nous ne pouvons décemment pas baisser notre garde du jour au lendemain.
Même si le déconfinement a été annoncé progressif, nous avons perdu nos repères. Ainsi, renvoyer nos enfants à l’école alors qu’ils sont très peu sortis pendant deux mois, voire pas du tout pour certains, c’est compliqué. Non, il n’y aura pas de fête, d’explosion de joie. Au contraire, les paysages que nous allons découvrir à l’extérva pas de soi. Après sept semaines de confinement, nos velléités de reprise de « notre vie d’avant » ont diminué ou ont tenté de migrer vers une aieur seront plutôt anxiogènes. De ma fenêtre, je vois les passants qui s’évitent, presque tous masqués, qui d’un foulard, qui d’un masque cousu main, qui d’un autre muni d’une visière imposante… Alors, non, demain ne sera pas hier.
Le retour à la normale doit d’abord se faire dans les esprits, dans la diminution de la crainte de la contamination. Disons, dans une proportion raisonnable. Ainsi, les conditions énoncées actuellement pour le retour à l’école des élèves semble intenable et insoutenable. Muriel, enseignante en SEGPA à Grenoble s’interroge sur les gestes barrière appliqués à ses élèves.
« Les élèves ne devront pas se croiser. Ni dans les couloirs, ni à la cantine, ni à la récré. (…) ils ne pourront toucher à rien d’autre qu’à leurs affaires et leur bureau. Donc pas ou peu de communication et d’interaction. La base de ma pratique de classe en somme. Je ne vois pas bien comment je vais faire cours. Je ne sais même pas s’ils vont venir. Certains m’ont déjà avertie qu’ils garderaient leurs enfants. Pourtant, j’ai une classe de décrocheurs. Mais les parents ont trop peur. Ils aimeraient vraiment que l’école reprenne, mais ils pensent que c’est trop tôt. Ils attendent de voir comment ça se passe. «
Muriel, enseignante en SEGPA à Grenoble
Est-ce à dire que les élèves qui seraient scolarisés serviraient de cobayes ? C’est le sentiment de Haroun et Mickaëlla, les parents de Mia et Marcus leurs jumeaux de 14 ans.
« Nous avons perdus des parents proches à cause du COVID-19. On ne veut prendre aucun risque. J’ai l’impression qu’on envoie les enfants au front parce qu’on part du principe qu’ils sont moins malades. Mais chez nous, ça ne passe pas. On ne peut pas passer l’éponge sur deux décès en deux mois. »
Mickaëlla, maman de Mia et Marcus (14 ans)
Son conjoint est toutefois plus nuancé et espère que la situation autorisera bientôt tout le monde à circuler librement.
« Je fais le choix aujourd’hui de rester en télétravail pour encadrer mes enfants. Mais je sais très bien qu’ils seraient mieux avec leurs amis au collège. Ce n’est pas en les gardant sous cloche qu’ils vont grandir. Ils ont besoin d’indépendance, c’est normal et j’espère que nous allons pouvoir bientôt leur rendre leur autonomie. »
Haroun, papa de Mia et Marcus (14 ans)
Les atermoiements du politique face au retour à l’école
Au final, ce qui est très positif pour l’école avec ce fichu confinement, c’est qu’on en reconnaît les vertus bien plus facilement qu’en temps normal ! Et ce, aussi bien dans son attractivité didactique et pédagogique que dans sa faculté à permettre la socialisation des jeunes. En effet, comme l’expliquait la sociologue Agnès Van Zanten à Télérama (n° 3668 du 2 au 8 mai) : « Malgré toutes ses imperfections, l’école française est un facteur égalisateur. En classe, l’élève est au sein d’un groupe : même s’il a des difficultés, il a des copains, une place sociale, alors qu’à la maison il est seul face à son échec, ce qui peut accélérer les décrochages. Le fossé à combler risque d’être important. »
De fait, les parents qui ne souhaitent pas un retour à l’école pour leurs enfants prolongent le confinement bien plus qu’ils ne cherchent à éviter l’enseignement, par ailleurs maintenu à distance. Il n’ y a pas de remise en question de l’école comme institution. Sans doute cela a-t-il pu se produire à la marge pour les familles déjà tentées par l’école à la maison (homeschooling). Mais au final, de nombreux parents ont salué le travail des enseignants et se sont rendus compte des difficultés du métier de prof. Pour autant, leur peur de la contamination au nouveau coronavirus l’emporte sur la nécessité de reprise des cours. Même pour les plus fragiles.
