Lundi 25 novembre, nous proposions aux collégiens venus avec leur classe à Startup for kids de participer à un atelier « Jugement et créativité ». Qu’est-ce qu’être créatif ? Comment parvenir à créer ? Comment le jugement sur soi et celui des autres conditionnent notre capacité à créer ? Théorie et pratique nous guident cette semaine pour aborder ce (vaste) sujet.
Qu’est-ce que la créativité ?
Pour les élèves présents, la créativité prenait tout d’abord l’aspect de faire, de réaliser quelque chose. Ce quelque chose devait plus précisément être leur propre représentation d’un robot. Nous avions choisi ce sujet afin d’éviter les stéréotypes animaliers ou l’écueil de l’autoportrait. Il nous semblait que les jeunes pourraient utiliser leurs références culturelles. En effet, tous sont parvenus à produire et ont démontré des capacités créatives. En revanche, définir la créativité elle-même a relevé du challenge. Ce robot doit-il ressembler à un modèle « standard » ou au contraire être « original » ? Cette question réclame encore de distinguer ce qui est « banal » de ce qui est « audacieux » et renvoie à la subjectivité de chacun.
Les ravages de l’impuissance apprise sur la créativité
Tout d’abord, la créativité est souvent rattachée à une expression artistique, à une esthétique. Pourtant, elle peut s’exprimer dans tous les domaines de la vie. En fait, elle se fonde sur la capacité à utiliser sa liberté, son libre-arbitre, son initiative et son pragmatisme plutôt que ses seuls talents d’artiste. Les scientifiques, tout comme les artistes et artisans sont des créatifs. En fait, tout le monde peut faire preuve de créativité au quotidien. Encore faut-il se l’autoriser ! Lorsque l’estime de soi est faible, les capacités créatives sont diminuées. Comme le montrait Carol Dweck dans ses expériences, l’impuissance apprise condamne de nombreux jeunes à l’échec, avant même qu’ils soient passés à l’action. Ainsi, ils se retrouvent piégés dans un comportement négatif pour eux et pour les autres, tout comme les chiens de l’expérience de Seligman.
Affirmer son projet face au jugement des autres
C’est là que le jugement entre en ligne de compte. Très clairement, dans un groupe d’ados, le regard des autres est primordial dans la mise en action. Timidité, repli sur soi-même, passivité sont les corollaires d’un état d’attente de l’opinion des autres (enseignant et camarades). En fait, oser être créatif réside avant tout dans l’estime de soi. Suis-je capable de relever un défi ? Arriverais-je à ce que les autres attendent de moi. Or, parvenir à réaliser sa propre idée, son projet personnel, constitue l’essence de l’acte créatif. Il s’agit de mettre en oeuvre ses compétences et puiser dans son expérience, son espace mental pour amorcer une production. Et s’affranchir du jugement.
Le jugement implicite induit des réactions
Utiliser sa liberté d’être pensant pour créer
Afin de maximiser l’implication des adolescents dans la fabrication d’un robot, nous avons émis une consigne très large. Ils pouvaient utiliser des briques de construction, du papier, de la colle, des ciseaux, de la pâte à modeler, des crayons, des feutres, des gommettes. Notre démarche pédagogique visait à laisser la liberté du choix, simple ou multiple, afin de rendre le plus actif possible les jeunes dans l’activité. Notre créativité s’exprime d’autant mieux que nous sommes libres de saisir les outils à notre disposition. De plus, nous espérions ainsi obtenir des expressions variées, reflets des différentes démarches et personnalités présentes.
De fait, la plupart des élèves de 3ème ont préféré utiliser des briques de construction et n’ont utilisé la pâte à modeler que modérément.
Les « normes sociales » et l’expérience conditionnent la créativité
Pourquoi ? Trois facteurs l’expliquent :
- le mimétisme : les jeunes se sont observés mutuellement pour regarder ce que faisaient leurs camarades. Les plus hésitants qui avaient manipulé plusieurs matériaux ont fini par se ranger au plus grand nombre. Non seulement ils ont eu recours au même matériau, mais ils ont aussi cherché à reproduire ce qu’ils voyaient chez leurs voisins de table. Le manque de confiance en soi explique cette attitude. Cependant, elle n’est pas forcément négative si le jeune parvient à s’appuyer sur un modèle pour le dépasser. Malgré tout, il s’expose au jugement des autres en tant qu’imitateur, ce qui est perçu négativement dans le groupe.
