Ça devait être une des mesures phares de son mandat, mais la crise sanitaire est venue bouleverser les plans de Jean-Marie Blanquer. Une réforme du bac à marche forcée qui s’étiole au gré des restrictions sanitaires. En substance, que reste-t-il du nouveau bac désiré par le ministre autant que par le Président ? Entre découragement, anxiété et résignation, les élèves de 1ères et de Terminales se préparent désormais aux épreuves de juin. Pour le moment, seules sont maintenues les épreuves de français, philosophie ainsi que le Grand oral. Un grand merci à Virginie, professeure d’histoire-géographie en Seine-Saint-Denis qui nous aide à faire point.
Petit rappel sur le nouveau bac 2021
Suppression des séries et modifications horaires
Une des grandes mesures du nouveau bac réside dans la suppression des séries en voie générale. Cependant, en voie technologique, des ajustements sont prévus pour fournir « un socle de culture commune articulé avec les enseignements de spécialité et l’aide à l’orientation » (d’après le site du ministère de l’Éducation nationale). Pour le moment, la réforme en voie technologique concerne un changement de programmes et de volumes horaires.
Ainsi, en voie technologique, l’enseignement d’histoire-géographie passe de 2h à 1h30. De même, en langues, les professeurs rencontrent des difficultés d’organisation. En effet, le programme est identique en voie générale et technologique, avec des groupes d’élèves issus des deux voies, mais pas avec le même volume horaire. Par exemple, il peut y avoir un roulement une semaine sur deux. Comment assurer un suivi correct avec un même groupe / même programme mais pas avec le même taux de présence ?
Désormais, tous les élèves de Première et de Terminale choisissent leur parcours en fonction de leurs « goûts et de leurs ambitions ». Concrètement, cela se manifeste par le choix de trois matières de spécialité en 1ère, réduit à deux en Terminale.
Une notation mixte contrôle continu/épreuves finales
Hors crise sanitaire, la réforme du bac introduit une plus large part au contrôle continu (40% de la note finale). Les 60% restant concernent :
- les deux écrits de spécialité,
- les épreuves de français (en classe de Première),
- l’épreuve écrite de philosophie,
- le Grand oral du bac.
En fait, le bulletin scolaire ne fournit que 10% de la note finale. Ce sont les épreuves communes réparties sur les années de Première et de Terminale qui contribuent à la note de contrôle de continu. « Ces évaluations communes ont lieu aux 2e et 3e trimestres de l’année de première, puis au 3e trimestre de l’année de terminale ». Annulées cette année, elles n’avaient été mises en place l’an passé qu’au 2ème trimestre pour les élèves de Première. Cependant, certains établissements les avaient ajournées pour cause de grève au mois de décembre 2019.
Finalement cette année, la part du contrôle continu domine à nouveau pour la session du bac 2021. Ainsi, les épreuves de spécialité qui devaient se dérouler en mars ont été annulées. Les notes de Première et de Terminale serviront de notation pour les discipline de spécialité. De même, les épreuves communes cèdent leur place au contrôle continu.
Nouveau bac / nouveaux programmes
Pour accompagner la refonte du bac, de nouveaux programmes ont été établis pour chaque discipline. Ainsi, à la rentrée 2019, les classes de Seconde et de Première des lycées général et technologique amorçaient la première étape vers le nouveau bac. Cependant, ce changement a nécessité un travail colossal de la part des équipes éducatives. De fait, elles se sont vite retrouvées sous pression dans un contexte de grève puis de crise sanitaire. Une situation loin d’être idéale pour rôder une nouvelle organisation, de nouveaux contenus… En octobre 2019, le café pédagogique donnait la parole à des professeurs de français et constatait que ceux-ci jugeaient les programmes trop lourds, voire inadaptés à leurs élèves. Certains d’entre-eux se sentaient au bord de la rupture et envisageaient de démissionner.
