A l’heure qu’il est, des incertitudes planent toujours sur les modalités de l’orientation en fin de 3ème. Profs débordés, conseillers d’orientation supprimés, l’avenir des jeunes prend pourtant un tour crucial à la sortie du collège. Explications avec Barbara et Yanis, professeurs principaux de 3ème en Seine-Saint-Denis.
Des choix en fin de 3ème focalisés sur la filière générale et technique
Tout d’abord, précisons qu’en 2018, 52 % des candidats passaient un bac général, 20% un bac technologique et 28 % un bac professionnel (source Le Monde). De fait, cette tripartition se décide dès l’orientation en fin de collège.
En fin de 3ème, les parents remplissent une fiche navette dans laquelle ils expriment leur vœu pour le lycée. C’est le moment d’opter pour la voie générale et technique ou la filière professionnelle. Dans le premier cas, tous les élèves seront scolarisés dans une seconde générale dans leur lycée de secteur (carte scolaire). Ensuite, ils seront orientés en 1ère générale ou technique, au vu de leurs résultats scolaires de 2de. Dans le second cas, les élèves choisissent leur lycée professionnel dans leur académie de résidence.Et cela en fonction de la formation souhaitée.
Un premier constat s’impose, confirmé par Barbara et Yanis, tous deux professeurs principaux de 3ème. La plupart des souhaits des familles se porte sur le lycée général et technique. Sans surprise, la voie professionnelle est boudée. En effet, de nombreuses familles y voient un symbole flagrant d’échec scolaire et refusent d’y envoyer leurs enfants.
Très largement déconsidérée, la voie professionnelle paie d’autant plus les pots cassés de la réforme que le palier d’orientation a été avancé d’un an. On sait déjà que les métiers dits « manuels » n’ont pas la cote face aux métiers de cols blancs, mais cette réforme ne fait qu’aggraver ce désamour.
S’orienter pour anticiper des études longues ou courtes
De fait, l’anticipation du choix entre général et professionnel a sans doute accentué la pression sur les familles pour le choix de la filière. Nombreux sont les parents qui pensent que leur enfant manque de maturité et qu’il va se révéler au lycée. Parfois, relate Yanis, ce sont les ados eux-mêmes qui doivent batailler contre leur propre famille pour imposer leur choix d’un lycée professionnel. Certains jeunes savent déjà qu’ils n’ont pas envie de faire de longues études. Or les statistiques montrent désormais qu’après un bac général, il faut poursuivre en Master 2 pour accéder au monde du travail…
« Dans le cycle universitaire, la licence générale et le M1 ne constituent plus des niveaux de sortie pertinents et leur valorisation sur le marché du travail s’en ressent : le taux de chômage des titulaires de licence générale et de M1 s’est de nouveau accru pour atteindre 16 % et la part des emplois occupés à durée indéterminée a nettement chuté (-7 points). » Source Céreq
Pré- orientation possible après la 4ème : la 3ème prépa-métiers
En revanche, pour celles et ceux qui savent dès la fin de la 4ème qu’elles·ils souhaitent aller en filière pro, il est possible d’anticiper vers une troisième « prépa métiers ». Mais cela concerne finalement peu de jeunes. Barbara précise que la nouvelle formule n’est pas encore connue. Elle a changé de nom, mais ses modalités propres n’ont pas encore été détaillées par l’administration. La classe de troisième « prépa métiers » succède au DIMA (dispositif d’initiation aux métiers en alternance). Ce système comprenait une formation générale (50% du temps minimum), des enseignements technologiques et pratiques. Mais aussi des visites et stages en milieu professionnel. Cependant, tous les collèges ne proposent pas de DIMA. Cela qui oblige les ados concernés à rechercher l’établissement adéquat et à s’y inscrire.
Seconde pour tous = bac pour tous ?
Par ailleurs, la réforme des lycées professionnels a conduit à la suppression des BEP dans l’optique d’un bac pour tous. En réalité, si les jeunes sont désormais presque tous tenus d’aller en seconde, ils n’obtiennent pas tous un diplôme. Ainsi, les jeunes sans diplôme ou uniquement détenteurs du DNB (Diplôme National du Brevet) représentent 13% des sortants du système éducatif . Parmi ceux-ci, on compte une part importante de jeunes issus des filières techniques, mais aussi professionnelles.
De fait, le décrochage scolaire au sortir du collège est un indicateur fort des difficultés à s’insérer sur le marché du travail dans un délai de 3 ans. Ainsi, le taux d’emploi des non-diplômés atteint péniblement 40 %. (Céreq) . Par contre, l’obtention d’un CAP ou d’un bac pro augmente significativement l’espérance de trouver un emploi pérenne.
Ainsi, pour la génération 2013 sortante du système éducatif, l’accès à un emploi durable était en moyenne de 57 %, avec 52% pour les sortants du secondaire et seulement 21 % pour les non diplômés. Pour les sortants du supérieur, l’accès oscille entre 72 et 76% en fonction de la durée d’études.
