Chez Weeprep, nous aimons penser que les jeunes qui utilisent notre application pour les aider à trouver leur métier ne se refusent aucun projet, aucune filière. Les filières manuelles sont souvent déconsidérées au profit des professions intellectuelles. Mais chez Weeprep, ce qui nous importe c’est que chaque jeune fasse ses propres choix en fonction de ses affinités. Qu’il·elle choisisse ce qui fait battre son coeur, ce qui attise sa curiosité et son envie, sans dépendre nécessairement de ses seuls résultats scolaires. De fait, ces dernières années, les métiers d’art et de l’artisanat ont suscité un réel engouement chez des adultes en reconversion. Pour certains d’entre eux, c’est un rêve d’enfant qui se réalise enfin. C’est l’occasion de renouer avec son ikigaï parfois sacrifié dans un cursus plus conforme aux attentes sociales et familiales.
Cette semaine, je vous propose de découvrir le métier de céramiste grâce à Alexandra Garrigues qui possède son atelier à Paris. Merci à elle ainsi qu’à Géraldine, chargée des cours pour enfants, croisée forfuitement mais fort utilement dans ce chaleureux atelier de l’Est parisien.
Avant toute chose, commençons par un petit point sur les métiers d’art aujourd’hui.
Essor de la filière des métiers d’art
La grande diversité des métiers d’art
Signe du développement de la filière des métiers d’art, longtemps rattachée à l’artisanat, un arrêté du 24 décembre 2015 entérine désormais une nouvelle filière économique comprenant 281 métiers répartis dans 16 domaines d’activités. Cela représente 57 000 salariés et 38 000 non salariés avec une prépondérance féminine à 65,6 % et un âge moyen de 48, 5 ans. La région Ile-de-France concentre 20% des entreprises de métier d’art (source Défi métiers). Cependant, d’après le site spécialisé Le monde des artisans, la terminologie des métiers d’art n’est pas toujours aisément identifiable. En fonction des codes NAF retenus, certaines activités chevauchent l’artisanat et les métiers d’art.
Le nombre d’entreprises dédiées aux métiers d’art augmente
Toutefois, d’après une étude menée par l’Institut Supérieur des Métiers (ISM) du 7/03/19, on identifie 51 000 entreprises concernées par la filière des métiers d’art. 50% de leur activité concerne l’ameublement et la bijouterie-horlogerie (environ 20%). « L’étude montre également une évolution fortement positive du nombre d’entreprises travaillant dans le domaine des métiers d’art : de 38.460 en 2005 elles sont passées à 51.240 en 2017. »
Autre particularité des métiers d’art : « 81 % de l’ensemble des entreprises des métiers d’art sont unipersonnelles et 66 % des dirigeants non-salariés sont des micro-entrepreneurs. » Ces métiers s’exercent donc de plus en plus en indépendant et non sous le régime du salariat. De plus, ces micro-entreprises occupent uniformément le territoire, aussi bien en zones rurales (28%) que dans des espaces plus denses (33% en villes-centre et 29% dans leur périphérie). La nécessité de posséder un local suffisamment grand pour exercer, doublé d’un mouvement néo-rural explique sans doute comment deux paramètres s’ajustent territorialement. Ce qui induit par ailleurs une plus grande souplesse et liberté du choix du lieu de vie pour celles et ceux qui travaillent dans la filière des métiers d’art.
Toutes ces particularités concourent certainement à rendre attractifs des métiers autrefois réservés aux élèves jugés moins bons dans le circuit dit « général », autrement dit des jeunes supposés moins « intellectuel » et plus « manuels ». Vieille distinction qui a la peau dure depuis que l’aristocratie s’exclut de fait de la classe laborieuse. Mais aussi plus récemment lorsque le monde du travail s’est ouvert au secteur tertiaire, promouvant alors l’image du col blanc comme marque de progrès. Aujourd’hui, la frontière entre métier intellectuel et manuel a tendance à s’abolir. En particulier dans la filière des métiers d’art dont les formations concilient technique, création et réflexion sur sa pratique.
Pour nous parler du métier de céramiste, quoi de mieux que d’écouter Alexandra Garrigues nous relater son expérience personnelle !
Les possibilités de fabrication d’objets sont infinies
Le choix d’un métier d’art pour fabriquer des objets
Aller au bout de ses envies : tout commence par un diplôme de métier d’art (DMA)
Pour Alexandra Garrigues, il n’y a eu aucun doute quant à son choix d’orientation. Elle savait qu’elle voulait fabriquer des objets, des contenants plus particulièrement. Sa volonté a été respectée par sa famille, alors qu’il y a 25 ans les débouchés professionnels pour une céramiste à Paris étaient plutôt maigres.
