La violence à l’école expliquée par une production Netflix
Cela faisait pas mal de temps qu’on n’avait pas vu une vraie série adolescente avec un scénario d’une qualité aussi exceptionnelle. Ces dernières années, les séries jeunes étaient cantonnées au genre fantastique (Buffy contre Les Vampires, Twilight, Teens Wolf etc.) et ne traitaient pas tellement la vie des ados. Ces séries jeune public ont progressivement décliné pour laisser la place à d’autres séries comme Games of Thrones éloignées des préoccupations des ados.
Et puis notons que depuis quelques années, la jeunesse dans sa grande diversité a tellement plus de choix de programmes avec Netflix, youtube, qu’elle ne s’intéresse pas nécessairement aux séries qui parlent d’elle.
Qui se souvient des Années Collège (Degrassi) à la fin des années 80 et début des années 90? Une série qui abordait les aléas de l’adolescence avec, il me semble, beaucoup de courage mais aussi une certaine justesse: grossesse précoce, addiction aux drogues ou à l’alcool, pression scolaire, violence, dépression, maltraitance parentale, exclusion, bref, tous les sujets qui font peur aux parents y ont été balayés.

Cette série n’était pas aussi cucul que d’autres séries adolescentes de la même période, comme Sauvés par Le Gong et bien d’autres.
Bien des parents auraient été offusqués par certains sujets, certaines scènes, et il est fort possible que quelques adolescents visionnaient cette série sans l’approbation de leurs parents.
“13 Reasons Why” ? Ou la chronique d’une violence quotidienne en milieu scolaire
13 Reasons Why aborde la notion de violence à l’intérieur de la communauté adolescente.
Dès la maternelle, les enfants ne sont pas tendres entre eux, on normalise et on minimise bien souvent la violence dans les cours de récréation, dans les parcs de jeux . Elle ne suscite que rarement la réaction des adultes.
J’ai pu entendre ce type de remarque chez quelques encadrants en centre de loisirs auprès desquels je m’étais plainte car ma fille venait de se faire gifler par un autre enfant, elle n’avait que 3 ans:
Oh, ben si on faisait attention à tous ces petits détails, on s’en sortirait plus, notre métier est déjà tellement dur comme ça, et puis, les enfants doivent se préparer à avoir mal, car la vie n’est pas un long fleuve tranquille. Votre fille en aura vu d’autres…
On se demande donc si certains encadrants ne favorisent pas leur confort personnel au détriment de celui des enfants?
Et ce type de remarque, toute aussi déconcertante, dans la bouche de quelques parents au sujet de leurs garçons:
Ne pleure pas, un garçon, ça ne pleure pas, tu dois être fort, arrête tes simagrées immédiatement, défends-toi, ne te laisse pas faire!
Bien des parents suggèrent à leurs garçons d’ignorer leurs souffrances, leurs émotions, et leur imposent la violence (oeil pour oeil, dent pour dent) au lieu du dialogue, mais aussi d’être dans une posture qui n’est certainement pas celle d’un enfant, et une identité qui n’est pas celle de leur enfant.
Le vivre ensemble est sans doute le plus grand challenge à relever chez les professionnels de l’éducation, car on peut constater que le niveau de violence reste stable dans les établissements scolaires français: les violences physiques ont baissé mais le cyber harcèlement est en recrudescence, de même que les violences à l’égard des filles. Tous les établissements ne sont pas logés à la même enseigne, car les agressions physiques avec armes se sont renforcées dans les zones d’éducation prioritaires et notamment en lycées professionnels.
Selon un rapport de l’Unesco réalisé sur la violence à l’école en 2016 :
“la violence à l’école naît de rapports de force inégaux souvent renforcés par des stéréotypes et des normes liées au genre, à l’orientation sexuelle ainsi qu’à d’autres facteurs qui contribuent à la marginalisation tels que la pauvreté, l’identité ethnique, ou encore la langue. D’après un sondage de 2016 sur le harcèlement réalisé auprès de 100 000 jeunes dans 18 pays[3], 25% des personnes interrogées indiquent avoir été harcelées du fait de leur apparence physique, 25% en raison de leur genre ou de leur orientation sexuelle et 25% du fait de leur origine ethnique ou nationale.”
La violence à l’école doit donc interpeller autant les parents que les professionnels d’éducation pour développer une meilleure observation et une plus grande écoute des enfants et des adolescents. Il y a des signes que nous pouvons voir, et c’est à nous d’être vigilants et informés.
13 Reasons Why: un scénario original qui force un groupe d’ados à prendre ses responsabilités quant au suicide d’une camarade de classe
l’histoire
Avant de mettre fin à ses jours, une adolescente “bien sous tout rapport”, répondant au doux prénom d’Hannah, enregistre 13 cassettes audio (original pour une génération qui n’a connu que le numérique), pour expliquer son geste désespéré. Chacun de ses enregistrements porte le prénom d’une personne sensée être à l’origine de son mal-être, donc de son suicide. Hannah incrimine donc 13 personnes à la fois.
Clay, ami d’Hannah, jeune homme intelligent, timide, peu expansif, rêveur et assez solitaire, découvre une boîte devant chez lui en rentrant du lycée quelques jours après la mort d’Hannah. En ouvrant la boîte il y découvre les 13 cassettes et se met immédiatement à la recherche d’un Walkman pour les écouter.
Il se remémore progressivement la rencontre avec Hannah. Clay est absorbé par les récits d’Hannah, il ne dort plus, ne mange plus et prend conscience de ce qui s’est joué sous ses propres yeux du vivant d’Hannah.