Finalement, les perturbations des grèves puis la sidération face à l’épidémie de COVID ont suspendu pour de nombreux mois la prise de parole des enseignants à ce sujet. Il leur a fallu s’adapter, vite, et organiser un enseignement à distance avec des moyens souvent inédits. On a parlé du sous-équipement des enseignants, du manque de formation, de pédagogie aussi. Et surtout on s’est rendu-compte que la présence physique de l’enseignant auprès de ses élèves garantissait un meilleur apprentissage pour tous.
Cependant, la question de la lourdeur des programmes reste d’actualité et nombreux sont les enseignants qui s’interrogent sur leur mission. Portés aux nues ou dénigrés, les profs ne cessent d’alimenter les débats sur les plateaux de radio et de télévision. Et rêvent que leur travail ne soit pas constamment instrumentalisé pour pouvoir se concentrer sur leurs missions éducatives. Être prof de lycée aujourd’hui c’est enseigner en mixte présentiel/distanciel avec de nouveaux programmes pour un nouveau bac dont les modalités sont incertaines ! C’est aussi guider des jeunes complètement perdus sur Parcoursup. Enfin, il s’agit de finaliser avec eux·elles un projet d’orientation présenté à la fin du Grand oral.
Bilan actualisé des modalités du nouveau bac 2021
Pour y voir un peu plus clair dans une actualité changeante, Virginie, professeure d’histoire-géographie dans le 93, commente pour Weeprep les diverses problématiques du nouveau bac.
La fin des groupes classes
Avec la fin des séries en voie générale, le groupe classe n’existe plus. Les élèves suivent les cours qu’ils ont choisis en fonction de leurs spécialités. Ce qui pose problème pour désigner un professeur principal, sachant qu’il y en a deux en Terminale. De fait, les professeurs de philosophie et d’histoire-géographie occupent plus largement cette fonction puisqu’ils·elles enseignent dans le tronc commun. Ainsi que les professeurs de français en 1ère. Cependant, ils·elles ne sont pas assez nombreux·ses et il arrive qu’un professeur principal ne soit pas un enseignant de l’élève !
Selon Virginie, en Terminale on ne peut plus vraiment parler d’équipe pédagogique. Sur une vingtaine de professeurs différents, ils·elles ne connaissent pas tous les élèves. Soit parce qu’ils·elles les ont peu en cours, soit pas du tout pour certains professeurs principaux. Dès lors, comment accompagner efficacement un jeune dans ses choix d’orientation ?
Mi-temps et hybridation du protocole sanitaire
À cette problématique s’ajoute le protocole sanitaire qui prévoit un temps de présence à mi-temps. Les enseignants travaillent à temps plein, mais avec des demi-groupes. Sur le principe de l’hybridation, ils doivent donner du travail à réaliser à la maison pour compenser le mi-temps élève. Il ne peut pas s’agir de cours en distanciel puisque les enseignants sont déjà en classe. Sachant par ailleurs que les classes de Seconde disposent du plus large volume horaire possible en présentiel, les cours sur plateformes sont quasi impossibles.
Il n’y a plus de groupe classe. Mis à part le français, l’histoire-géographie et la philosophie, toutes les autres matières sont décloisonnées. Les élèves ne s’identifient plus à un groupe, ils n’ont plus de repère et pour nous, c’est dur de les aider, surtout dans leur orientation.
Virginie, professeure d’histoire-géographie dans le 93
Le nouveau bac ouvre une compétition entre professeurs
Comment un chef d’établissement peut-il anticiper ses besoins de professeurs par matières ? Dans la mesure où les jeunes choisissent leurs spécialité à la carte, difficile de prévoir le volume horaire par discipline. D’une année sur l’autre, un lycée peut avoir davantage de demandes en maths, moins en langues etc. De même, pour la spécialité HGGSP, les cours peuvent se partager entre des enseignants d’histoire-géographie et de SES. Le proviseur décide en fonction de sa dotation horaire.