Faible taux d’inscription en CAP à 14 ans
D’autre part, en dehors de l’accès à la seconde, un jeune peut décider de préparer un CAP, à l’issue de sa 3ème. Cependant, ce diplôme nécessite de trouver un employeur acceptant un apprenti de seulement 14 ans…Ce qui est loin d’être évident. A moins d’être embauché par un membre de sa famille ou un proche, c’est quasiment mission impossible. La plupart des artisans estime ne pas avoir le temps de former les jeunes, ni l’envie de s’atteler à des tâches administratives.
Par ailleurs, tout comme pour le bac pro, les places en CAP sont limitées et soumises à un barème de priorité. Ainsi, les élèves issus des SEGPA et ULIS, de même que les élèves handicapés, sont prioritaires. Cependant, pour les élèves de niveau scolaire très faible, l’équipe éducative peut faire une demande de bonification à une commission spécialisée. Pour info, les notes du dossier présenté par un jeune sont un mélange des moyennes annuelles dans chaque discipline et des points obtenus au brevet, pondérés en fonction des matières choisies.
De même, l’offre et la demande influencent beaucoup le succès d’une candidature en CAP dans un lycée ou dans un CFA (Centre de Formation pour Adultes). Ainsi, il est plus difficile d’obtenir une place en CAP coiffure qu’en CAP métiers du bâtiment.
Voilà pour les grands traits des possibles au collège. Maintenant, comment ça se passe sur le terrain, entre parents, enseignants et jeunes ?
Professeurs et psychologues de l’Education Nationale : un conseil en orientation insuffisant
Tout d’abord, l’orientation scolaire des élèves de 3ème est assurée par les professeurs principaux. Ils guident entre 25 et 30 élèves dans leurs vœux. Comme préparation à cette mission, les enseignants participent à 2h de réunion organisée par le rectorat. Celle-ci aborde les aspects pratiques et administratifs en détaillant les nouveautés d’une année sur l’autre. Sinon, aucune formation à l’écoute n’est dispensée. Les professeurs principaux assument leur fonction sur la base du volontariat et ce n’est pas la maigre prime de 30 euros qui les motivent ! C’est un peu chacun son tour et les conseils de ceux qui sont déjà passés par là aident les petits nouveaux à ne pas se perdre sous l’avalanche de paperasses !
En fait, les professeurs principaux de 3ème disposent d’un volume horaire annuel de 10h pour accompagner les jeunes dans leur choix. Concrètement, cela représente un créneau d’1h par mois à trouver dans l’emploi du temps des élèves. Chaque professeur s’organise comme il veut, soit en y consacrant une heure collective, soit en fractionnant la prise en charge. Ainsi, Barbara professeur de maths, a choisi de mettre ses élèves en travail autonome pour prendre le temps de dialoguer avec ceux qui ont besoin d’explications et de conseils.
Parallèlement, les psychologues scolaires remplissent une mission d’orientation scolaire auprès des jeunes. On compte un spécialiste pour deux établissements, qui tient une permanence d’une journée et demi par semaine. Pour commencer, les psychologues de l’Education Nationale assurent deux séances collectives sur le fonctionnement des vœux et les différents types de bac. Ensuite, ils interviennent dans l’établissement en proposant des rendez-vous d’une demi-heure sur le temps scolaire. Enfin, ils reçoivent parents et ados aux CIO pour des entretiens d’environ 1h.
En définitive, ce dispositif en binôme professeur principal / psychologue de l’Education Nationale s’avère insuffisant pour faire découvrir aux jeunes l’éventail des métiers à leur portée.
Les enseignants inquiets pour l’orientation de leurs élèves
Ainsi, les craintes des enseignants sont nombreuses quant à l’avenir des jeunes. Yanis, professeur d’histoire géographie, voit trop souvent des ados échouer en seconde et sortir du système scolaire sans diplôme ni travail. Pour lui et de nombreux collègues, les missions d’orientation qui leur sont confiées ne sont qu’une énième mesure d’économie budgétaire.
D’ailleurs, ils craignent à terme la disparition des CIO (blog Télérama). Pour l’instant, le Ministère de l’Education Nationale n’a donné aucun signe en faveur d’un accompagnement renforcé, que ce soit en terme de formation des enseignants ou des outils d’aide à l’orientation. L’avalanche de réformes (lycée, bac, Parcoursup…) diminue la visibilité des retombées sur les choix des élèves. Pour le moment, enseignants et familles s’adaptent, ou plutôt « font avec » en espérant que les jeunes ne soient pas sacrifiés sur l’autel du changement à tout prix.
