Les pédagogies Montessori, Freinet, Steiner ou autres ne datent pas d’aujourd’hui. Pourtant, leur notoriété s’accroît auprès des médias et du grand public. Effet marketing ? Réel désamour pour l’école publique ? Les écoles alternatives innovent et remettent en cause l’enseignement traditionnel. Entre fantasme et réalité, petite enquête en terrain alternatif.
La tentation du cocktail bienveillance/bien-être/épanouissement personnel
La peur de l’institution école
Vers les deux ans de votre tout-petit, vous réalisez soudain que l’heure de l’inscription à l’école approche. Puis vous vous rebellez en vous disant : mais pourquoi suivre les pédagogies institutionnelles comme des moutons ? Vous avez cette image en tête du clip de Pink Floyd : Another brick in the wall… L’horreur !
Moi la première, je me suis imaginée mon petit poussin broyé par un système éducatif formalisateur. Et j’ai tout de suite pensé : « Montessori ». Ce simple mot recouvrait pour moi toute la douceur et l’intelligence au service du jeune enfant. Une pédagogie idéale pour donner le goût d’apprendre, à son rythme.
Ainsi, nous sommes nombreux à freiner des quatre fers avant l’entrée en Petite Section et à rêver d’un environnement bienveillant et stimulant pour nos enfants. En fait, notre tentation d’une voie parallèle démontre notre méfiance à l’égard des méthodes et programmes de l’Education nationale.
Vécu personnel et angoisse de la réussite
Peut-être n’avons-nous pas eu une expérience personnelle satisfaisante de l’école publique… La toute puissance du maître, la peur de mal faire, la hantise de l’échec. Autant de mauvais souvenirs qui nous poussent à réfléchir. Mais aussi à questionner le système pour le bien-être et le futur de nos enfants.
Mais qu’est-ce que nous voulons exactement ? La réussite de nos enfants bien sûr ! La chance de les former au monde demain, qu’ils y trouvent leur place et s’y épanouissent.
Les pédagogies alternatives en quelques chiffres
Le nombre d’écoles à pédagogies alternatives augmente
Côté chiffres, le hors contrat rassemble 73 000 élèves selon le Monde, pour un total de 12,5 millions, primaire et secondaire compris. Une goutte d’eau ? Certes, mais la tendance est à l’augmentation, avec 122 nouvelles écoles à la rentrée 2017, dont quasiment la moitié se revendique de la méthode Montessori.
Cette évolution concerne surtout le primaire, avec un bond de 75 % en 6 ans, majoritairement laïque. Preuve supplémentaire de notre peur pour nos plus jeunes ? La tendance du primaire va-t-elle gagner bientôt le secondaire, dans une logique de suivi des élèves ? Ou au contraire, les écoles alternatives peinent-elles à convaincre les parents d’adolescents ?
L’école hors contrat comme subterfuge à une orientation non désirée
D’après Thomas Jallaud, directeur des éditions spécialisées Fabert, interrogé par Le Monde, « choisir une école secondaire hors contrat relève souvent de l’ultime solution pour échapper à une réorientation professionnelle, à un redoublement non souhaité, pour remédier à un manque d’engagement dans le travail scolaire compromettant les chances de réussite au bac ».
Ainsi, que l’on parle d’école alternative dans le primaire ou le secondaire, les stratégies visées sont très différentes. En revanche, la critique de l’Education nationale, perçue comme rigide, voire malveillante envers les ados en quête d’orientation scolaire, explique l’intérêt des parents pour le hors contrat.
Au fait, de quoi parle-t-on concrètement en terme de pédagogie ?
Les pédagogies alternatives au service de la formation des individus
Les principales pédagogies alternatives
Au titre des pédagogies alternatives, on retient essentiellement Montessori et Freinet et dans une moindre mesure Steiner, surveillé par la MIVILUDES. Développées dès les années 1900 pour Montessori et 1920 pour Freinet et Steiner, ces pédagogies placent l’enfant au centre des apprentissages, en font le principal acteur de sa formation et favorisent son autonomie.
Exit les cours magistraux, l’éducateur/enseignant anime et met à disposition le matériel nécessaire à chaque parcours. Ainsi, l’enfant est considéré comme singulier et il peut choisir ses activités et progresser à son rythme.