La réforme du lycée crée une compétition entre professeurs pour enseigner leur matière en dehors du tronc commun. Il faut réussir à convaincre les élèves de choisir telle ou telle discipline à l’issue de la Seconde. Cette situation est totalement inédite pour nous enseignants.
Virginie, professeure d’histoire-géographie dans le 93
Pour résoudre cette équation, la consigne est simple : diminuer le nombre de professeurs titulaires, faire intervenir des TZR (titulaire de zone de remplacement) et recruter des contractuels. Par exemple, dans l’établissement de Virginie, les deux postes de titulaires vacants n’ont finalement pas été pourvus. Le système de contractuels permet davantage de flexibilité, certes, mais remet en cause la qualité des apprentissages dispensés. Il y aurait aussi à redire sur les conditions de travail de ces enseignants à la carte ainsi que sur l’économie de salaire réalisé par l’Éducation nationale… un contractuel coûtant moins cher qu’un professeur titulaire.
Le point sur les programmes du nouveau bac
Les horaires changent en histoire-géographie. De 6h ils passent à 3h dans le tronc commun. Pour les spécialités, les élèves de 1ère assistent à 4h supplémentaires et les Terminales 6h. Globalement, les programmes du tronc commun sont corrects, tandis que ceux de spécialité me paraissent un peu abstraits, voire du niveau de la fac.
Virginie, professeure d’histoire-géographie dans le 93
Cependant, Virginie nous confie que les nouveaux programmes posent question à ses collègues dans d’autres disciplines. Ainsi, en physique-chimie, certains apprentissages nécessitent la maîtrise des mathématiques. Or, les élèves ne sont pas obligés de les choisir en deuxième spécialité. De ce fait, le risque de décrochage en physique-chimie augmente.
À l’inverse, le programme de spécialité maths s’avère trop difficile pour des élèves désireux de s’orienter vers le professorat des écoles ou la finance.
Par ailleurs, les professeurs de français s’interrogent sur la réintroduction de la grammaire dans le nouveau bac. Désormais, l’oral comprend une question de grammaire pour 2 points de la note. Si les enseignants constatent effectivement des lacunes en grammaire, ils jugent tardif d’attendre la fin du lycée pour aborder à nouveau ce domaine. De plus, certains points du programme ressortent du niveau CAPES et semblent peu adaptés à leurs élèves. Selon Virginie, ses collègues ont l’impression qu’on leur demande de « compenser ce qui n’a pas été fait avant ».
Préparer l’épreuve de Grand oral : la priorité absolue du nouveau bac 2021
L’annulation des épreuves de spécialité chamboule l’organisation des enseignants jusqu’ici concentrés sur les écrits. Avec un nouveau programme de Terminale et des effectifs à mi-temps, il fallait avancer en marche forcée pour finir mi-mars. À présent, la priorité revient au Grand oral du nouveau bac. Le 27 janvier, France Inter s’interrogeait : Grand oral du bac : les enseignants sont-ils prêts ? Pour répondre à cette question le média a relevé les témoignages d’enseignants suivant une formation sur le Grand oral. Organisées en toute hâte, ces formations académiques tentent d’apporter des informations et des conseils sur la nouvelle épreuve du Grand oral. Comment aider les élèves à choisir une question, à préparer leur prise de parole, à définir leur orientation ? Autant de problématiques auxquelles les enseignants sont sensés apporter leur expertise. Cependant, le sentiment que rien n’est clair demeure :
- le programme de spécialité n’est pas bouclé,
- le choix des questions dans le programme nécessite une concertation avec les deux matières de spécialité,
- quel volume horaire consacrer au Grand oral ?
- comment accompagner les élèves dans leurs choix d’avenir en ayant peu ou pas de contact avec eux·elles ?
Épreuves écrites annulées mais maintien des DST
Suite à l’annulation des épreuves écrites de spécialité, certains élèves de Terminale s’inquiètent de leur manque d’entraînement aux épreuves longues de 4h. Ils craignent d’être pris de court dans l’enseignement supérieur. Dans l’établissement de Virginie, le bac blanc et les DST ont bien eu lieu les mercredi après-midis et samedi matins comme à l’accoutumée.
