Les résultats des demandes de formations sur Parcoursup l’attestent : la licence de droit est la plus demandée avec 4,6% des voeux en 2019. Elle arrive en deuxième position après les métiers du secteur médical (avec 9,6% des voeux pour les IFSI), mais caracole en tête des licences devant STAPS et Economie-Gestion. Les métiers du droit attirent de nombreux jeunes après le bac, mais c’est aussi une filière où le taux d’échec est important en première année. Typiquement, les filières des métiers du droit séduisent mais restent très peu connues ou comprises des bacheliers. C’est pourquoi, pour éclairer la lanterne des aspirants avocats et juristes, j’ai interrogé Marie-Laure Paldi, avocate au barreau de Paris et aujourd’hui juriste au sein d’une autorité publique. Marie-Laure aime son métier et c’est un réel plaisir de l’entendre partager sa passion du droit.
De la méthode avant toute chose…
Que faut-il savoir sur les études conduisant aux métiers du droit ?
J’entends souvent dire que pour réussir ses études de droit, il faut apprendre par coeur, mais ce n’est pas vrai. Personnellement, j’ai appliqué une méthode qui m’a toujours servie et qui m’a réussi. Bien sûr il y a toujours une ou deux définitions, quelques éléments clé à apprendre par coeur. Mais ce que j’apprenais vraiment par coeur c’est le plan. Je ne m’autorisais pas une virgule d’écart ! Parce que quand tu as le plan, tu as la structure. C’est comme le système de la carte mentale : tous les éléments prennent leur place comme une histoire et quand tu as besoin d’une information, tu vas la retrouver beaucoup plus facilement.
De plus, tu comprends comment s’organisent les connaissances et quel est le mécanisme qu’on essaie de t’enseigner. En fait, le plan c’est l’organisation des connaissances visées. Ensuite, à force de travailler tes cours, tu finis par tout connaître par coeur ,mais sans l’avoir appris. Ce qu’il faut c’est faire fonctionner les connaissances ensemble, faire les liens entre les différentes parties du cours. Ainsi, tu vas relever toi-même ce qui se complète, s’atténue ou se contredit. Ton apprentissage doit être dynamique pour prendre sens. Comme ça tu formes ton esprit critique ! Quand j’étais à la fac, pour celles·ceux qui apprenaient tout par coeur et qui ont abandonné leurs études, la connaissance n’était pas vivante dans leur esprit. Ils avaient les infos, mais ils ne savaient pas les utiliser et en faire quelque chose.
Ce qu’on te demande, c’est pas de connaître le code par coeur, mais c’est de savoir l’utiliser. C’est de faire fonctionner les informations ensemble.
Les métiers du droit : pour celles et ceux qui veulent comprendre le monde dans lequel il·elle vit
À ton avis, quel serait le profil d’un étudiant·e en droit ?
Pour moi, la première année de droit a été une révélation. Quand on a envie de comprendre le monde dans lequel on vit, son époque, les grands enjeux de libertés publiques. Quand on est jeune, on se pose des questions. Par exemple en cette période de pandémie, les occasions de s’interroger ne manquent pas : les gens qui manifestent parce qu’ils ne veulent pas porter le masque, l’interdiction d’aller à plus d’1km de chez soi ? Est-ce que c’est constitutionnel, est-ce que c’est compatible avec nos libertés fondamentales ? Dans quelle mesure on peut ordonner ce genre de choses ? Qu’est-ce que c’est la liberté de manifester ? la liberté d’opinion, d’expression ? Tous ces enjeux-là, on commence à mieux les comprendre grâce à l’enseignement reçu en première année.
Par ailleurs, en première année, j’ai trouvé passionnant l’aspect historique. On étudie l’histoire des institutions : on mesure tout le chemin qui nous a amenés à accorder tels ou tels pouvoirs au Président, au Premier ministre et aux ministres, à l’Assemblée nationale et au Sénat. J’ai beaucoup apprécié ces cours qui m’ont permis de mieux comprendre l’organisation de notre société.
