Commençons par une donnée statistique : la France est passée de la 36ème place (2012) à la 60ème place (2016) du classement international de la parité. Ce constat questionne les choix d’orientation des filles et des garçons en collège et lycée. Reproduction sociale ? Découragement des filles à intégrer certaines filières ? Selon Amélie, professeur d’histoire-géo dans un collège du 93, les filles sont confrontées à un défaut de mixité dans l’accès aux formations et au monde du travail.
La mixité comme enjeu institutionnel
Filières sexuées reflet du marché du travail
Il y a-t-il des métiers pour les garçons et d’autres réservés aux filles ? Cette question vous choque ? Et pourtant la réalité montre clairement que certains métiers sont essentiellement exercés par des hommes (bâtiment, mécanique etc.) et d’autres par des femmes (soins aux personnes, social etc.). Ainsi, l’Observatoire des inégalités indique que la quasi totalité des aides à domicile sont des femmes tandis qu’elles ne représentent que 2% des ouvriers du bâtiment. Cependant, ce constat s’oppose aux aspirations d’égalité légitimes entre les femmes et les hommes. Un Secrétariat d’Etat chargé de l’Egalité entre les femmes et les hommes en fait même de la mixité une cause nationale.
En fait, en théorie et légalement, il n’y a aucune raison valable pour imputer un métier à l’un ou l’autre sexe. Mais en pratique, il existe bel et bien des disparités d’accès aux formations. Dans l’établissement d’Amélie, les garçons s’orientent massivement en filière pro, tandis que les filles poursuivent en lycée technologique dans le social et l’aide à la personne. Pour elle, ce choix a des conséquences immédiates sur leur vie d’adulte. Au détriment de l’insertion économique et sociale des femmes dans la société.
En particulier, cette tendance vaut pour les filières professionnelles et technologiques. Ce qui ne signifie pas une mixité parfaite dans les parcours à bac+5. Ainsi, selon Amélie, on pointe souvent du doigt les disparités de salaires et de responsabilités entre cadres de sexes opposés. En revanche, on omet tout un pan de la population peu ou pas diplômé qui subit encore plus le poids des stéréotypes.
Conséquences du manque de mixité dans l’orientation des filles
Amélie suit depuis des années ses élèves des cités toutes proches. Ainsi, elle en revoit certain·e·s aux abords du collège et leur demande ce qu’ils·elles sont devenu·e·s. Et reçoit de plein de fouet l’inégalité des chances des filles par rapport aux garçons.
Tout d’abord, elle a remarqué que globalement les garçons accèdent plus nombreux à l’emploi et à des salaires corrects. Tandis que les filles sont au chômage, s’engagent dans la maternité dès 20 ans ou débutent avec des salaires à 1 000 euros par mois.
Ensuite, la prof d’histoire-géo a constaté que les garçons sont plus autonomes. Ainsi, ils envisagent à terme de développer leur structure dans le bâtiment ou les énergies nouvelles. Alors que les jeunes mères croisées dans le quartier se déclarent satisfaites de leur statut et ne se projettent pas dans l’avenir. L’une d’elle lui a même déclaré, âgée de seulement 23 ans : « Je me suis rangée, j’ai deux enfants ».
Bilan : un taux d’activité des femmes inférieur (67,6% contre 75,5% en 2015 pour les 15-64 ans). Un salaire moyen inférieur de 20%. Une sous-représentation des femmes aux postes décisionnels, en politique comme en entreprise. Une plus grande précarité de l’emploi avec quatre fois plus de femmes que d’hommes à temps partiel.
Les actions officielles de lutte contre les inégalités fille/garçon
C’est pourquoi, pour agir contre les inégalités, le ministère de l’Education nationale a fait de l’égalité fille/garçon dans l’orientation professionnelle un « enjeu institutionnel ». Un enjeu d’autant plus sensible que les actions menées jusqu’à présent sont restées sans effet… Pour conduire ses missions en faveur de la mixité, le ministère se fonde sur deux textes officiels :
- le parcours Avenir ;
- la Convention interministérielle 2013-2018 pour l’égalité entre les femmes et les hommes, les filles et les garçons dans le système éducatif.
(…) le parcours Avenir comme la Convention ont des objectifs sociaux relatifs à la réduction de la ségrégation sexuée des filières, qui engendre un cortège d’effets contre-productifs : limitation du potentiel de recrutement à un seul sexe ; moindre innovation ; moindre qualité de vie en formation et au travail du fait de conduites sexistes ou régressives ; etc. Canopé, L’égalité entre filles et garçons et la mixité dans l’orientation scolaire
Pour mener à bien ce projet de société, l’Etat s’engage dans une lutte :
- contre la discrimination : réduire les inégalités dans l’accès à l’ensemble des formations et des métiers
- pour l’efficience socio-économique : remédier à l’absence de mixité qui entrave la vitalité et le dynamisme des organisations sociales et économiques
Mais les résultats sont maigres et les facteurs de différenciation par le genre nombreux.