Par ailleurs, l’importance du contrôle continu a créé de nouvelles stratégies chez les élèves de Terminale. Alors que de son côté, les inspections multiplient les appels à une notation « bienveillante », webinaires à l’appui, les élèves négocient leur participation aux interrogations.
La prédominance du contrôle continu dans le bac 2021 a un impact sur le comportement des élèves. Ils ont tendance à participer à la carte aux évaluations. Quand ils ne sont pas prêts, ils ne viennent pas. Ou bien, quand leur note est insuffisante, ils réclament des devoirs maison. Par exemple, la semaine dernière, j’avais 1/3 d’élèves absents. Pas évident pour nous enseignants de nous organiser pour qu’ils rattrapent. Surtout qu’ils sont en demi-groupes.
Virginie, professeure d’histoire-géographie dans le 93
Impact de la crise sanitaire sur les choix d’orientation
L’université est en crise
L’université a rencontré de nombreuses difficultés depuis le début de la pandémie. Déjà en crise avant la rentrée 2019, avec la mise en place de plusieurs réformes et des restrictions budgétaires, l’université n’attire plus autant les étudiants dans leurs intentions de voeux.
Les universités sont en première ligne dans la mise en œuvre de nombreuses réformes : loi Orientation et Réussite des étudiants, réforme des études de santé, loi Pour une école de la confiance, loi Pour choisir son avenir professionnel ou encore réforme de la fonction publique. (..)
Sans réponse rapide de l’exécutif et du Parlement, les présidentes et présidents d’université ne peuvent garantir la mise en œuvre effective et sereine des réformes, ni répondre à l’urgence de l’accueil des étudiants.
Communiqué de La Conférence des présidents d’université (CPU) du 25/11/2019
Ce constat remonte à l’automne 2019, avant la crise sanitaire. Depuis, le contexte pandémique n’a fait qu’amoindrir la prise en charge des étudiants. Si les lycéens s’inquiètent de leur impréparation aux épreuves de 4h, ils seront surpris d’apprendre que par souci d’économie budgétaire certains partiels ne dépassent pas 1h… Coût de la location de la salle oblige.
Prépondérance de voeux en cursus courts
Selon Virginie, les étudiants de 1ère et 2ème année de licence dissuadent les lycéens d’entamer des cursus longs. Ils ont déjà manifesté leur volonté de se réorienter sur Parcoursup. Ses anciens élèves déplorent l’abandon dans lequel on les a laissés depuis mars 2020 et qui les met en échec et en perte de confiance. Sceptiques sur un retour à la normale à la rentrée 2021, ils anticipent déjà un changement de formation et privilégient les BTS et écoles qui ont assuré un meilleur suivi de leurs élèves. La probabilité d’un engorgement vers les cursus courts est donc à craindre dans les mois à venir. Virginie me fait part de son désarroi et de son impuissance face à cette réalité. Combien de vocations avortées sur l’autel de la précarité ? Combien d’avenirs différés dans l’espoir de lendemains meilleurs ?
Préparer l’après nouveau bac !
Récemment, les jeunes ont manifesté leur détresse dans les médias. Certains souffrent de grave dépression due à l’isolement et au manque de perspective. Leurs témoignages abondent sur les réseaux sociaux. Par exemple @hugodecrypte sur Instagram a lancé un appel à témoignages et reçu de très nombreux messages. Cela fait presque un an que les jeunes sont confinés chez eux et c’est seulement maintenant que leur parole émerge. Ils ont encaissé, ils ont tu leurs angoisses, patienté, fait preuve de résilience, mais la coupe est pleine et le craquage imminent. Il devient urgent d’arrêter de fermer les yeux sur les conséquences d’un long enfermement et de prendre les dispositions adéquates pour redonner aux jeunes espoir et foi dans leur avenir.