Les beaux jours arrivent (enfin) et nos petites filles s’épanouissent à leur tour pour muer en pré-ados. Mais si elles ont des roses la beauté, leurs épines agacent ou blessent les parents imprudents. Plus que les mains, ce sont mes oreilles qui souffrent ces temps-ci ! Florilège de paroles de pré-ados, garanti 100% vécu !
C’est pas juste ! : la justice sauce pré-ados
Bon d’accord, celui là je l’entends depuis presque toujours. Mais depuis quelques temps, c’est pas juste prend l’allure d’un slogan politique. Il s’applique aussi bien au contenu de l’assiette que de la garde-robe. Au passage, avez-vous remarqué ce surcroit de consommation hautement énergétique (j’entends en graisses saturés et sucres rapides !) et l’augmentation du budget vêtements ? Hum, il a bon dos le pic de croissance !
Heureusement, c’est bientôt l’été et les fruits ont la cote. C’est le moment de préparer des salades de fruits et de sortir les sorbets du congélo. Quant aux fringues, se faire une raison : la petite robe en vichy d’il y a deux ans est définitivement trop courte et trop serrée et trop…ringarde ! Oh bonheur de ma pré-ado, aller chiner dans un troc chic refourguant de la taille 34. Pas de cabine, pas de vendeuse trop avenante, pas de conseil bidon (forcément !). Et je lave, et je plie patiemment du « trop grand », du « trop petit », du « ouais, ça va ». Mais je ne suis pas au bout de mes peines. Même si ma progéniture se sent « au bout de sa vie », déjà !
Nan, c’est nul ! J’veux pas ! : l’opposition façon ado-naissants
Si en algèbre, un résultat nul égale zéro, en langage pré-ados, la note tombe dans les négatifs. En fonction de l’intensité émise sur cette monosyllabe, le seuil critique du froid sidéral n’est pas loin. Nul s’entend pour une simple banalité, par exemple faire les courses, porter son sac de piscine, mettre son bonnet, se laver les cheveux, ramasser ses chaussettes… La liste est BEAUCOUP trop longue pour donner ici l’étendue de la nullité sur Terre.
Mais sur la première marche du podium trônent sans conteste les devoirs. Et là je me prends à rêver que ma toute récente ado mette autant de hargne et de férocité à se défendre ou à défendre une noble cause qu’elle en met à détester le travail de maison. Question : comment opérer un transfert d’énergie ? Chez nous, le karaté est une belle alternative.
D’ailleurs, comme par un heureux hasard ma karatéka raffole du tatami et en redemande. Je crois que je ferais bien de transformer mon salon en dojo pour ramener paix et sérénité en ma demeure !
C’est trop stylé ! : la branchitude selon les pré-ados
Oui, je sais cette expression agace et l’emploi de « trop » au lieu de « très » peut rendre nerveux en fin de journée. Après des années de lutte et de pédagogie en faveur du « très », je m’avoue vaincue par le « trop ». Même si le site « Parlez-vous french » me donne raison en expliquant que « très » exprime une idée d’intensité ou une qualité, tandis que « trop » indique une quantité excessive, j’ai tort. J’ai tort parce que je suis une rabat-joie qui n’a pas compris que le sens profond de ce « trop » marque l’enthousiasme, l’emportement, ce fameux trop-plein d’énergie. Nous les parents, calmes, posés, ou plus plausiblement avachis sur le canapé, ne possédons plus cet élan furieux, ce volcan bouillonnant qui juge au tranchoir. En clair, soit c’est nul, soit c’est trop stylé. L’entre-deux est laissé aux bolosses, pardon, à nous les adultes.
Reste ce stylé sur lequel je bute aussi. Bêtement pour moi, le style s’apparente à l’esthétique, à la mode, l’architecture, le design. Mais je sens bien que l’emploi de cette terminologie manque sa cible. S’il peut effectivement s’appliquer à la tenue vestimentaire, il convient plutôt à toutes formes de graphismes 2D et 3D. Ainsi, un jeu vidéo, un film, un dessin de pastèque d’une copine ou un chaton kawaï (comprenez choupinou en japonais) peuvent être trop stylés.