« On a les outils, mais on n’arrive pas à s’en saisir pour des raisons matérielles. »
Selon Barbara, le manque de temps pour faire découvrir les métiers empêche la rencontre entre jeunes et formations adéquates. Pourtant, il existe des forums, des demi-journées de découvertes. Certains lycées proposent même des mini-stages. Mais les élèves ne peuvent pas y participer puisqu’ils sont en cours ! Quand bien même on arriverait à trouver un créneau, encore faudrait-il des adultes pour les accompagner et une logistique de transport pour les y acheminer.
Filère pro : des parents sur la défensive
Par ailleurs, Yanis et Barbara s’accordent pour pointer les difficultés qu’ils éprouvent pour récupérer les fiches des vœux des élèves. Négligence ou oubli volontaire ? Selon les deux enseignants, cette lenteur marque l’opposition des parents aux propositions d’orientation émises par le conseil de classe. L’espoir des parents vibre pour une seconde générale et non pour un lycée professionnel.
Selon Barbara, les raisons sont multiples :
- déconsidération marquée pour la voie professionnelle,
- sentiment de stigmatisation sociale et volonté que les enfants « fassent mieux » que leurs parents,
- vécu personnel : orientation non choisie d’un ou des deux parents dans leur jeunesse,
- conflit parent/enfant sur le choix de la filière,
- stratégie géographique : certains parents ont choisi leur logement en fonction de sa proximité avec des établissements « de bonne réputation ». De plus, ils ne tiennent pas à ce que leurs enfants effectuent de longs trajets en transport (sécurité et coût).
Ce dernier aspect est particulièrement intéressant puisqu’il dévoile l’impact de la politique de la ville et de la région sur le choix des familles. Pour certaines d’entre elles, le choix de l’orientation scolaire se fonde sur les contenus de formation, la réputation des établissements, mais aussi la proximité, l’accessibilité et les équipements. Parfois, ces derniers critères priment sur le choix du jeune, prié par les parents de fréquenter le lycée général et technique de secteur.
Et les jeunes dans tout ça, que pensent-ils de l’orientation ?
Prédominance de la peur
J’ai posé la question à Barbara et Yanis et tous deux m’ont répondu : « ils ne savent pas quoi faire ! ».
Selon eux, alors qu’il s’agit de leur avenir, les adolescents semblent peu motivés. Evidemment, j’ai eu envie de leur demander s’ils en comprenaient la raison. Pourquoi si peu d’intérêt pour leur propre orientation ?
Les deux enseignants ont une bonne expérience des jeunes et savent très bien que ce n’est qu’une façade et qu’au fond, ils ont peur. Peur de l’avenir, peur de l’échec, peur de s’engager dans une voie qui ne leur conviendrait pas, peur de décevoir leurs parents, peur d’assumer leurs choix face aux copains et aux proches… La liste est longue des craintes et frayeurs des ados de 14 ans.
Malaise face au monde de demain
Pour Yanis, le fait d’avoir avancé d’un an l’orientation a augmenté le stress lié au choix de la filière. Selon Barbara, le malaise est aussi plus profond. A force d’entendre dire que le monde de demain sera ceci ou cela, le jeune subit de multiples injonctions qu’il ne sent pas forcément capable de relever. En tout cas, pas à 14 ans ! Changer plusieurs fois de métiers, continuer d’apprendre et de se former, pour les gamins qui galèrent déjà sur le plan scolaire, cette perspective de l’école éternelle provoque des sueurs froides !
Menace du sans diplôme/sans emploi
Yanis n’est quant à lui pas très optimiste. Le système actuel des parcours d’études ne donne plus droit à l’erreur. Selon lui, il est difficile de se réorienter au lycée. Par exemple, il est presque impossible pour un élève inscrit en filière technologique de basculer vers un parcours professionnel. J’avais en tête les fameuses passerelles, mais pour Yanis elles n’existent qu’en théorie… Dans les faits, un élève mal orienté risque fortement de rejoindre le groupe des 1,8 millions de jeunes « hors système ». En effet, les « Neet » (Neither in employment, education or training) représentent 17% de la jeunesse française, relève Europe 1, dans un article consacré aux « sans emploi, sans étude ».
Entre l’absence de réelles passerelles et le spectre du Neet, on mesure bien tout l’enjeu de l’orientation en fin de troisième !
Revalorisation des métiers grâce au numérique
Pour Barbara et Yanis, pas de doute, la revalorisation de la filière professionnelle et des métiers de l’artisanat est le seul moyen pour contrer l’échec des élèves les plus faibles en seconde générale. « J’ai beau leur expliquer qu’ils gagneraient davantage comme plombier que comme vendeur, la discréditation des métiers manuels a la dent dure ! regrette Barbara ». Pour elle, rien ne vaut la rencontre avec les professionnels pour faire découvrir la richesse de l’offre de formation. Mais comme elle le soulignait plus haut, ces rencontres sont difficiles à organiser.
C’est pourquoi, Yanis espère beaucoup dans le numérique pour diminuer la distance entre professionnels et jeunes en quête d’informations et de partages d’expériences.