Ah l’ennui, qui ne l’a pas vécu étant adolescent ? Souvenez- vous de ses longues heures de vacances de Toussaint, où vous ne saviez pas comment vous occuper. Et puis, dehors il pleut… pas un coin de pelouse sec pour jouer, pas un copain disponible parce que leurs parents ont décidé de les envoyer chez papi et mamie à quelques dizaines de kilomètres de-là. Vous vous sentez bien seul-e.
Rester scotché-e à la TV, Internet toute la journée, hors de question… parce que ce n’est pas bon pour la santé !
Et en guise d’occupation : ce roman imposé par la prof de français qui franchement ne vous intéresse pas, ces lignes interminables et inutiles de calculs à faire, cette liste de vocabulaire à apprendre par coeur en anglais ou en espagnol et puis pour couronner le tout : cette rédaction qui va vous peser tout le long de vos foutues vacances de Toussaint où vous aurez à broder autour d’un texte que votre prof à soigneusement sélectionné pour développer chez vous le sens de la créativité.
Bref, vive les vacances, vive l’insouciance !
Et vos parents… qui vous rappellent chaque jour de ne pas oublier de faire vos devoirs !
Et bien sûr vous ferez vos devoirs à la toute dernière minute, parce qu’il ne faut pas déconner, il faut se laisser le meilleur pour la fin !
Combien de fois avez-vous regardé par la fenêtre de votre chambre en enviant ce petit oiseau délicatement posé sur cette branche :
J’aimerais tant voler comme toi, j’aimerais tant m’enfuir et faire ce que je veux…
Et, vous levez la tête, hélas ! Retour à la triste réalité.
L’ennui absolu. Le vide intersidéral. Le pire, c’est que vous aimeriez être occupé-e mais quand il s’agit de s’y mettre, et bien, vous n’y parvenez pas.
« Quand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle
Sur l’esprit gémissant en proie aux longs ennuis
Et que l’horizon embrassant tout le cercle
Il nous verse un jour noir plus triste que les nuits… » Spleen , Baudelaire
Et cette petite voix qui ne cesse de vous dire : qu’est-ce que je peux faire… je ne sais pas quoi faire…
On le comprend, pour s’occuper il faut peut-être se mettre en action et surtout il faut le vouloir !
L’ennui c’est quoi, en fait ? On en fait quoi ?
I. L’ennui, notre ennemi mortel
Tout le monde, en règle générale n’aime pas s’ennuyer, d’ailleurs les êtres humains passent le plus clair de leur temps à combler les vides de leur vie.
Il suffit se se pencher un peu sur les écrits du philosophe Pascal (1623–1662) sur le divertissement et ses fonctions pour l’Homme.
En résumé, ce que dit Pascal c’est que l’ennui est un malheur constitutif de notre existence .
L’ennui nous rappelle finalement que nous sommes des êtres faibles, mortels exposés aux maladies, à la solitude. Pascal soutient que notre ennui viendrait de notre absence de foi, de spiritualité, en d’autres termes de l’absence de Dieu. Le divertissement est une façon d’échapper à notre réalité qui peut s’avérer déplaisante.
Pour couronner le tout, Pascal pense que l’Homme est incapable de par sa faiblesse d’être heureux dans la solitude et l’inaction.
Je cite :
“Rien n’est insupportable à l’Homme que d’être dans un plein repos, sans passion, sans affaire, sans divertissement, sans application. Il sent alors son néant, son abandon, son insuffisance, sa dépendance, son impuissance, son vide. Incontinent il sortira du fond de son âme l’ennui, la noirceur, la tristesse, le chagrin, le dépit, le désespoir.” B.131 ( Pensées, Le Divertissement, Pascal)
L’ennui est un sentiment désagréable qu’on éprouve lorsqu’on ne sait pas comment occuper son temps. On se sent vide et seul-e. On se sent alors contrarié-e, dégoûté-e, inutile, lassé-e, mélancolique, on a le cafard, on est inquiet-te, tourmenté-e, gêné-e, bref on a mal.
Le philosophe n’y va pas de main morte, on a le sentiment que l’Homme est condamné à souffrir parce que c’est sa nature.