Pour certains de mes camarades leur préférence allait plutôt au droit civil qui inclut notamment le droit de la famille et le droit des obligations. C’est aussi très intéressant et très concret. Quel est le régime du prénom, du nom de famille, du mariage, de la filiation. Qu’est-ce qu’un contrat ? Peut-on prendre un engagement unilatéral envers quelqu’un ? Tout ça explique l’hyper structure qui cadre nos existences et qu’on ne voit pas. Parfois on ne se pose tout bonnement pas la question : on nait, on vit on meurt dans un cadre. Avec les études de droit, on nous donne les outils pour interroger ce cadre, pour le comprendre. C’est pourquoi, je pense qu’un·e étudiant·e en droit doit avoir de la curiosité, l’envie de comprendre le monde dans lequel il·elle vit.
L’image des métiers du droit dans l’imaginaire collectif
Les stéréotypes des métiers du droit
Que répondrais-tu aux stéréotypes concernant les métiers du droit, celui d’avocat en particulier ? Charisme, notoriété, fortune…
Alors déjà, la notoriété, tu ne l’as pas tout de suite, voire jamais ! Par contre, le côté trépidant oui ! J’ai exercé pendant six années comme avocate et j’ai énormément apprécié ce que j’ai fait. C’est vraiment un métier passionnant, plein de rebondissements et de montées d’adrénaline. J’étais plutôt généraliste et j’ai traité des affaires très diverses. Ce que j’ai apprécié par-dessus tout c’est d’être proche du quotidien des gens, d’intervenir de façon très concrète pour les aider, les conseiller, les accompagner dans des moments parfois douloureux. Désormais, j’interviens en tant que juriste spécialisée dans une grande institution. Mon travail est plus technique, mais je traite aussi des dossiers complexes et passionnants.
Pour revenir sur la notoriété, celle-ci s’acquiert souvent par spécialisation. Il y a des avocats spécialistes en droit de la famille, il y a ceux qui s’intéressent au droit de la propriété intellectuelle, d’autres aux contrats ou encore au droit du travail etc. C’est très vaste puisqu’on retrouve du droit partout, dans les domaines privé, public, administratif, commercial… Mais ce n’est pas une obligation de se spécialiser.
Il y a mille et une façon d’exercer le métier d’avocat ! Autant de façons d’exercer que d’avocats. Entre l’avocat collaborateur à plein temps dans un cabinet de conseil et l’avocat pénaliste à son compte qui ne fait que du contentieux, ce n’est pas du tout le même métier.
L’aspect financier de la pratique du métier d’avocat
Quant à l’aspect financier, difficile de parler de fortune ! Pour un avocat à son compte, les charges sont énormes. Sur 100 euros encaissés, il reste entre 25 et 30 euros après avoir payé l’URSSAF, les cotisations retraite, les cotisations ordinales et les autres charges (dont le loyer). C’est, entre autres, pour ça qu’il est extrêmement difficile de démarrer une activité indépendante seul·e après ses études de droit. Souvent, les gens trouvent que prendre un avocat coûte cher. Mais sur une facture forfaitaire de 1500 euros pour une procédure, l’avocat·e n’en gardera qu’à peine 500.
Sans doute cette idée qu’un avocat gagne beaucoup d’argent vient du fait que par le passé les avocats bénéficiaient d’un régime fiscal plus favorable et d’une considération sociale plus grande. Aujourd’hui, le statut d’avocat est beaucoup plus précaire et il n’est pas rare que des débutants gagnent le SMIC après sept années d’études. C’est une réalité qu’il faut connaître avant de démarrer sa carrière.
La diversité des métiers du droit
Richesse et pluralité des métiers du droit
Quels sont les débouchés des études de droit ?
Il y en a beaucoup ! Voici les principaux :
- avocat·e (soit après passage du CAPA soit après sept années d’exercice comme juriste, soit après un doctorat de droit) ;
- juriste (secteur privé ou public);
- magistrat de l’ordre judiciaire (ENM, école nationale de la magistrature ou passerelle entre avocature et magistrature);
- commissaire de police ;
- commissaire-priseur (avec double cursus droit et arts) ;
- notaire (école du notariat) ;
- huissier de justice ;
- greffier (école nationale des greffes);
- magistrat de l’ordre administratif, au sein des tribunaux administratifs, des cours administratives d’appel ou du Conseil d’État (accès sur concours).
- Concours administratifs : ENA, attaché territorial, directeur d’hôpital, etc.