De plus, les productions sont contextualisées et inscrites dans des projets concrets (journal, spectacle, potager…). L’enfant expérimente et explore à partir de questions émergeant au quotidien, pour lui-même et dans le groupe (travail collectif chez Freinet).
Ainsi, l’individualisation de chaque parcours d’apprentissage crée une vraie différence avec l’école traditionnelle, réputée pour niveler ses élèves, par le haut ou le bas c’est selon. Et nous nous plaisons à imaginer nos enfants butinant deci delà les fleurs de la connaissance dans un magnifique jardin entretenu par des éducateurs ultra-compétents et bienveillants !
Education nationale et pédagogies alternatives
A contrario, l’instruction publique prévoit des niveaux et des programmes en fonction de l’âge et non de la personnalité des élèves. De plus, elle considère que la dynamique de groupe prédomine sur l’individu.
Par ailleurs, la course pour boucler les programmes diminue d’autant plus la possibilité de laisser à chacun son propre rythme d’apprentissage. Enfin, son objectif tend à former des générations de citoyens disposant de connaissances, compétences et culture communes. L’épanouissement personnel est relégué à la sphère privée.
Cependant, nombreux sont les enseignants de l’éducation nationale à s’inspirer des méthodes Freinet et Montessori. Même si l’ex-enseignante de Gennevilliers, Céline Alvarez, a dû quitter le navire pour poursuivre son propre chemin.
Les pédagogies alternatives respectent-elles les programmes ?
Par définition, une école hors contrat n’est pas tenue de suivre les programmes officiels. Néanmoins, l’Etat oblige ces écoles à garantir l’acquisition d’un socle commun de connaissances. Un élève de 16 ans sortant d’une école hors contrat est sensé avoir le même niveau qu’un élève sortant du système classique. Par ailleurs, ces écoles privées sont tenues de respecter l’ordre public et d’avoir un directeur diplômé et sans casier judiciaire. Selon Europe 1 , « il suffit d’être bachelier, âgé d’au moins 21 ans, de disposer de locaux et de faire une déclaration en mairie » pour ouvrir une école primaire privée. Enfin, elles sont soumises à inspections, même si dans les faits celles-ci sont quasi inexistantes, faute de moyens.
Bien que la loi appliquée depuis la rentrée 2018 renforce l’encadrement des écoles hors contrat, le Monde relève des contrôles peu fréquents. A titre d’exemple, en 2016, un rapport de l’académie de Versailles montrait que sur plus de trente écoles inspectées inopinément, aucune n’enseignait le socle commun de connaissances…
La déferlante Montessori
Une présence mondiale croissante
Malgré quelques zones d’ombre, les pédagogies alternatives ont le vent en poupe. Parmi elles, celle de Maria Montessori cartonne dans et en dehors des écoles, partout dans le monde. Créé en 1950, l’Association Montessori France est agréée par l’Association Montessori Internationale (AMI) qui regroupe environ 22 000 établissements dans le monde (hors Inde, foyer historique). Ces écoles se situent essentiellement en Amérique du Nord, au Japon, au Mexique. Et se développent actuellement en Russie, Pologne, Brésil et Chine.
Des formations hors de prix…
Par ailleurs, deux associations agréées se chargent de la formation des maîtres et maitresses : l’Institut Supérieur Maria Montessori et le Centre de formation Montessori Francophonie. Comptez environ 10 000 euros pour une formation. Un coût relativement prohibitif lorsqu’on le compare aux frais de scolarité d’un aspirant professeur-e des écoles : 256 euros pour l’année 2015-2016 en Master MEEF !
La France à la traîne de ses voisins européens
Même si le nombre d’écoles Montessori a augmenté en 2017, représentant 28 % des 122 nouveaux établissements indépendants, la France reste à la traîne par rapport à ses voisins allemands, anglais, scandinaves ou hollandais. Pour 180 écoles ou ateliers Montessori en France, l’Allemagne recense 600 jardins d’enfants et 400 écoles, et l’Angleterre 699.
Alors d’où vient cette impression de voir Montessori partout ?
