Vendredi 2 octobre, le président de la République choisissait la ville des Mureaux pour prononcer un discours maintes fois reporté sur les « séparatismes« . Et décidait de… s’en prendre à l’instruction en famille ! Alors que l’école est montrée du doigt pour son incapacité à réduire les inégalités, que les enquêtes du ministère lui-même pointe l’inefficacité des pédagogies pratiquées, l’instruction en famille serait coupable de la radicalisation des banlieues.
Un propos largement contesté de toutes parts et en premier lieu par les familles concernées par l’instruction en famille. Avec la fondatrice de Weeprep, Laila Ducher, nous avons interrogé Ramïn Farhangi, cofondateur de l’école dynamique, pionnière en France des écoles démocratiques. Aujourd’hui, son fils bénéficie de l’accompagnement de ses parents pour une instruction en famille basée sur la liberté de l’apprenant.
Nous lui avons demandé comment se déroulait l’instruction en famille dans son éco-village en Ariège et pourquoi, selon lui, les familles doivent rester libres de leurs choix éducatifs.
Origines et fonctionnement de l’instruction en famille
Données chiffrées sur l’instruction en famille et le hors contrat
Pour démarrer avec des données chiffrées, il faut noter que l’instruction en famille concerne 50 000 jeunes sur les 12,4 millions d’élèves inscrits en France. C’est assez peu, mais la tendance est à une nette augmentation puisque les enfants déclarés en IEF étaient 41 000 en 2019 et entre 30 et 35 000 en 2017 (source BFMTV auprès du ministère). Si l’on ajoute à ces données, la hausse conjuguée de la scolarisation en écoles alternatives (hors contrat) qui ne cesse de progresser depuis 10 ans (73 000 élèves), on atteint plus de 120 000 élèves en dehors du circuit éducatif traditionnel. Motif invoqué : un rythme scolaire inadapté au développement individuel des enfants.
Déjà en 2018, Le Monde rappelait que cette tendance à la hausse inquiétait les pouvoirs publics. En effet, au printemps 2018, le Parlement avait « allongé le délai pour s’opposer à l’ouverture d’une école hors contrat et étoffé la liste des motifs d’opposition ». La cible de ce durcissement visait déjà à freiner l’ouverture des écoles musulmanes, considérées par les autorités comme des foyers de radicalisation. Or, d’après la Fondation pour l’école, les nouvelles demandes d’ouverture de classes affichent largement leur laïcité : « 87% des écoles ouvertes en 2019 sont sans confession déclarée, et elles sont 70% sur l’ensemble du secteur. »
Cependant, la peur d’une perte de contrôle sur la jeunesse française est bien réelle et l’amalgame entre liberté éducative parentale et dérive identitaire et sectaire vite conclu.
Retour sur les lois de Jules Ferry : l’instruction est obligatoire mais pas l’école
Évidemment, on retient de cet ensemble de lois Jules Ferry (1879-1882), la gratuité et l’obligation de l’instruction. Mais ces lois s’inscrivent dans un contexte politique complexe. Premièrement, la défaite de 1870 rappelle le retard français en matière d’instruction. Ainsi, Jules Ferry espère former de nouveaux citoyens en vue d’une revanche sur la Prusse. D’autre part, la montée des courants socialiste et anarchiste font craindre une instabilité politique. En fait, l’État doit rivaliser avec des organisations communautaires type phalanstères ou familistères qui pourraient prendre en charge l’instruction des enfants à sa place.
Ainsi, l’État agit sur deux niveaux : en matière de politique intérieure et en prévision de besoins pour sa politique extérieure (guerres). Il a besoin de patriotes prêts à défendre la nation française. À cette orientation politique s’ajoute aussi la lutte anticléricale qui culmine en 1905 avec la séparation de l’Église et de l’État. La croyance dans le progrès hérité de la philosophie des lumières pousse à rejeter les religions perçues comme obscurantistes et maintenant les populations dans l’ignorance. Cependant, le principe de laïcité affirme le droit de choisir et pratiquer librement une religion. C’est pourquoi les congrégationnistes cèdent leur place d’instructeurs au profit d’un personnel laïque avec la loi Goblet en 1886. Il se compose de fonctionnaires à partir de 1889.