- le conformisme : dans l’imaginaire des jeunes les briques de construction revêtent un aspect technologique plus proche de l’univers « usiné » du robot, contrairement à la pâte à modeler, matériau brute, nécessitant de donner une forme.
- l’efficacité : la manipulation des briques impliquait un résultat visible immédiatement, avec une meilleure anticipation du rendu. Sur ce dernier critère, la différence est nette entre les élèves de début de collège et ceux de la fin. Les plus âgés ont adopté une démarche d’efficacité, tandis que les plus jeunes se sont autorisés à explorer les possibilités de la pâte à modeler. En effet, les productions en pâte à modeler montrent davantage de diversité de formes et de couleur comparées à celles en briques.
Le jugement explicite freine la créativité
Par ailleurs, le jugement des uns et des autres inhibe fortement les plus timides ou les moins coopératifs. Alors que les jeunes s’exprimaient librement pendant la phase créative, les échanges verbaux affichaient énormément de négativité. Ainsi, il s’avère difficile d’assumer ses choix et de poursuivre sa création à son idée. Mais pourquoi tant de propos dévalorisants ?
- l’habitude d’être jugé en permanence sur ce qu’on dit et fait : finalement, les jeunes ne font que reproduire ce qu’ils vivent eux-mêmes quotidiennement. Il sont jugés, évalués en permanence. Et même lorsqu’ils réussissent, on leur dit toujours qu’ils peuvent faire mieux. En partant d’entrée de jeu sur une communication négative, ils tentent de court-circuiter les jugements de l’adulte et des pairs. Soit en se dévalorisant, soit en dévalorisant les autres.
- la comparaison sociale et la hiérarchie dans le groupe : les jeunes les plus à l’aise verbalement dans le groupe ont dirigé inconsciemment le processus de créativité des autres. En s’attaquant à coup de « c’est moche » et « c’est bizarre », les plus pugnaces envoyaient des signaux explicites de mise en garde envers les plus timides. Dans ce contexte, difficile d’affirmer ses choix autrement que dans l’opposition et le dénigrement.
En revanche, une fois cette ambiance négative pointée du doigt, certains ados parviennent à émettre un avis distancié et à valoriser la production d’un camarade. Encore une fois, cette position expose à la moquerie. Ainsi, on mesure combien il est difficile d’émettre un avis et d’être créatif.
Se réconcilier avec soi-même pour exprimer sa créativité
En fait, chez les plus jeunes la créativité va de soi et est valorisée dans le groupe. Les critères de réussite retenus varient en fonction de l’âge. Si les plus jeunes retiennent l’emploi des matériaux et l’originalité de la production, les plus âgés s’attachent à l’effet suscité par l’oeuvre. Ainsi, les références culturelles (mutants mi-robots mi-hommes, Transformers..) comptent davantage que les qualités intrinsèques des productions. C’est dire que le jugement influence grandement leur créativité. L’objectif du « faire » est immédiatement corrélé à celui de « plaire ». Et l’ado se doit d’apprécier en premier lieu ce qu’il a fait, par souci d’auto-protection. Ce qu’ils font est bel et bien une représentation d’eux-mêmes. Par ailleurs, l’identification est beaucoup plus forte chez les 14/15 ans que chez les 11/12 ans.
En effet, ces derniers ont recours au jeu pour créer. Ils s’amusent, regardent ce que font les autres, s’entraident naturellement, se conseillent mutuellement et partagent les matériaux. Chez les plus âgés, l’esprit de compétition poussent chaque participant à adopter une posture défensive. D’abord se féliciter soi-même, puis critiquer vertement les productions des autres. En fait, chez les élèves de 3ème, l’acte créatif implique une mise à nue et une prise de risque énorme. Dans un contexte porteur comme celui de Startup for Kids, ils acceptent de s’investir le temps d’un atelier. Mais ils est évident qu’ils n’ont pas l’habitude de s’exposer de la sorte. Pourtant, lorsqu’ils ont compris que leur créativité servait leur projet personnel, ils ont su qu’ils pouvaient tous être des Pygmalions.
En fait, l’effet Pygmalion permet de comprendre que nous seuls pouvons créer ce dont nous avons besoin, ce qui nous correspond. Tout comme Pygmalion est parvenu à sculpter sa compagne idéale et à lui donner vie à force de persévérance, les jeunes peuvent s’inspirer de ce mythe antique et agir pour leur futur.