Le boum des produits estampillés Montessori
A l’heure actuelle, ce n’est pas tant le nombre d’élèves scolarisés en écoles Montessori qui influencera notre société, mais plutôt ses produits dérivés. Le site lepaternel s’est amusé à dresser une liste de tous les produits et services inspirés de la pédagogie Montessori : du matériel vendu au rayon jouets, des ouvrages permettant de réaliser chez soi des supports et des activités d’éveil et d’apprentissage, des ateliers de découverte (numération, lecture…). L’offre s’enrichit continuellement.
Montessori est devenu un label, dont la mention est sensée garantir la pertinence éducative de l’objet commercialisé. Tout comme le label Bio inspire confiance (normes, traçabilité etc.), la mention Montessori nous aimante et nous renvoie à notre rôle d’éducateur.
Des produits éloignés de la démarche montessorienne
Personnellement, je dois avouer que ma curiosité s’arrête à l’affichage du prix sur l’emballage. Des cloches de couleur émettant des sons différents, c’est intéressant, mais pas à plus de 30 euros ! Il y a un vrai business derrière tout ça qui dénature l’esprit de Maria Montessori. Fabriquer son propre matériel, avec des objets de la maison, du recyclage pour l’éveil des tout-petits, d’accord ! Mais choisir entre se ruiner ou se sentir coupable, certainement pas. Méfions-nous du marketing et faisons confiance à notre bon sens de parents !
La vraie question qui nous tarabuste c’est de savoir ce qui est le mieux pour nos enfants, petits comme adolescents. Alors…
Pédagogies alternatives : est-ce que ça marche ?
Est-ce facile de rejoindre le circuit classique ?
Question impertinente et tabou, si l’on en croit le peu de données à ce sujet. En 2016, Xavier Darcos notait que « bien des témoignages montrent que les enfants qui quittent le monde montessorien pour continuer leurs études et pour affronter le monde sont désemparés et ont du mal à suivre le rythme d’un groupe». Cependant, de la part d’un ex-Ministre de l’Education nationale, le propos peut sembler partial.
Que sont devenus les anciens élèves ?
Pour autant, force est de constater que la liste des élèves brandie fièrement sur le site ecolealternative, expose essentiellement des artistes (chanteur-euse, acteur-rice, architecte, musicien-ne etc.). A titre d’exemple, on trouve Beyoncé, George Clooney, Renaud, Roger Federer… Je ne sais pas si ce qui m’étonne le plus c’est de ne trouver qu’une catégorie restreinte de métiers ou que ce site les mette en valeur ! Sérieusement, j’aurais aimé y trouver un panel de professions suffisamment varié pour étreindre les désirs des ados.
Au final, les écoles alternatives concernent plutôt l’élémentaire. Les difficultés pour réintégrer le système normal, incontournable à moins de devenir entrepreneur, indépendant ou artiste, s’accroissent à mesure que le jeune monte en âge.
Les pédagogies alternatives sont-elles accessibles ?
De plus, le coût d’une scolarité hors-contrat atteint des budgets inabordables pour la plupart des familles, biaisant le but premier de l’esprit Montessori destiné à l’origine aux plus pauvres. Entre 5 000 et 8 500 euros (hors repas) tout de même (source Wikipédia) ! Pour un-e enfant bien sûr…
Entre le prix élevé et l’absence d’évaluations, on comprend mieux pourquoi les parents restent majoritairement réticents à inscrire leurs enfants dans une école hors-contrat. Quand bien même ils seraient tentés par des pédagogies innovantes et prometteuses…
En définitive, l’offre pédagogique est suffisamment riche et protéiforme pour y puiser ce que nous, éducateurs, estimons le plus enrichissant pour nos enfants. En restant à l’écoute des besoins de nos ados, nous pouvons avoir recours à des ateliers (de code, d’écriture, de sciences, d’art…) ou activités faisant appel aux pédagogies alternatives.
Par ailleurs, grâce au numérique, nous disposons d’outils d’apprentissage innovants qui facilitent l’acquisition des connaissances dans de nombreux domaines (maths, anglais, robotique…). A nous de dialoguer avec nos enfants pour les aider à trouver eux-mêmes ce qui leur correspond et ce dont ils ont besoin !