II. Et si la peur de l’ennui venait de notre éducation, de notre culture ?
Premièrement, l’ennui est un phénomène socialement toléré…paradoxalement.
Les gens ont en effet tous un point commun : il leur arrive souvent de s’ennuyer. Les sites de rencontres surfent sur le business de l’ennui. Parce qu’ensemble on s’occupe plus aisément.
Pourtant quand on est avec autrui, il faut lui montrer qu’on aime s’occuper, qu’on a de grandes passions, que notre vie est pleine… Autrui est fatigant.
La présence d’autrui comble nos vides. Autrui = bouche-trou.
Nous pouvons tout-à-fait être en présence d’autrui et nous ennuyer mortellement. Donc, autrui ne peut pas résoudre ma solitude.
Tout le long de notre éducation (à la maison ou à l’école), on nous impose des emplois du temps avec des activités diverses et variées, on vit 300 à l’heure la plupart du temps. Il nous faut être productif et toujours en action.
Ces occupations souvent imposées, rythment nos vies. C’est comme un refrain, quand ce refrain s’arrête, nos vies s’en retrouvent bouleversées.
Nous finissons par culpabiliser de ne rien faire et nous découvrons finalement qu’on ne se connaît pas tant que cela. Pourquoi ? Parce que nos parents, l’institution scolaire choisissent en permanence ce qui est bon pour nous.
Il y a très peu de fois où nous avons eu la possibilité de faire des choix qui nous ressemblent.
Pour faire des choix, il faut parfois se recentrer un peu sur soi.
Parce qu’on peut aussi avoir le choix de ne rien faire. Le choix de l’oisiveté. Combien d’entre-nous rêverait de rester bien au chaud sous la couette à ne rien faire d’extraordinaire, à rêvasser, lire un bon roman, écouter de la musique… sans éprouver la moindre culpabilité.
Parce que cela nous fait du bien, c’est tout.
S’occuper avec des activités “épanouissantes” quand on est adolescent en dehors de la vie avec les copains, les réseaux sociaux, la TV reste globalement complexe.
S’occuper convenablement passe par une meilleure connaissance de soi.
Les adolescents sont la plupart du temps très occupés, l’ennui devrait être leur planche de salut, un moment où le temps s’arrête, un moment de repos, d’introspection, de méditation.
Mais allez leur faire comprendre !
III. Comment apprendre à vivre l’ennui ?
Les signes qui ne trompent pas :
Si l’isolement chez l’adolescent est trop récurrent alors il faudra instaurer un dialogue avec lui pour comprendre ce qui le rend triste.
Selon les spécialistes de la dépression, l’ennui chez l’enfant déprimé n’a pas le même sens que chez l’enfant “normal”. Dans cette situation l’ennui n’a aucune utilité éducative, il est un signe d’une véritable difficulté à vivre et nécessite une attention particulière de la part des parents.
L’adolescent déprimé a souvent un sentiment d’abandon important. Par conséquent, lui demander de fournir des efforts est risqué car il ne possède que très peu de ressources. Il est de fait affaibli.
L’ennui a ses vertus
L’ennui a ses vertus. Un adolescent qui s’occupe avec du sport, des sorties avec les copains, des activités artistiques etc. est plus rassurant qu’un adolescent qui regarde la tv avec un regard bovin (en même temps on arrive aisément à le comprendre face à un programme sur D8), qui régulièrement s’isole dans sa chambre à ne rien faire, qui a des moments d’inattention quand on discute de certains sujets.
On vous rassure, ces adolescents ont une vie intérieure riche, une vie spirituelle. Ils peuvent sans doute souffrir de ces temps d’arrêts mais au final, ils leur seront bénéfiques tout le long de leur vie, ils n’auront pas peur de la solitude, elle sera une alliée et pourront affronter les affres de la vie plus aisément que les personnes qui ne se seront jamais confrontés à elles-mêmes.
Les questions telles que “Qu’est-ce que je peux faire? “, “Je ne sais pas quoi faire”, sont sans doute des signes d’un manque de désir. Il faut juste que ça sorte :
« J’ai n’ai envie que d’une chose : ne rien faire. »
Parce que c’est dans ce rien que tout se joue. Acceptez, respirez, vivez.
Laila Ducher.