Par ailleurs, la possibilité d’instruction en famille fait partie de la loi dès l’origine du projet. Ainsi, « les familles aisées continuent d’utiliser les services de précepteurs à domicile« . (source Autonome de solidarité). Cette disposition destinée à complaire aux plus fortunés a permis plus récemment à de nombreuses familles de vivre selon d’autres modèles éducatifs, d’autres possibles.
À présent, écoutons Ramïn Farhangi nous parler de son expérience personnelle.
Instruction en famille : le choix de l’alternative
Une remise en cause de l’enseignement traditionnel
Pourrais-tu nous retracer ton parcours ?
De mes 23 à mes 35 ans, j’ai obtenu un diplôme de l’école Centrale à Paris, j’ai travaillé trois années pour le Boston Consulting Group (cabinet de conseil en direction générale d’entreprise). Puis j’ai démissionné parce que j’avais envie de faire quelque chose qui correspondait plus à mes valeurs. J’étais un peu en quête de bonheur personnel. Je voulais faire quelque chose qui correspondait davantage à mes appétences, mon élément, ma raison d’être. Pour moi, l’éducation était une évidence.
Donc je suis devenu prof de maths et de physiques au lycée. J’ai enseigné à l’école bilingue Jeannine Manuel dans le 15ème. Ensuite, j’ai accompagné des élèves qui préparaient le bac international dans un lycée privé de Madrid. Cette expérience a été décisive pour moi. J’ai réalisé que les jeunes entre 15 et 18 ans pouvaient prendre la responsabilité de leur propre instruction. On n’a pas besoin d’être leur patron, toujours derrière eux avec un cahier de textes. Ma classe était devenue un espace de travail collaboratif où chacun était libre de venir ou pas, de travailler avec qui il veut et sur le sujet qu’il souhaite.
De fait, je pense être allé le plus loin possible en matière de démocratie dans une classe. Nous réfléchissions ensemble au cadre de travail, à comment évoluer ensemble en tant que groupe. Mais il y avait toujours une limite : l’emploi du temps et les matières. À ce moment-là, je me suis demandé s’il y avait des écoles où les enfants ont encore plus le pouvoir de choisir. C’est là que j’ai découvert les écoles démocratiques qui m’ont passionné.
De la fondation de la première école dynamique à Paris à l’éco-village de Pourgues
Ainsi, j’ai fondé l’École dynamique en 2015 avec un groupe de personnes issues de l’enseignement (dont Montessori et Sudbury) et de l’éducation populaire. Avec l’équipe, nous nous sommes avant tout demandé ce dont les enfants avaient besoin. De plus, nous voulions respecter leur nature. Nous nous sommes fondés sur les compétences de base de l’homo sapiens : jouer, créer en étant au contact du monde réel, en immersion dans sa culture et dans un groupe d’âges diversifiés. D’ailleurs, cette approche éducative née dans la Sudbury Valley School de Framingham en 1968 progresse en France. En effet, 40 nouvelles écoles ont ouvert en trois ans. Elles sont réunies dans le réseau EUDEC.
Depuis 2017, je me suis installé en Ariège avec ma famille et un autre co-fondateur de l’école dynamique. Avec l’éco-village de Pourgues, nous avons voulu aller au-delà de l’école et créer une communauté de vie et de travail, inspirée des écoles démocratiques. L’éco-village fonctionne selon le concept où chacun se met au contact de son élan de vie, de sa source, de ce qu’il a vraiment envie de faire, de son appétence première. L’équilibre économique, l’éducation des enfants, tout est finalement la résultante de ce respect profond de l’individu. Nous avons confiance et foi dans la personne humaine comme fondamentalement capable de s’occuper de ses propres affaires.
L’instruction en famille dans l’éco-village de Pourgues
Les enfants sont libres de choisir leur moyen d’instruction
Peux-tu nous parler de ton expérience d’instruction en famille ?
Dans notre éco-village, nous sommes 17 adultes et 8 enfants à vivre en communauté. Chaque foyer dispose de son espace privé, et nous partageons de grands espaces en commun. Enfants et adultes sont libres de leurs occupations et participent à la vie collective et économique. Nous avons laissé le choix à nos enfants pour l’école. Certains avaient déjà été scolarisés et ne souhaitaient pas revivre l’expérience, d’autres y sont retournés.