Par ailleurs, le style s’affirme aussi dans l’abstrait, une pensée, une fête, un karaoké entre filles, une soirée pyjama… Si j’ai bien tout compris donc, le style désigne une tendance appréciée, une activité, une idée, un objet à la mode. En gros, tout le contraire du ringard, du moche, de l’ennuyeux. Si je me lance à mon tour, ça peut donner « j’ai fait un cake au citron, AVEC un glaçage ROSE, c’est trop stylé ! » Ou la série Tchernobyl sur Orange évoque cette catastrophe avec minutie et réalisme. Elle est trop stylée… Je sais ça fait bizarre, mais mieux vaut en rire ! Et puis j’aime bien ronchonner pour marquer ma désapprobation face à ce massacre lexical. Cela m’amuse d’incarner la loi face au foisonnement de la langue juvénile. C’est ce qui permet aussi à ma pré-ado de se démarquer et d’incarner sa jeunesse !
Tu sais pas qui est Angèle ? : la ringardise expliquée par les jeunes
Ben, en fait si maintenant ! Même que je comprends mieux les sous-entendus et les non-dits de la chanson Balance ton quoi ? Les paroles ont beau être en français, quand on a dix/onze ans elles résonnent comme de l’anglais. Clin d’oeil aux années 80 et aux trente-trois tours de Madonna ou Michael Jackson. En plus de chanter en yaourt Billie Jean, avions-nous compris, clip à l’appui au Top 50, que la groupie réclamait un test de paternité pour son baby ? Ben non, bien sûr (et même les anglophones !). parce que ce qui compte c’est la musique, le rythme, l’ambiance générale de la chanson, pas son sens précis. Dans le même registre, je n’avais pas compris tout de suite que Roxane de The Police parlait d’une prostituée. Alors, comment expliquer le hashtag #Balance ton porc à sa fille ? Mémé disait « l’occasion fait le larron ». Merci Angèle !
Par ailleurs, la musique est un marqueur générationnel important. Elle soude un groupe d’amis, autorise l’évasion en pensée, stimule l’imagination, la rêverie, apaise les angoisses, libère les voix qui les entonnent. Mais elle éduque aussi les jeunes en les sensibilisant à des causes, à des problématiques dures (harcèlement, drogue, prostitution…). Parler du harcèlement et des agressions sexuelles avec des pré-ados est une nécessité à leur âge. Finalement, cette chanson d’Angèle amène des conversations parents/pré-ados primordiales et les facilite même en incarnant musicalement le propos. Alors, encore une fois, merci Angèle !
Ca sert à rien ! : pré-ados et principe d’utilité
Si rien c’est déjà quelque chose comme disait la pub, ce rien-là s’oppose à l’obligation et au devoir. Faire ses devoirs, ranger son cartable, comprendre la proportionnalité ? Ca sert à rien ! Aller se doucher, se couper les ongles, se démêler les cheveux ? A rien ! Dire bonjour, appeler sa grand-mère, jouer deux minutes avec sa soeur ! Rien, on vous dit ! Dans la pensée d’un pré-ado, le principe d’utilité se meut en égoïsme forcené, en quête absolue du plaisir et absence de contrainte.
Finie la jolie morale enfantine de l’enfant sage, du bon élève : place aux rebelles ! Quitte à frôler le ridicule, il faut s’opposer à tout prix, montrer qu’on ne gobe pas tout et n’importe quoi, sous prétexte que c’est papa ou maman qui le dit. Nous leur demandons d’utiliser leur tête ? Qu’à cela ne tienne, leur première expérience d’autonomie opèrera contre nous ! Combien de phrases débutant par « mais tu m’avais dit de faire ci ou ça » tournant au ridicule notre demande. De l’excès en toutes choses, sinon rien ! Même excès côté estime de soi.
De toute façon, je suis nulle : la mésestime des 8-12 ans
Qu’est-ce que nous n’aimons pas entendre cette phrase-là, nous parents débordant d’amour ! C’est à se demander si nous ne la prenons pas contre nous personnellement… En tant qu’individus à l’origine de ces pré-ados déprimés, nous avons souvent l’impression d’être responsables de leur manque d’estime. N’avons-nous pas été assez attentifs, prévenants, aimants ? N’avons-nous pas mis la barre trop haute ? Et de nous remettre en question, de nous torturer jusqu’à tard le soir pour faire l’anamnèse du spleen de notre 10-12 ans. En fait, c’est bien de se remettre en question, mais parfois…ça ne sert à rien !