D’une manière générale, de nombreux parents m’ont expliqué avoir changé plusieurs fois d’avis.
« Quand nous avons été sollicités par le chef d’établissement pour savoir si Clara et Doris reviendraient dans leur classe de 6ème et 4ème, nous avons dit oui. Très vite nous nous sommes rendus compte que nous étions les seuls parmi nos amis. Et nos filles ne retrouveraient même pas leurs copines. Finalement, nous avons suspendu notre décision et attendons d’en savoir davantage sur les conditions de reprise. »
Maria, maman de Clara et Doris (12 et 14 ans)
Le papa nous livre également son point de vue, proche et pointant le dilemme lancinant des parents cette semaine.
« C’est difficile pour nous parents, car nous sommes tiraillés entre la nécessité de prémunir nos filles d’une contagion éventuelle et leur besoin légitime d’autonomie, d’indépendance. Aller au collège, fréquenter les copines et se confronter à d’autres adultes, c’est fondamental pour leur développement. Mais aujourd’hui, est-ce seulement possible dans les classes avec tous ces gestes barrière ? Ne vaut-il pas mieux attendre septembre ? »
Gary, papa de Clara et Doris (12 et 14 ans)
Sortir de la culpabilité et accepter le doute
En fait, la plupart des parents ont relevé la date de reprise des cours dans d’autres pays d’Europe (Italie, Espagne…). Ainsi, ils se demandent pourquoi la France ne suit pas la même organisation.
« Ils ont fermé les écoles au tout début et les voilà qui rouvrent en premier. C’est à n’y rien comprendre. Je ne sais plus quoi penser. Je suis à bout de devoir sans cesse tergiverser et culpabiliser. Parfois, je ne sais plus où sont mes priorités. »
Anne, vendeuse et maman de Julian, 13 ans
Pendant le confinement, il a beaucoup été question de la charge mentale des femmes. Si elle s’est considérablement accrue chez les femmes en couple, elle a explosé chez les mères célibataires. Ainsi, Anne devra reprendre son poste de responsable d’une boutique de vêtements dès sa réouverture le 12 mai. Pour autant, elle a décidé de ne pas renvoyer son fils au collège avant le mois de juin, « pour voir comment ça se passe d’ici-là ».
Plus globalement, la culpabilité ronge les parents, quel que soit leur point de vue sur le retour à l’école. Lorsqu’ils y sont favorables, leur entourage leur envoie des signes d’incompréhension, voire de jugement négatif. « Tu ne vas pas remettre tes enfants à l’école alors que le virus est toujours actif ! » Quand ils y sont opposés, la menace d’une grave crise économique les font douter. « Et avec quoi tu vas les nourrir si tu n’as plus de travail ? »
Quelle autre solution que de sortir de ce manichéisme en revendiquant le doute ? Pour prendre une décision, il faut disposer d’éléments définis. Or la particularité d’une crise est son évolution permanente. Nous sommes amené-e-s à reconsidérer presque au jour le jour notre point de vue. C’est épuisant, insatisfaisant et chronophage !
Dans la mesure où – a priori – le retour à l’école ne sera pas obligatoire et uniquement à temps partiel, évaluons plutôt comment nous pourrons accompagner le déconfinement. Avec des masques, du gel, peut-être, sans doute, mais pas seulement. Retrouver l’extérieur, ses ami-e-s, renouer contact avec sa famille, ses voisins, ses commerçants. Bien d’autres perspectives s’annoncent avec le déconfinement, pas seulement un retour hypothétique à l’école.