Mon parcours personnel ressemble à beaucoup d’autres. Je crois que ma génération, et celle d’aujourd’hui a bataillé, et bataille toujours pour trouver sa place au sein de notre société et cela débute dès l’orientation scolaire au collège.
Engouffrée dans une voie qui n’était pas mienne, je me souviens avoir eu le sentiment que tourner à droite ou à gauche, voire rebrousser chemin était impossible.
« Non seulement on est responsable de ce qu’on fait, mais également de ce qu’on laisse faire. Celui qui permet qu’on vole à l’autre sa liberté, finit par perdre sa propre liberté. » Roman Herzog, Discours 21 avril 1995 à Bergen Belsen
L’orientation scolaire en France est-elle réellement un accompagnement permettant à l’élève d’éclairer ses choix dans un contexte de chômage grandissant des jeunes en France et où il est désormais nécessaire de réinventer les métiers de demain ?
Un contexte d’accompagnement adapté à l’ère industrielle
Au cours des années 1920, la psychotechnique introduit l’orientation professionnelle. Celle-ci est régie par le ministère du travail.
L’orientation a pour vocation de « diriger, orienter chacun vers une profession en fonction des ses aptitudes naturelles ou acquises pour fournir le meilleur travail et d’obtenir le meilleur rendement ». (CAROFF A., 1987)
Ainsi, à l’époque, l’enfant qui quittait l’école primaire bénéficiait de ce conseil à l’orientation lui permettant de définir son parcours scolaire, les études les plus adéquates. Précisons que cette orientation s’adresse aussi aux « mutilés de guerre ou accidentés du travail qui recherchent une profession nouvelle compatible ». (CAROFF A., 1987)
L’I.N.O.P (Institut National d’Orientation Professionnelle) est créé et géré par le psychologue français PIERON H.-L.-C, (1881–1964). Ce dernier pensait que l’orientation professionnelle ne pouvait être possible sans la validation d’une formation sérieuse. Cependant, « le caractère pluridisciplinaire qu’il veut lui conférer et l’équilibre qu’il souhaite entre les domaines en psychologie et économie écartent cette solution », CAROFF A., (1987).
Ainsi, l’INOP a pour vocation de :
- Coordonner les recherches et les travaux de laboratoire en vue de la détermination scientifique des aptitudes
- Servir d’office central de documentation
- Assurer, par un enseignement normal, la formation des conseillers d’orientation professionnelle
En 1931, le diplôme de conseiller d’orientation professionnelle est créé.
Pour réaliser la réforme des services d’information et d’orientation (1959), il a fallu assigner à notre système éducatif deux objectifs principaux à la fois convergents et opposés :
- La démocratisation de l’enseignement
- L’adéquation des formations par rapport aux besoins de main d’œuvre de l’économie nationale.
Ainsi, en 1961, le diplôme de conseiller d’orientation scolaire et professionnelle est créé.
A cette époque, pour éclairer les avis et conseils du conseil d’orientation, « il est nécessaire que des éléments de comparaison communs à tous les élèves d’un groupe d’observation soient rassemblés. Les conseillers d’orientation travaillent donc également pour l’institution dans une optique d’évaluation collective. » CAROFF A, (1987)
Malgre les réccurentes réformes du système éductatif, l’orientation scolaire à échappé à toute évolution
En effet un rapport du Haut Conseil de l’Education (HCE) de 2008 mettait en évidence des dysfonctionnements majeurs et proposait sa refonte totale. Notamment il pointait du doigt le fait que les élèves soient orientés en fonction des places disponibles dans les filières professionnelles et sont jugés uniquement sur la base de leur bilan scolaire. Les voies générales et technologiques proposent des enseignements bien trop éloignés des besoins du marché de l’emploi.
Bien que ce constat alarmant soit connu et reconnu par tous, aucune réforme, ni adaptation n’a été engagée réellement pour faire bouger les lignes, notamment au niveau de l’offre de formation. la résistance au changement des acteurs étant reconnue comme le principal obstacle.
« La résistance est le péché de l’intelligence » Soren Kierkegaard (1855)
Les évolutions qui avaient été envisagées portaient principalement sur le regroupement des organismes d’accompagnement étatiques par l’instauration d’une seule et unique autorité, mais aussi l’abandon de l’approche psychologique jugée inefficace et peu opérationnelle. En outre il était proposé aux professeurs de jouer un rôle clé dans l’orientation de leurs élèves tout au long de leur scolarité.