Pourquoi ? Et bien parce que quand je demande à ma fille pourquoi elle est nulle, je dois faire face à une grande irrationalité qui n’a rien à voir avec une dépression profonde. Pour preuves les causes de sa nullité sont toujours indépendantes d’elle-même. Etre née en hiver et ne pas pouvoir faire la fête en plein air en robe de plage. Avoir les cheveux raides et rêver d’une coupe afro. Mesurer 1m44, alors que les « autres » ont atteint 1m50. Alors oui, c’est (un peu quand même) la faute des parents pour la date de naissance, les cheveux, la taille, mais qu’est-ce qu’on y peut ? Nous ne pouvons que répéter telles de gentilles poupées consolatrices : « Tu es merveilleuse comme tu es ! » Tant que la maturité n’y sera pas, je suis nulle n’aura de cesse de ressurgir à chaque contrariété.
Besoin de réassurance des pré-ados…
Dans le fond, nos louloutes ont encore grandement besoin d’être rassurées, chouchoutées et câlinées comme des « petites ». Elles aiment qu’on leur répète qu’on les aime et les apprécie pour s’assurer qu’elles ne vont pas nous perdre si elles changent. Ca nous laisse à nous aussi le temps de nous accoutumer à ce grand chamboulement qu’est l’adolescence. Entre 8-12 ans, leurs sautes d’humeur nous alertent sur les transformations à l’oeuvre et nous permettent d’en discuter avec elles. De ce fait, nous espérons que ce passage vers un âge plus autonome et responsable s’accomplisse en douceur.
Ainsi, dans un article du Figaro Santé, le Pr Antoine Guédenay indiquait que « le mouvement d’autonomisation de ces presque grands ne peut se faire que sur la base d’un attachement « sécure » avec les parents. C’est lui qui joue un rôle de socle dans la régulation émotionnelle et dans les rapports interpersonnels que mettent en place les pré-ados. »
Pourquoi moi, je n’ai pas… : petit manuel de propriété des tweens*
Se construire c’est sans doute se doter d’aspérités, s’y accrocher ou choisir les meilleures pour progresser. C’est aussi analyser les creux, combler les vides, trouver sa place en rejetant ou épousant des modèles proches ou lointains. Du coup, ma pré-ado remarque souvent ce qu’elle n’a pas, avant de relever ce qu’elle a la chance d’avoir. Ainsi, tout y passe : du physique au bassement matériel, en passant par l’intelligence.
S’en suit un enchaînement de comparaisons plus ou au moins réalistes. Ces derniers temps, les signes pubertaires des unes faisaient injustement ressortir leur absence chez ma grande. Parce que oui les filles s’observent, se comparent, notent les changements qui s’opèrent et forment des communautés de copines averties. A l’heure où les liens de camaraderie se renforcent, faire corps au sens propre comme au sens figuré relève du défi. Si la nature tarde à faire son oeuvre, elle peut provoquer des déséquilibres psycho-affectifs.
Encore une fois, les parents ont le rôle de réassurer leur pré-ado. En déplaçant leur attention et leur énergie vers des occupations passionnantes et valorisantes par exemple. Préparer une recette simple, rentrer tout seul, choisir ses vêtements, faire quelques courses au supermarché, assurer la décoration d’une fête familiale, surveiller ses frères et soeurs un court instant. Autant d’activités autonomes qui augmenteront l’estime de soi et l’indépendance. En leur faisant confiance, on leur montre aussi que tous les changements de l’adolescence ne tiennent pas qu’à la pilosité, à la poussée mammaire ou aux règles pour les filles !
Parfois le je n’ai pas se fait collectif et englobe notre indigne ou indigente famille. Pourquoi, nous on n’a pas un mas en Camargue ou un chalet aux Menuires ? Argh !!!!!!! A chaque vacances ou rayon de soleil, la dure réalité sociale rappelle à tous que nous n’avons pas de jardin, ni même de terrasse (et encore moins de piscine !). Quelle injustice ! Dans ces situations, je serine combien les valeurs de cohésion, de respect au sein de notre famille apportent de la joie au quotidien. Tout en pensant qu’un bout de nature dans notre vie urbaine pourrait également l’embellir !
Face à la différence sociale, ma meilleure arme reste l’humour. Parce qu’en Camargue tu finis comme Coluche dans Banzaï et qu’aux Menuires si tu mets pas tes gants on est obligé de t’amputer direct des deux bras ! Sinon, nous on a des cochons d’Inde. Et ça, hein, c’est pas tout le monde. Toc !
*mot-valise formé de la préposition between – entre – et teenager – adolescent