La profession d’avocat toujours la plus désirée parmi les métiers du droit
À noter que la profession d’avocat est organisée sous la forme d’un ordre professionnel (comme les médecins, par exemple), qui assure la discipline au sein de la profession en faisant respecter des régles déontologiques nombreuses et strictes. Avant de commencer à exercer, les futurs avocats doivent prêter serment en prononçant la phrase suivante devant les magistrats de la Cour d’appel du ressort de leur barreau : « Je jure comme Avocat d’exercer mes fonctions avec dignité, conscience, indépendance, probité et humanité ».
À partir de l’obtention d’un Master 1 en droit, les étudiants souhaitant devenir avocats passent un examen national, difficile, exigeant : le CRFPA. Ils peuvent le présenter trois fois. S’ils réussissent, ils suivent une formation de 18 mois divisée en trois parties :
- 6 mois de cours à l’école du barreau de leur ville (par exemple Barreau de Paris) ;
- 6 mois de PPI (projet pédagogique individuel), qui consiste en un stage dans le domaine juridique, donnant lieu à un rapport de stage. Par exemple : en juridiction, en ministère, en entreprise. Cela peut aussi consister en un Master 2 ;
- 6 mois de stage en cabinet d’avocat, qui donne lieu aussi à un rapport de stage.
À l’issue de cette formation, les candidats passent un autre examen, le CAPA (Certificat d’aptitude à la profession d’avocat). Il faut ensuite trouver un cabinet pour exercer en tant que collaborateur ou prouver que tu as une adresse pour pratiquer la profession dans le respect de la déontologie. Tu peux alors prêter serment !
Mais ce n’est pas recommandé de débuter tout·e seul·e. La véritable formation à la profession débute une fois qu’on a prêté serment et qu’on commence à exercer. Alors mieux vaut être accompagné et encadré, car l’avocat peut engager sa responsabilité s’il commet des erreurs.
Le choix d’une spécialisation n’enferme pas dans un domaine
À partir du Master 1, on peut choisir une spécialité. Mais elle ne nous enferme pas. Moi, j’ai fait une spécialité en droit administratif. Finalement, j’ai exercé comme avocate en droit pénal, privé, et commercial. Je me suis formée à nouveau, sur le tas. Une amie qui était à la fac avec moi et avait fait du droit public est devenue magistrate judiciaire. Elle a fait l’ENM (Ecole nationale de la magistrature), une des écoles les plus difficiles à décrocher.
De toute façon, on passe beaucoup de temps à se former pour être à jour des nouveautés. On est toujours dans une dynamique et on peut passer du privé au public ou l’inverse et aborder différents domaines du droit. Exercer uniquement dans sa spécialité est possible mais aucunement une obligation ! Et comme le droit est vaste, si on est quelqu’un de curieux, toujours à l’affût pour comprendre, on ne s’ennuie jamais !
Quelques conseils pour mieux s’orienter dans les métiers du droit
Comment choisir sa fac de droit ?
C’est une question qui dépend beaucoup de ton lieu de résidence ! En général, tu vas chercher les facs qui sont les plus faciles d’accès pour toi. Je pense qu’il y a de bons profs partout, nos universités sont plutôt bien dotées. En revanche, les convictions politiques diffèrent et on peut être tenté·e de choisir sa fac en fonction de ses opinions. Cette question est assez délicate, car il arrive parfois qu’un·e enseignant·e soit une vraie pointure dans son domaine mais qu’il ne colle pas avec notre conception du monde. Quand on débute ses études, on peut se braquer si l’on ne parvient pas à distinguer l’enseignant de ses opinions. Mais c’est bien aussi d’écouter la pluralité des points de vue. En somme, tout dépend du caractère !
Effectivement, il faut choisir sa fac et pas seulement sur des critères géographiques. Si vraiment un·e jeune bachelier·ère est perdu·e dans la liste des universités potentielles, je pense qu’il·elle peut toujours se déplacer et discuter directement avec des étudiants ou passer par des associations d’étudiants. Ça vaut le coup de faire cet effort pour maximiser ses chances de réussite en première année.
Assister aux procès pour mieux connaître les différents domaines du droit
Par ailleurs, pour se faire une idée de ce qu’est le droit, le mieux c’est d’assister aux procès. N’importe qui peut venir assister à une audience, sauf mention contraire, car elles sont publiques. Le huis-clos est l’exception, sauf dans les procès impliquant des mineurs où il est la règle, et en matière familiale.