Influence de l’environnement social sur les stéréotypes
Stéréotypes de genre : un débat sans fin
Rien qu’en comparant trois documents sur le web, je me trouve confrontée au débat sur le genre. En gros, il y a deux tendances qui se profilent, en excluant les rétrogrades bien sûr. Ceux qui intègrent les stéréotypes et ceux qui luttent contre eux.
Ainsi, la position de Canopé, le réseau de création et d’accompagnement pédagogiques de l’Education nationale, évite la polémique. Il souligne que :
l’objectif ne peut pas être d’éliminer les stéréotypes, qui sont indispensables à notre fonctionnement cognitif.
De ce fait, il propose de décrypter les croyances et recommande de varier les modèles pour favoriser intérêt et motivation pour un métier. Une position pragmatique qui n’épouse pas totalement la cause féministe.
A l’opposé, des associations mettent à disposition du matériel pédagogique pour lutter contre les stéréotypes de genre. Au moment même de rédiger cet article, Amélie participe à une réunion au sein de son collège. Et un des thèmes évoqués concerne justement l’égalité filles/garçons. Ainsi, la cheffe d’établissement conseille aux enseignants (en général d’histoire-géographie) d’utiliser le site Genrimages. Animé par le Centre audiovisuel Simone de Beauvoir, ce site a pour objectif la lutte contre les stéréotypes sexués.
Lutter contre les stéréotypes fille-garçon est aujourd’hui un enjeu d’égalité et de mixité ainsi que de prévention des violences sexistes.
Modèle patriarcal et projet de société
En introduisant le débat auprès des jeunes par l’image, les enseignants tentent d’agir directement sur les clichés véhiculés par la société de consommation. En fait, ces clichés se fondent sur les stéréotypes de notre société d’origine patriarcale. Aujourd’hui, ils continuent d’influencer inconsciemment femmes et hommes. Les modèles professionnels genrés ne sont que le reflet d’une société qui oppose garçons et filles depuis des siècles.
Dans le fond, qu’est-ce qui dérange dans le fait que certains métiers soient « genrés » ? A mon sens, ce qui est en jeu n’est pas tant qu’une jeune fille devienne plombière ou électricienne. Mais c’est plutôt qu’en étant écartée de ces domaines d’activité, elle se trouve de fait exclue du marché du travail ou cantonnée à des emplois sous-payés et dévalorisés. L’accès au travail, à un salaire digne pour vivre de façon autonome et libre de ses choix constitue la pierre d’angle d’une saine équité entre filles et garçons.
C’est pourquoi la lutte pour la mixité professionnelle réclame un projet de société ambitieux. Il doit compter sur l’engagement des jeunes, des éducateurs et des acteurs économiques. Ce projet est celui d’une société qui accepte à part égale le féminin et le masculin, sans l’opposer, sans l’enfermer dans des carcans culturels, religieux, moraux ou consuméristes. L’enjeu éducatif est fort, puisqu’il doit permettre de lutter contre le sexisme, contre les violences faites aux femmes. Et favoriser ainsi respect et entente à tous les niveaux de la société (sphères publique, professionnelle et privée). Et nous avons tous un rôle à jouer.
Rôle des éducateurs dans la valorisation de la mixité
En effet, nous véhiculons tous plus ou moins cette distinction entre les sexes. Ainsi, Amélie avoue se méfier de ses propres paroles. Elle pense que même pleins de bonne volonté, les enseignants perpétuent inconsciemment des stéréotypes hérités de leur éducation. Mettre à jour ses propres travers peut d’ailleurs être un bon point de départ lors d’un débat. De même en famille, nous pouvons discuter des représentations du monde du travail. En cela, l’édition jeunesse et scolaire contribue de plus en plus à diversifier les images et modèles masculin et féminin.
En tant qu’éducateurs, parents comme professeurs, hommes et femmes, nous devons débusquer nos préjugés et laisser nos ados choisir leur façon d’être un gars ou une fille. Armons-nous de modèles inspirants et d’exemples au quotidien ! Et n’oublions pas que notre Sentiment d’Efficacité Personnelle repose en partie sur les appréciations des proches. Nous jugeons des compétences et des capacités, pas le fait d’être un garçon ou une fille !