En fait, nous n’avons pas d’idéologie anti-école, mais nous cherchons à respecter la personne humaine, adulte comme enfant, qui fait ses propres choix de vie. L’année dernière, tous les enfants ont choisi d’essayer l’école. Une enfant a trouvé l’école ultra violente et a voulu arrêter tout de suite. Un autre voulait juste se faire des copains, mais n’a pas trop aimé l’ambiance et est juste resté deux semaines. Les trois autres ont plutôt apprécié. Il y en a un qui est resté presque cinq mois et les autres jusqu’au confinement. Après le confinement, aucun n’a voulu y retourner.
Est-ce que les enfants qui ont vite quitté l’école vivaient leur première expérience de classe ?
Non, pas du tout. Le deuxième enfant dont j’ai parlé avait effectué une année de maternelle et le CE1 dans une petite école de village qui lui avait bien plu. L’autre enfant est très sensible et vit l’école dans une peur permanente. C’est vraiment un cadre qui ne lui correspond pas du tout.
Au final, je pense qu’un enfant peut toujours s’adapter, mais à quel prix ? Par exemple, mon fils pourrait sans doute s’adapter, mais avec un sacrifice sur sa personnalité qui serait énorme.
Photo extraite du site de l’éco-village de Pourgues
L’instruction en famille permet de respecter la personnalité de l’enfant
Comment ça se passe pour ton fils à Pourgues ?
Pour vous décrire un peu mon fils : il a trois ans et demi. Sa maman, Marjorie, qui a enseigné dans le public de la Petite section au CM2, évalue son niveau « d’instruction classique » à celui d’un CP. Il compte jusqu’à 60, il connait toutes les lettres, il dénombre. Son élocution et sa diction sont celles d’un enfant de 6 ans, son vocabulaire est extrêmement riche. Il connait les animaux, les arbres, les plantes du jardin, les dinosaures… c’est même lui qui nous apprend les noms. Il a une personnalité assez solitaire, mais est très à l’aise en petit groupe.
En revanche, dès que le groupe augmente et que le niveau émotionnel des autres enfants est proche du sien, ça peut partir en conflit. Pour lui, un groupe de 25 enfants du même âge, c’est l’incarnation de son pire cauchemar ! Pour s’y adapter, il rendrait certainement la vie impossible à l’enseignant. Celui-ci devrait sans doute avoir recours à une certaine dose de violence pour le canaliser et pour le conformer. Et il y arriverait. Au bout de quelques semaines, mon fils ne serait plus le même. Alors qu’à l’éco-village de Pourgues, chacun est respecté dans sa personnalité. L’école est très intrusive dans l’espace mental et psychique d’un enfant. Mon fils aurait du mal à s’intégrer au groupe.
À quoi ressemble une journée en instruction en famille chez toi ?
En fait, j’ai volontairement détaillé la personnalité de mon fils, car ses journées dépendent de lui. Nous sommes dans l’observation et dans l’écoute, car c’est lui qui nous demande ce dont il a besoin : des jeux, des lettres magnétiques, des contenus en ligne pour assouvir sa curiosité, notamment des dinosaures. En ce moment, il a beaucoup envie de passer du temps avec les adultes. Il joue avec son cahier dans lequel il s’essaie à l’écriture. Mon fils peut faire des choses très scolaires, mais aussi sauter sur le trampoline, jouer à chat. Il aime interagir avec les adultes et parler. D’ailleurs, il est très à cheval sur la prononciation !
Que penses-tu du cloisonnement des élèves par âges ?
Je pense que c’est déjà une forme de séparatisme. Cette séparation est très artificielle. De plus, elle empêche les apprentissages de base relationnels et émotionnels. Par exemple, un enfant de 3 ans qui a beaucoup de mal à canaliser ses émotions va observer en permanence des enfants de 5, 6 ou 7 ans. Ainsi, il voit qu’ils ont une stabilité psychique et émotionnelle supérieure à la sienne, ce qui lui permet de projeter. En fait, il se trouve dans la zone proximale de développement théorisée par Vygotski et peut acquérir de nouvelles compétences.
Photo extraite du site de l’éco-village de Pourgues
Accessibilité de l’instruction en famille
Il nous semble à t’écouter que les parents qui choisissent d‘instruire en famille doivent avoir confiance en eux-mêmes et dans les capacités de leurs enfants à apprendre en dehors de l’école. Être disponible pour accompagner son enfant et faciliter ses apprentissages n’est peut-être pas possible et désiré par tous les parents.
