Pour tempérer les discours alarmistes face aux ados accros aux écrans, accueillons la neuvième place de la lecture dans les activités préférées des jeunes comme une bonne nouvelle !
La lecture fait partie des activités quotidiennes des adolescents
Le 19 juin 2018 paraissait une enquête Ipsos/CNL portant sur les jeunes adultes et la lecture. Ses résultats ont largement été relayés dans la presse qui s’enthousiasmait de voir encore la lecture figurer parmi les activités préférées des ados. Alors oui, elle n’arrive que 9ème derrière la musique, les amis, les réseaux sociaux, le smartphone ou Netflix. Mais elle se maintient dans le champ des loisirs des jeunes.
D’ailleurs, certains spécialistes comme Samantha Bailly, ex-Présidente de la Charte des auteurs et illustrateurs jeunesse, considère qu’il n’y a pas incompatibilité entre l’usage des écrans et la lecture. Les ados sont tout à fait capables d’apprécier une bonne série et un bon roman SF. Bien sûr, le temps libre des jeunes est largement mobilisé autour de leur téléphone et leurs multiples activités, mais la lecture résiste ! D’ailleurs, le sondage réalisé pour le CNL montre que les jeunes sont les plus nombreux à souhaiter avoir plus de temps pour lire. Avec 80% pour les 15-25 ans contre 69% tous âges confondus.
Comme nous tous finalement ? Combien de soirs n’ai-je pas tenté de troquer mon téléphone contre un livre ? Il s’agit d’un fait de société qui touche jeunes et moins jeunes : cette difficulté à lâcher prise des écrans… Jusqu’au summum de la bêtise parfois ! Ainsi, récemment, j’ai vu passer sur le Figaro tech et web un article intitulé « Le porte-biberon pour smartphone est né » . Je ne sais pas si cette entreprise américaine a fait fortune, mais ce concept révèle un profond malaise ! Du coup, difficile de reprocher aux jeunes de ne pas décoller des écrans quand les adultes font pareil !
Quelles habitudes de lecture ?
D’après l’étude du CNL, seulement 5% des 15-25 ans lisent exclusivement dans un cadre scolaire ou professionnel. Sur les 13 livres lus au cours des 12 derniers mois, 9 l’étaient dans le cadre de leurs loisirs, par goût personnel. Par ailleurs, les 15-25 ans sont 91% à se considérer comme lecteurs. Soit 9 points de plus par rapport à 2015 ! Cependant, la lecture accuse un net décrochage dès l’entrée au collège, surtout pour les garçons. Cette tendance s’accentue encore au lycée et est corrélée à une baisse du contrôle parental de l’accès aux écrans. Ainsi, pour plus des 2/3 des lycéens, les parents n’effectuent plus aucun contrôle de leur usage des médias.
Par ailleurs, tout comme l’ensemble des lecteurs lit pour le plaisir, pour apprendre et découvrir de nouvelles choses, les jeunes lisent aussi pour être heureux et épanouis. S’ils n’apprécient pas toujours de décortiquer une oeuvre littéraire à l’école, ils savent apprécier les lectures qu’ils ont choisies.
D’autre part, de nombreux professeurs de français, bibliothécaires, documentalistes et libraires s’engagent à faire découvrir la production littéraire contemporaine. Dans cette optique, ils organisent des rencontres, des ateliers et des débats en présence des autrices et auteurs. Ce sont souvent des moments forts de l’année. Par exemple, récemment, l’autrice Fanny Chartres a reçu le prix littéraire des collégiens de l’Hérault. Elle se réjouissait sur sa page Facebook de l’accueil que lui avaient réservé ses jeunes lecteurs et lectrices.
De surcroit, les jeunes sont les plus nombreux à lire dans les transports ou dans les lieux publics. Mais, en général, le moment le plus propice à la lecture reste le soir au coucher et pendant les vacances (pour 62 %). Quand ils ont du temps, vers quel(s) genre(s) de livres portent-ils leur choix ?
Que lisent les 15-25 ans ?
Tout d’abord, ils lisent toujours des livres papier comme le titrait France Info pour insister sur la cohabitation écran et livre. Cependant, les jeunes sont les premiers utilisateurs de livres au format numérique. Ainsi 47% en ont au moins lu un au cours des 12 derniers mois. A leur façon, les jeunes se sont emparé·e·s du livre, en le faisant accéder à leur monde dématérialisé. Belle preuve de la persistance de la lecture loisir dans les générations futures, mais sous une forme numérique !
Ensuite, les jeunes sont très éclectiques dans leur choix. Ils aiment varier les genres et passer du roman SF à la BD, en passant par le manga. Ces deux derniers ont d’ailleurs très fortement soutenu le marché du livre en 2018. A tel point que le CNL lui attribue l’augmentation du nombre de grands lecteurs chez les 15-25 ans ! Plus 2 points entre 2015 et 2019, soit 16%. De fait, au collège, bandes-dessinées et mangas supplantent le roman dans la lecture loisir, surtout chez les garçons.