MON CONSTAT
Ce bref retour sur l’histoire, nous faire prendre conscience qu’auparavant, chaque individu était destiné à un rôle précis dans notre société, où tout était à construire, une société prospère et prometteuse d’avenir.
Aujourd’hui, ce temps est révolu. Les usines se vident…
Le souci d’orienter les personnes ne date donc pas d’aujourd’hui, dans 5 ans, ce concept « d’intégration sociale » fêtera ses 100 ans, le métier de conseiller d’orientation tel qu’il est conçu dans l’Education fêtera ses 54 ans.
Depuis sa création, je comprends que la vocation première du conseiller d’orientation, n’est pas tant d’être à l’écoute de ce que l’élève aimerait faire, ou ne pas faire mais de l’aiguiller sur une voie où il y aurait des postes à la clé, le conseiller étant dans une logique de redistribution, d’acheminement, de logistique et d’optimisation de la main d’œuvre.
Je réalise aussi, que les élèves sont profilés en fonction de leur niveau scolaire, leur sexe, voire appartenance sociale (comme l’explique les auteurs SIDANIUS, J., & PRATTO F. dans La Théorie de la Dominance Sociale, 1999), mais aussi de certains traits de personnalité adaptés ou inadaptés à tels ou tels métiers, environnements, professionnels. Ainsi, lors d’un entretien d’orientation scolaire, le comportement de l’élève est observé, analysé selon une grille de critères industrialisés bien précis, construits sur des décennies. Dans ce contexte d’entretien, le conseiller n’est pas neutre, il est humain, et l’élève est confronté aussi à la subjectivité de son interlocuteur.
Nous n’avons aucune connaissance des méthodes employées par le conseiller d’orientation pour aider l’élève à réfléchir sur lui-même et circonscrire un projet scolaire et professionnel. De plus, il règne une ambiguité autour des objectifs de l’entretien: des objectifs pour qui?
Les entretiens d’orientation sont souvent mal vécus. En effet, les élèves pensent qu’ils vont être aidés, mais au lieu de cela, ils découvrent que le conseiller n’est pas leur allier, mais juste un agent de l’État chargé de les placer là où c’est possible. Ils ressortent de ces entretiens découragés, incompris, fatalistes, perplexes, en colère et parfois détruits par le verdict du conseiller.
Comment peut-on encore s’appuyer sur des procédures vieilles d’un demi siècle pour aider nos enfants à trouver leur voie ?
En dépit de ce constat alarmant et des préconisations associées, rien n’a été fait à ce jour.
De toute évidence, le conseil en orientation scolaire n’est pas un accompagnement permettant d’éclairer les choix des élèves.
Notre système éducatif génère des inégalités car chaque année environ 140 000 jeunes âgés de 16 ans (Chiffres Education Nationale, 2014) quittent l’école sans diplôme, ni qualification, et qu’entre 60 000 et 80 000 (Chiffres CCIP 2014) jeunes diplômés quittent la France pour aller saisir les opportunités professionnelles qu’ils ne trouvent pas en France.
Le décrochage scolaire, et la fuite des talents sont certainement une des conséquences liées à l’inadaptation de programmes scolaires aux besoins réels du marché de l’emploi, mais aussi à une carence en accompagnement des parcours scolaires.
Nous avons la chance d’avoir un accès à l’éducation, mais nous ne savons pas quoi faire de nos savoirs.
Comment notre système éducatif peut-il encore continuer à uniformiser les élèves alors que l’on a besoin de plus diversité, de flexibilité dans le but de s’adapter au nouveau paysage économique qui demande de plus en plus d’autonomie et de responsabilité de chacun ?
Ainsi, notre système éducatif fondé sur le mythe « travaille dur et tu réussiras » ne signifie plus rien aujourd’hui dans un monde économique hautement incertain.
ROMPRE

Ouvrir les champs des possibles aux élèves, devrait être un objectif essentiel des parties prenantes de l’éducation.
Comme ce système d’accompagnement à l’orientation scolaire est obsolète depuis longtemps, les officines privées de l’accompagnement se sont emparées du sujet.
Qui sont-elles, que viennent-elles apporter au paysage scolaire français ?
Laila Ducher
BIBLIOGRAPHIE
- CAROFF, A., (1987), L’organisation de l’orientation des jeunes en France, Edition EAP,
- CHAZAL, S., & GUIMOND, S., (2003), La théorie de la dominance sociale et les choix d’orientation scolaire et des rôles sociaux des filles et des garçons
- HAUT CONSEIL de l’EDUCATION, (2008), L’orientation scolaire en France
- SIDANIUS, J., & PRATTO F., (1999), La Théorie de la Dominance Sociale
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