À l’époque, faire un DMA de céramiste c’était une voie de garage. À moins de pointer dans une grande industrie de la porcelaine pour fabriquer des éviers ou des toilettes à la chaine, il n’y avait pas beaucoup d’alternatives. En gros, soit tu ouvrais ton atelier, soit tu travaillais comme ouvrier dans une usine de céramique, type Villeroy et Bosch. Mais ce n’était pas ce qui m’intéressait et à Paris de toute façon il n’y avait pas d’usines !
Mais j’ai tenu bon, je voulais vraiment faire ça. Fabriquer des objets. Je me suis accrochée et j’ai persévéré en montant mon atelier et en gagnant ma clientèle. Par ailleurs, depuis quelques années, le contexte a évolué à Paris. Il devient tout à fait possible d’avoir un atelier et de donner des cours par exemple.
En fait, ton atelier a une activité mixte de fabrication et de transmission des savoirs ?
En effet, en atelier on trouve rarement de la création pure. Celles et ceux qui possèdent un espace de travail à leur domicile développent souvent une création, un style d’objet qu’ils vendent sur les marchés ou en boutiques. Mais le revers de la médaille, c’est qu’ils·elles se retrouvent souvent à produire toujours les mêmes objets. Dans mon atelier, je reçois les clients dont les commandes sont très variées : des assiettes spéciales pour un mariage, des demandes spécifique de restaurateurs, de designers…
Récemment, j’ai souhaité m’orienter davantage vers l’enseignement. Tout d’abord, j’ouvre mon atelier à d’autres céramistes, professionnels ou non, qui souhaitent échanger sur leurs pratiques. Ensuite, j’accompagne des adultes désireux de progresser dans leur connaissance des matériaux et des techniques. Ils peuvent aussi utiliser l’atelier de façon autonome pour produire leurs créations.
Enfin, mon atelier accueille également des cours de céramique pour adultes et enfants. C’est un lieu vivant de production et d’échange.
L’atelier est un lieu d’échange et de coopération
Un métier ancestral pratiqué par des gens très différents !
Pourquoi l’argile ?
Pour moi c’est une évidence. La terre est un matériau admirable, écologique, recyclable à l’infini. Travailler la terre est un métier ancestral pratiqué par des gens très différents ! À partir de poussière, tu peux créer une infinité d’objets. Et contrairement à d’autres matériaux comme le bois ou la pierre, tu peux ajouter plutôt qu’enlever ou creuser. De plus, la terre est beaucoup plus malléable que le verre. Bien sûr, il faut maîtriser toutes les étapes de la fabrication, de la matière brute au façonnage puis de la cuisson au rendu final. J’utilise aussi bien le tour que le moulage. Je m’adapte en fonction de chaque projet. Contrainte et création vont de pair : la maîtrise de l’une induit la réussite de l’autre. Et quand je ne sais pas, j’essaie, je cherche jusqu’à ce que j’obtienne ce que je veux.
Est-ce que tu dessines tes projets avant de passer au travail de la terre ?
Pas du tout ! Je pense en trois dimensions. J’ai besoin de toucher la matière pour exprimer ce que j’ai en tête. Chacun fait comme il veut, d’autres personnes préfèrent dessiner leurs objets avant de les mettre en oeuvre. Tout est possible ! Évidemment si un client vient avec un projet précis, je vais suivre ses cotes pour aboutir au plus près de ses attentes. Mais quand je crée mes propres objets, je pars du matériau, de l’argile. Elle est la source de mon travail.
Peux-tu nous en dire plus sur les processus de production ? (merci Géraldine pour les explications ! )
On travaille l’argile. Une fois qu’elle est cuite, elle devient céramique. La céramique c’est le produit fini, que tu ne peux plus transformer. Mais avant cuisson, tu peux intervenir sur la forme et la couleur indéfiniment. Pour le moulage, tu pars d’une pâte assez liquide à laquelle tu donnes une forme grâce au moule. De plus, tu peux obtenir une finesse que tu n’atteindrais pas autrement. L’avantage aussi est de pouvoir réaliser une série à partir de ce moule.
Par ailleurs, j’utilise le tour avec une terre plus solide. Il faut comprendre que chaque terre (différentes argiles) possède ses propriétés, avec ses avantages et ses inconvénients. D’autre part, le degré de cuisson compte également pour le rendu final. La porcelaine, travaillée très fine, peut même être translucide, tout en étant aussi solide que du grès. Tout dépend de ce qu’on veut faire comme objet et du projet qu’on a en tête.