En effet, je pense qu’il faut aborder la question de l’accessibilité de l’instruction en famille. Je pense que choisir l’instruction en famille ou en école démocratique ne peut pas se faire du jour au lendemain. Toutes les nouvelles technologies, qu’elles soient techniques, matérielles, humaines ou sociales ont une certaine courbe d’adoption. Au début, il y a une toute petite minorité de pionniers qui arrivent à se « l’offrir ». Puis cette minorité augmente jusqu’au point de bascule et la majorité peut y accéder.
En fait, être pionnier est une faculté qui n’est pas donnée à tous. Moi, j’assume appartenir à une certaine élite de fait, qui n’est pas l’élitisme comme prise de pouvoir sur les autres. Mais une élite qui a la capacité de réfléchir à sa condition de vie, de philosopher, de vivre une sorte de révolution. Tout le monde n’accède pas à ce niveau de réflexion et c’est une réalité que je ne juge pas. Les inégalités sont nombreuses, qu’elles soient économiques ou psychiques, c’est une réalité.
L’ambition politique de la suppression de l’instruction en famille
L’IEF est déjà contrôlée
Après 3 mois de confinement et d’école à la maison, je trouve que cette mesure voulue par E. Macron est antinomique de tout ce qu’on vient de vivre avec nos enfants en famille. Pourquoi nous interdire cette liberté de concevoir l’éducation de nos propres enfants ? Nous sommes des parents qui réfléchissent, qui ont des valeurs qu’ils veulent transmettre à leurs enfants.
Il faut savoir que cette mesure a été réclamée dans le cadre de lutte contre les séparatismes extrémistes, religieux et potentiellement terroristes. Or, les familles qui souhaitent instruire en famille doivent déclarer leur intention auprès des autorités. Elles envoient à leur mairie et à l’éducation nationale leur demande et sont contrôlées. L’instruction en famille s’effectue dans un cadre légal, contrôlé par l’État. D’ailleurs, cette surveillance et ce contrôle sont très strictes et il n’est pas toujours aisé de défendre nos positions.
En particulier, lorsqu’on adopte une approche démocratique comme la nôtre, les négociations sont âpres. Il arrive d’ailleurs que certains parents fassent des concessions. Donc, ça veut bien dire que la surveillance est effective. Parfois, il y a des injonctions de scolariser les enfants (entre 1 à 2 % de cas) qui sont vécues comme extrêmement violentes par les familles. Certaines sont sans doute justifiées pour le bien de l’enfant, mais d’autres sont discutables. Par ailleurs, l’instruction en famille pour des motifs religieux est très marginale.
Un article de Amélie Puzenat pour Sciences Po relève en effet deux points à ce sujet. Premièrement, « aucune enquête ne permet de dire dans quelle proportion l’instruction en famille concerne les familles musulmanes ni quel type de familles musulmanes elle concerne réellement. » Deuxièmement, « il semblerait que les motivations de ces familles ne se distinguent pas tellement de celles mises en avant par les familles non musulmanes. » En particulier, elle relève des motifs d’évitement de l’école comme lieu de violence.
L’instruction en famille comme bouc-émissaire
Je pense que l’instruction en famille sert de bouc-émissaire au gouvernement. Mais clairement, il se trompe de cible en s’en prenant à des familles en recherche de bien-être pour leurs enfants. Si des familles élèvent leurs enfants dans la haine et des idéologies extrémistes, alors j’imagine qu’elles ne vont même pas se déclarer. Elles vont tout faire pour vivre clandestinement, en dehors de l’État. Ce ne sont donc pas les familles actuellement recensées en IEF. Les dispositifs policiers et judiciaires existent déjà pour contrôler les familles déclarées. La zone de recoupement entre l’IEF et le terrorisme est nulle.
D’ailleurs, les terroristes de Charlie Hebdo, du Bataclan etc. venaient de l’instruction publique.
Quand je fais l’effort de me mettre à la place du gouvernement, je pense qu’il a un problème avec l’augmentation de l’instruction en famille et des écoles à pédagogie alternative. Si l’on compare avec les États-Unis qui recensent 1,7 millions d’enfants instruits en famille (sur 51 millions), on peut réfléchir à la volonté de l’État français d’interdire l’IEF. Les États-Unis vivent une situation où le nombre d’enfants en IEF est tellement gros, ou c’est tellement intégré dans la culture, que le gouvernement serait incapable de remettre tous les élèves dans des écoles.