Il est le dernier des 13 à écouter ces cassettes et sa réaction est différente de celle des autres, il veut comprendre pourquoi Hannah a mis fin à ses jours et en quoi il est en partie responsable. Il mène donc une enquête tumultueuse entre incompréhension, colère et tristesse sur l’ensemble du groupe incriminé.
Clay a un ami, Tony, que l’on pourrait qualifier “d’ange gardien” qui sait tout de l’histoire, mais qui n’a pas été incriminé par Hannah. Il va l’aider à élucider l’affaire pour rétablir la justice aux yeux des parents d’Hannah et la réhabiliter auprès des élèves du lycée. Tony en a fait la promesse à Hannah avant sa mort. Tony est affecté, car il ne pensait pas qu’Hannah allait mettre fin à ses jours.
Le décryptage
Clay découvre qu’il n’a pas été suffisamment à l’écoute des signaux de détresse d’Hannah et qu’il n’a pas su la protéger, il a été le spectateur passif des brimades qu’Hannah a dû subir parce qu’elle n’était pas suffisamment ceci, pas suffisamment cela.
Le spectateur passif ne participe pas directement aux violences, mais il ne s’y oppose pas ou fait semblant de les ignorer. Par peur de devenir victime à son tour, il préfère ne pas attirer vers lui l’attention de l’agresseur.
Il culpabilise et bascule dans la dépression. Clay vivait un amour impossible avec Hannah, sa timidité, son manque de courage, l’ont sans doute freiné à agir en protecteur assumé.
Tandis que les 12 autres adolescents incriminés font alliance pour éviter d’ébruiter l’existence-même des cassettes. Dans ce groupe, pour certains, le suicide d’Hannah finit par être mal vécu et la culpabilité et l’angoisse sont de plus en plus palpables. D’autres, n’en n’ont cure et veulent juste oublier cette histoire en tentant d’intimider ceux qui ont des remords. Le groupe est en déséquilibre au fur et à mesure que Clay avance dans son enquête.
Ce groupe représente les spectateurs actifs de la violence d’Hannah. En effet ils ont encouragé les situations de harcèlement et y ont participé, en colportant des rumeurs, s’associant aux moqueries ou à des actes de violence, ils affirment leur statut et leur appartenance au groupe.
La série met en exergue le côté machiste des highschools à l’américaine qui valorisent leurs équipes de basketball en mettant en scène des faire-valoir : les pom-pom girls. Personne ne semble remettre en question cette vision du rapport entre les garçons et les filles au sein même d’un lieu ou l’on devrait transmettre l’égalité homme/femme.
Ce qu’on attend des garçons c’est d’être forts, viriles, et de réaliser des prouesses incroyables. Les garçons qui n’entrent pas dans ces canons sont automatiquement rejetés, dénigrés, violentés. Ils ne sont pas tendres entre eux, s’insultent et se bagarrent de façon récurrente. D’ailleurs, Clay en fait les frais lui aussi à plusieurs reprises, lui qui n’est pas sportif, un peu gringalet, rêveur, avec ce côté intello qu’on déteste souvent, on l’a d’ailleurs soupçonné d’être homosexuel.
La pression que les garçons exercent sur les filles est immense: elles doivent être belles, minces, avoir une réputation irréprochable, et surtout soumises à toutes leurs volontés, en répondant à leurs avances sexuelles, mais lorsqu’elles le font, elles sont stigmatisées en filles faciles.
Et puis quand le machisme est à son comble, les filles en font les frais…
Les filles, comme les garçons, lorsqu’ils sont violentés n’en parlent jamais à leurs parents, ni à leurs professeurs, de peur d’être jugés, subir des représailles, ou simplement de décevoir leurs parents.
La violence est donc très présente, insidieuse car elle est invisible. La plupart des parents de ces adolescents semblent être des parents parfaits, presque hyperparents, très protecteurs, aimants et présents. Pourtant, ils ne voient rien, ils ne sentent ni la détresse ni la perfidie des relations qu’entretiennent leurs enfants avec les autres élèves.
Les conseillers d’éducation, les enseignants non plus, ne voient rien, et quand ils voient, ils n’informent pas les parents de peur de leur réaction, ou bien minimisent la situation. Au fond, ils pensent que cela va se résoudre avec le temps. Pourtant, rien ne tourne comme prévu.
C’est en cela que la série est intéressante.
Conclusion
Le regard que nous portons sur nos enfants n’est jamais le bon peut-être à cause de notre égo, notre manque de discernement, ou bien notre volonté farouche de forger nos enfants à être toujours dans la norme.
Les filles doivent ressembler à des filles, et les garçons à des garçons, sans compter la pression scolaire que l’on peut exercer sur eux pour réussir une entrée dans une grande école ou université… Réussir, être fort quitte à écraser les autres.
Les adolescents finissent par enfouir leurs secrets, se couper de leurs émotions, se réfugier dans leur solitude en l’absence de soutien bienveillant adulte.
Comment parvenir à lire la détresse des adolescents quand cette dernière n’est pas exprimée ou bien minimisée?
Alors prenons les choses à la racine.
…Et si nous commencions à imaginer une éducation parentale et scolaire qui met la qualité des relations humaines au-dessus de tout?
La bienveillance au sein des établissements scolaires devrait être au centre de tout apprentissage.
Je ne vais donc pas raconter l’ensemble de la série, parce que le diable est dans les détails et qu’il faut vraiment la visionner vous parents avec vos adolescents, elle pourrait d’ailleurs amorcer un dialogue de fond sur la vie au collège ou au lycée, et sur ce que signifie être adolescent au 21ème Siècle.
Laila Ducher