Alexandra, qu’est-ce qui te plait dans le travail de la terre ?
La terre, c’est magique, parce qu’on peut autant travailler en modelage qu’en sculpture (ce qui n’est pas le cas du verre). Du bois, de la pierre, on va retirer de la matière. Avec la terre, on peut en enlever et en ajouter. Pour le modelage, pour les formes, il y a une infinité de possibilités. Le plâtre aussi, on peut lui donner une forme en le moulant, on peut le tailler aussi, mais ajouter du plâtre c’est compliqué. Avec la terre, on va dans les deux sens, à l’infini, comme on veut. C’est aussi un matériau naturel, recyclable indéfiniment. C’est ce qui me plait dans le travail de la terre : cette grande liberté du matériau.
Le four de l’atelier d’Alexandra Garrigues
Merci à Alexandra et à Géraldine de m’avoir consacré du temps pour partager leur savoir et leur enthousiasme. Je reviens désormais sur quelques pistes qui ont été évoquées ainsi que sur les possibilités d’orientation dans les métiers d’art et en particulier la céramique.
Origine de la céramique et refonte des formations aux métiers d’art
Si on remonte à la préhistoire, on peut dire que le travail de l’argile est primitif. C’est un matériau qu’on trouve directement dans le sol. On peut le prélever sans peine et le façonner à la main. Les premiers hommes ont très vite compris comment se saisir de ce matériau pour fabriquer des objets. Probablement que la cuisson a été découverte de façon empirique. Cela a permis de fabriquer des objets plus solides et surtout non poreux. La céramique est inaltérable et réutilisable à l’infini.
En fait, le regain d’intérêt pour ce matériau, après les dérives du plastique et autres polymères, s’inscrit dans une tradition multi séculaire ! Quand on choisit d’exercer un métier d’art, on s’inscrit nécessairement dans un temps long de l’histoire. Ce qui n’empêche pas d’être créatif et de prendre du plaisir, comme nos ancêtres certainement avant nous !
Le métier de céramiste est hyper vaste, il y a plein de façons de l’exercer et d’appréhender l’argile. On peut fabriquer de tout avec. Chez moi, ce qui est particulier c’est que je travaille avec des techniques de manufactures ou d’industrie. Parce que je travaille principalement au moulage. En général, dans les petits ateliers on ne travaille pas trop comme ça. Le moulage s’apprend à l’école. Moi j’ai fait un DMA à l’école Duperré à Paris.
Alexandra Garrigues, céramiste
Quelques pistes pour s’orienter vers les métiers d’art
Désormais ce sont des DN MADE (diplôme national des métiers d’art et du design) qui remplacent les DMA et BTS design. Ils confèrent le grade de licence. Pour s’orienter en céramique, il faut choisir la mention Matériaux – domaine céramique. L’Institut national des métiers d’art met à disposition un outil de recherche de formations aux métiers d’art en fonction du profil. À noter qu’il existe plusieurs CAP pour les métiers de la céramique :
- décoration en céramique,
- modèles et moules céramiques,
- tournage en céramique.
Ils permettent tous d’accéder à un BMA (Brevet des métiers d’art) qui s’obtient en 2 ans et qui permet à son tour d’accéder à un DMA ou DN MADE (niveau licence).
Dans l’ancienne école d’Alexandra Garrigues, l’école Duperré, les formations sont actuellement en pleine refonte dans le cadre du basculement des DMA en DN MADE (3 ans d’études). La filière céramique devrait être délocalisée d’ici deux ou trois ans. D’une manière générale, il convient de se renseigner auprès des établissements pour étudier le contenu de leur formation et vérifier qu’elle est bien en adéquation avec le projet professionnel. De plus, la plupart des écoles organisent des portes ouvertes en début d’année. Celles-ci s’ajoutent à d’autres manifestations publiques initiées par l’Institut nationale des métiers d’art ou par Ateliers d’art de France (le syndicat professionnel des métiers d’art).
De même, aller à la rencontre des professionnels, pousser la porte de leur atelier constitue un bon moyen de s’imprégner de l’ambiance de travail. C’est ce même conseil que nous donnait déjà l’avocate Marie-Laure Paldi comme préambule à des études de droit, ou Santillane Le Baud-Benabed avant de se lancer dans un CAP pâtissier. Un excellent conseil à suivre avant de saisir ses voeux sur Parcoursup !
L’atelier accueille adultes et enfants pour des cours adaptés