Si je devais donner un conseil important aux jeunes désirant s’orienter vers les métiers du droit, ce serait vraiment d’aller assister à des audiences, telles que celles des tribunaux correctionnels. Dans ce domaine, je recommande en particulier les audiences de comparutions immédiates qui sont extrêmement instructives. Elles sont intéressantes sur le plan juridique, mais aussi sur le plan de la société. Tu découvres tout un tas de choses. Tu peux aussi assister à des procès plus sensibles, comme à des procès d’assises, lorsqu’il y a de la place et que le président n’ordonne pas le huis clos..
Est-ce qu’un mineur peut rentrer dans une salle d’audience ?
Absolument ! Les portes des audiences sont ouvertes à tout le monde, sauf exceptions. Tu viens, tu s’assois et tu repars quand tu veux. Tu peux passer d’une salle à l’autre, tu vas voir les problèmes d’expulsions de logements, les audiences concernant les étrangers placés en rétention administrative, les questions contractuelles, de succession, les procès correctionnels… C’est un très bon moyen pour tester sa sensibilité au droit et se projeter dans la profession d’avocat·e.
Focus sur le droit administratif, la spécialité de Marie-Laure Paldi
Pour terminer, peux-tu nous en dire plus sur ta spécialité ?
Au cours de mes études, je me suis spécialisée en droit administratif. Le rôle des juges administratifs est de déterminer si une décision administrative est légale ou pas. Or, il y a des décisions administratives dans tous les domaines : fermeture administrative d’un établissement, refus de permis de construire, refus de titre de séjour, refus d’agrément d’une assistante maternelle, interdiction de manifester, sanction si on triche au Bac, retrait de permis de conduire… C’est extrêmement vaste et pour moi c’est passionnant ! J’ai adoré ça et j’en avais fait ma spécialité. C’est dans cette matière que se pose la question des libertés publiques. On s’interroge sur ce qu’est l’intérêt général et sur la place des intérêts particuliers des uns et des autres face à cet intérêt général. Toutes ces questions me passionnent !
Par exemple, le droit administratif intervient dans le domaine du droit des étrangers, qui est assez complexe puisque deux juges sont impliqués en cas d’obligation de quitter le territoire français avec placement en rétention administrative de la personne. Il y a le juge administratif qui va connaître de la légalité de la décision et le juge judiciaire qui va connaître de la légalité du placement en rétention administrative de la personne. En conclusion, le droit administratif est hyper vaste. Il touche à des sujets très riches et aussi humainement très concrets. Il y a moins d’étudiants en droit administratif parce que ça rebute, alors que c’est passionnant et justement pas du tout ennuyeux ! Dans ce domaine, certains choisissent aussi de s’intéresser au droit des marchés publics, plus proche du droit des affaires.
L’avenir du travail pour les métiers du droit
Le droit est une matière mouvante et elle l’est de plus en plus. Il y a beaucoup de réformes, de changements, tout s’accélère. Il faut se mettre à jour constamment pour pouvoir appliquer les nouvelles règles. C’est pour ça que c’est difficile de rester généraliste. C’est envisageable en dehors des grandes agglomérations, dans les barreaux de taille modeste, mais à Paris c’est très difficile tant les dossiers – et les avocats ! – sont nombreux et variés.
Par ailleurs, notre profession fait de plus en plus appel à l’intelligence artificielle. D’ores et déjà, les praticiens utilisent constamment les bases de données juridiques payantes (et chères !) désormais indispensables au travail. On évoque pour bientôt l’arrivée de nouveaux outils capables de rédiger des projets d’actes. Mais la relation humaine avec le client, le fait d’expliquer ce qui va se passer, la présentation au juge d’un contexte, tout ça, une machine ne peut pas le faire. En dépit du développement des bases de données en ligne, nous traitons encore beaucoup de documents papier : les dossiers remis aux magistrats, les documents remis par les clients… Mais oui les métiers du droit évoluent et la formation continue est fondamentale.
Il en va de même dans la plupart des secteurs professionnels. Le futur du travail va faire appel aux compétences psycho-sociales, à la capacité à apprendre et à s’adapter aux évolutions de la société. Le recours à l’intelligence artificielle constitue certainement une des évolutions majeures à venir. Un grand merci à Marie-Laure d’avoir partagé ici sa passion et ses conseils avisés pour aborder les métiers du droit.