Cette extrapolation permet de comprendre la crainte actuelle du gouvernement français. Le nombres d’enfants instruits à domicile a fortement progressé (+ 20 000 en trois ans). Du coup, dans dix ans on pourrait être 100 000, voire 150 000. Je pense que le gouvernement a peur du point de non retour. Je pense que depuis 140 ans la liberté d’instruction a été sauvegardée parce que ça restait anecdotique. L’idée serait donc de supprimer l’IEF avant qu’il ne prenne trop d’ampleur. S’il devient clandestin, il pourra être réprimé et les familles désignées comme radicales.
L’objectif du débat sur l’instruction en famille serait sa normalisation par le CNED plutôt que son interdiction
Il se peut que le gouvernement ait en tête un autre projet de loi qui ne serait pas aussi restrictif qu’une interdiction. Il s’agirait plutôt d’encadrer de façon beaucoup plus stricte l’IEF. Or le gouvernement ne prévoit pas d’embaucher des inspecteurs supplémentaires pour intensifier ses contrôles. Il dispose d’un moyen beaucoup plus commode qui est le CNED. En obligeant toutes les familles à utiliser les supports et évaluations du CNED, il pourrait ainsi étendre son contrôle, sans augmenter ses coûts. Si tel est le cas, je pense qu’il n’y aura pas trop de rébellion. En effet, une majorité des 50 000 enfants qui font l’école à la maison passent déjà par le CNED.
Au final, ce qui va devenir obligatoire c’est peut-être l’instruction normalisée, standardisée, plutôt que l’école. Mais cela n’en demeure pas moins un grignotage de notre liberté éducative, pourtant déjà encadrée par une inspection annuelle…
Ces inspections sont effectuées par des inspecteurs de l’Éducation nationale. Ce sont eux qui décident si l’enfant peut poursuivre son instruction en famille ou s’il doit retourner à l’école.
D’autant que, si à l’issue de deux rendez-vous avec un inspecteur, le DASEN décide la scolarisation de l’enfant, celle-ci est à effet immédiat. Ce n’est pas une décision de justice, mais une injonction pour laquelle parfois les parents font un recours au tribunal administratif. Au sein de l’association Enfance libre nous militons pour une exemption d’inspection. Nous pensons que le parent est digne de confiance. À la limite, je serais personnellement favorable à l’idée d’un « permis d’instruire », tout comme il existe un permis de conduire. Dans la mesure où les parents sont eux-mêmes instruits et sains d’esprit, ils sont aptes, s’ils le désirent, à accompagner les apprentissages de leurs enfants. Qui voudrait que son enfant ne soit pas instruit ?
De la liberté pédagogique et éducative avant toute chose…
Si tu devais porter un message, ce serait lequel ?
C’est difficile de résumer en un message. Mais je dirais :
- ne pas confondre ce qui se passe dans la clandestinité et ce qui se passe de manière légale et encadrée depuis 140 ans,
- nous avons besoin de continuer à innover et à diversifier le paysage éducatif et certainement pas d’aller vers un mouvement de standardisation et de normalisation de l’ensemble. Les IEF jouent un rôle fondamental là-dedans car c’est là que se trouvent des pionniers qui expérimentent au quotidien.
Pour l’Éducation nationale, il est important de former les citoyens de demain. Cela passe par l’éducation morale et civique, par les fondamentaux et par une culture commune. Comment les parents en IEF se situent-ils par rapport à cet idéal républicain ?
Je n’ai pas vraiment de réponse à ça. Ce qui est sûr c’est que nous venons déstabiliser une certaine idée de la République et du bon républicain tels que certains le conçoivent. Nous avons presque tous vécu une expérience commune à l’école. Finalement, cette expérience est le fondement même de l’école républicaine. Mais, actuellement, il y a tout un courant de libres penseurs qui développent des pistes différentes. Ils placent leur bonheur en dehors de leur participation au système économique et s’extraient de la méritocratie républicaine. Les familles en IEF poursuivent un désir de réussite et de bonheur qu’ils ont eux-mêmes défini.
Pour conclure, la liberté pédagogique et éducative expérimentée dans le cadre de l’instruction en famille est nécessaire et constitutive de la réflexion sur la place des enfants dans notre société. Elle permet de penser l’enfant en dehors du cadre scolaire pour revenir à sa nature d’humain doté de sa personnalité propre. Par extension, cette réflexion interroge notre société et son devenir, ou du moins nos désirs d’avenir. Que désire-t-on le plus pour nous ? pour nos enfants ?