En revanche, passé le collège, les ados s’orientent à nouveau davantage vers le roman, en privilégiant la science-fiction et l’imaginaire. On parle alors de littérature jeune adulte ou YA (Young adult). Le dernier salon du livre de Paris, Livre Paris, lui consacrait une programmation spécifique. On y découvrait Benoît Minville, auteur de polar, déjà présent sur le plateau de La Grande Librairie du 19/12/2018. S’y trouvaient entre autres excellents auteurs jeunesse, la talentueuse Clémentine Beauvais (Brexit Romance) et la grande Marie-Aude Murail (Sauveur et fils).
Enfin sur le thème « adolescents d’aujourd’hui, adultes de demain », Vincent Villeminot abordait le binôme utopie/dystopie avec son dernier roman Nous sommes l’étincelle chez PKJ. Le genre « survivaliste » est en pleine expansion depuis le succès des Hunger Games de l’autrice Suzanne Collins. S’y mêlent politique, écologie, humanisme, violence et cruauté. Un condensé du meilleur et du pire de l’humanité ! Ainsi, les jeunes peuvent expérimenter les extrêmes et tester leurs propres capacités de survie en milieu hostile et/ou totalitaire.
Le point commun de tous ces auteurs tient à leur qualité littéraire. Mais aussi à la crédibilité de leurs personnages et au respect du lectorat (choix narratifs, sincérité de l’engagement auprès des jeunes).
Mais d’où vient l’envie de lire, indépendamment du cadre scolaire ?
Des pratiques de lecture transmises de parents à enfants
Sans surprise, la place de la lecture au sein du cercle familial influence le comportement des ados. Les lecteurs qui ont fréquenté assidument les livres tout-petits perpétuent cette tendance dans 95% des cas. Parmi eux, on compte 41% de grands lecteurs, contre 19% pour les lecteurs issus de milieux où la lecture n’avait pas du tout d’importance.
En pratique, le CNL relève un écart de 50 minutes de temps de lecture entre les enfants les plus favorisés et les moins favorisés. Par ailleurs, le facteur « parent lecteur » influence le comportement des jeunes, surtout lorsqu’il s’agit du père ! Pour seulement 18% de pères lisant souvent (contre 48% pour les mères), on obtient 86% d’enfants qui aiment lire, contre 77% en moyenne.
Cependant, le facteur du temps disponible reste l’obstacle majeur, toutes catégories et types de lectures confondus.
Des actions en faveur de la lecture pour tous
Pour favoriser l’accès du plus grand nombre à la lecture, le Ministère de la culture organise depuis cinq ans Partir en livre. Ainsi, il s’agit d' »une manifestation nationale, gratuite, populaire et festive » pour faire sortir le livre « de ses lieux habituels pour aller à la rencontre des enfants et des jeunes pour leur transmettre le plaisir de lire. »
Par ailleurs, on pourrait miser sur les bibliothèques municipales pour favoriser l’accès des plus modestes au livre. Mais, la fréquentation des bibliothèques de prêt est soumise au principe de proximité, tout comme l’achat en librairie.
Ainsi, les équipements et leur accessibilité varient d’une commune à l’autre et dépendent fortement de la politique culturelle des collectivités territoriales. C’est pourquoi on retrouve le commerce en ligne à la troisième place (48%), après les grandes surfaces (76%) et les librairies (68%). Certaines librairies indépendantes se sont d’ailleurs organisées en réseaux pour optimiser l’accès aux livres face au géant Amazon.
Livre et réseaux sociaux
D’ailleurs, de nombreux jeunes ont investi les réseaux sociaux pour partager leur passion de la lecture. Qu’elles·ils soient, booktubeurs ou instagrameurs, ils regorgent d’inventivité pour donner le goût de lire. Par exemple, l’adoaccroauxlivres sur Instagram propose des mises en scène sophistiquées, tandis que sur youtube Nine Gorman joue sur une approche décomplexée.
D’autre part, les ados raffolent des fans fictions et évoluent sur des plateformes dédiées à l’écriture et à la lecture de chapitres ou textes intégraux inspirés d’univers littéraires célèbres comme celui d’Harry Potter, pour ne citer que le plus connu.
compte Instagram de ladoaccroauxlivres
La lecture a encore de beaux jours devant elle ! Tant que la qualité perdurera et qu’il y aura des éducateurs pour se soucier de sa transmission, la lecture survivra. Elle garantira encore cette liberté, ce vagabondage de l’esprit, ce plaisir du suspens. Mais aussi cette expérience de se sentir autre, de vivre le danger comme la joie…dans la chaleur douillette de son lit ! Bonnes lectures à toutes et à tous !