Elève en difficulté, adolescent déprimé, comportement apathique, attitude résignée. L’impuissance apprise emprisonne ceux qui la subissent dans une vision pessimiste d’eux-mêmes. A l’école, certains jeunes s’enferment dans l’échec sans entrevoir d’autres possibilités d’avenir. Le psychologue américain Martin Seligman, tenant de la psychologie positive, apporte des solutions pour sortir de cette impasse.
La théorie de l’impuissance apprise
La résignation face aux échecs répétés
Dans les années 70, Martin Seligman s’intéresse au modèle de conditionnement opérant de Skinner dans le cadre de ses recherches sur la dépression. Il introduit la variable du contrôle dans l’expérimentation et relève ainsi son impact sur les comportements observés. Cette expérimentation est d’abord menée sur des groupes de chiens qui reçoivent des décharges électriques, avec ou sans possibilité de les arrêter. Ceux qui ne peuvent ni fuir ni agir sur le dispositif parce qu’ils sont attachés, ne chercheront pas à s’échapper, même libérés. Ainsi, Seligman met à jour un mécanisme de résignation chez l’animal comme chez l’humain. Sa découverte permet de mieux appréhender les cas de dépression. En effet, il montre comment l’attitude de résignation face à l’adversité découle d’un apprentissage. La théorie de l’impuissance apprise est née.
De fait, l’accumulation d’échecs et leur imputation à des facteurs externes, renforcent le sentiment d’impuissance. L’absence de contrôle sur une situation place le sujet dans un état de renoncement. A quoi bon agir si l’on sait d’avance que c’est fichu ? Pourquoi se mettre au travail si l’on pense forcément échouer ? Une fois que le cerveau interprète certaines situations comme incontrôlables, il désactive la motivation à entreprendre. Rabaissant d’autant plus les trois composantes de l’estime de soi :
- confiance dans ses capacités diminuée, voire annihilée,
- vision de soi dégradée,
- amour de soi écornée.
C’est pourquoi, la théorie de l’impuissance apprise (learned helplessness) apporte des éléments de réflexion fondamentaux pour comprendre l’absence de motivation et la dépression. Qui, comme son nom l’indique, ressasse, tourne sur elle-même et s’abreuve de pensées négatives sans issue possible.
Les conséquences d’un apprentissage négatif
En 1975, Martin Seligman définit trois conséquences principales observées dans des situations hors contrôle :
- difficulté à faire le lien entre ses actions et leurs conséquences. Seuls les facteurs externes sont imputables à la situation.
- forte baisse de la motivation. « Pourquoi faire quoi que ce soit, puisque ça ne sert à rien ? »,
- accentuation de plus en plus sévère des sentiments de déprime.
En fait, ce qui est particulièrement intéressant dans la pensée de Seligman c’est la notion d’apprentissage. En tant qu’enseignante, ce mot revêt pour moi uniquement des aspects positifs, formateurs, dynamiques. Or ici, cet apprentissage donne les mauvaises cartes au cerveau et le conditionne pour suspendre tout autre forme d’enrichissement de soi et de développement de ses capacités. Cela revient à se retirer en soi-même, loin de la richesse du monde qui nous apparait comme hostile ou inatteignable. Et là, je repense à de jeunes élèves rétifs au travail, désespérément passifs face aux tâches scolaires. Il y a quelque chose de douloureux dans le fait d’observer ces énergies empêchées d’éclore.
Les profs ont chaque année dans leurs classes des élèves effacés, déprimés. D’ailleurs, la psychologue Diane Marcotte relève que les élèves dépressifs « constituent un sous-groupe présentant de hauts risques d’abandon scolaire. Leur probabilité de décrocher de l’école secondaire est de 1,5 fois à 3 fois plus élevée que les adolescents n’ayant aucun problème diagnostiqué ». Par ailleurs, elle a remarqué que « le groupe de type dépressif est perçu plus positivement par les enseignants » car il présente « le taux le plus faible de problèmes de comportement. »
Ainsi, il ressort que les jeunes qui présentent un comportement apathique et dépressif obéissent à l’injonction de leur propre cerveau. En se retirant du jeu scolaire, ils tentent d’éviter un échec qu’ils pensent programmé.
Les causes de l’impuissance apprise à l’école
La suprématie des notes sur les processus
Comment un jeune peut-il en arriver à ce stade de résignation ? Tout d’abord l’environnement familial influence les pensées, positives comme négatives. Ensuite, l’école pourvoie de nombreuses situations de réussites et d’échecs. Même épaulé par ses parents, un ado peut s’enfermer dans des pensées négatives et se placer en incapacité de réagir et prendre en main son avenir. S’il a l’impression que quoiqu’il fasse, tout concourt contre lui, alors il perdra sa motivation et son Sentiment d’Efficacité Personnelle s’affaiblira.
En fait, le système actuel d’évaluation des compétences à l’école n’a tendance à valoriser que les résultats et non les processus. Seules les notes comptent et les conditions dans lesquelles elles ont été obtenues ne sont jamais étudiées (échecs comme succès). Or, analyser ses réussites et ses échecs conduit à une meilleure maîtrise de ses apprentissages.
Etre conscient de ses forces et faiblesses permet de rebondir, d’axer ses efforts sur des points d’achoppement. Ainsi, une réussite devient envisageable et le jeune retrouve le contrôle de lui-même. Fonder son estime de soi sur les seuls résultats scolaires empêche de se donner les moyens de progresser. Malheureusement, l’erreur à l’école revêt un caractère fautif, presque honteux.
La comparaison entre pairs en classe
Lorsque l’on connait l’impact de la comparaison sociale sur l’estime de soi, on comprend mieux l’effet « mare aux poissons ». Et comment on peut induire l’impuissance apprise en classe. C’est l’objet de l’exercice proposé par Charisse Nixon, professeure de psychologie à Penn State Behrend, à ses étudiants. La vidéo a fait le tour du web et a contribué à faire connaître le concept d’impuissance apprise. Elle montre comment en 5 minutes un groupe d’étudiants renonce à chercher un anagramme après s’être cassé les dents sur deux anagrammes impossibles. Le groupe d’étudiants ayant résolu des anagrammes faciles s’engage sans problème dans le dernier exercice, identique pour tous.
Ainsi, une première conclusion s’impose : nos réussites renforcent notre confiance. Mais surtout ici, le facteur de comparaison sociale prend toute son ampleur. En effet, le groupe placé en échec jette des regards gênés, anxieux vers ceux qui réussissent, ignorant que les exercices ne sont pas les mêmes. Ils en concluent rapidement qu’ils sont moins intelligents que leurs camarades. Ce qui entame leur confiance en eux et inhibe leur implication dans la tâche demandée. Aucun d’entre eux ne trouve le troisième anagramme, pourtant très facile.
Fort de ces constats, de nombreux enseignants privilégient le travail de groupe et la différenciation pédagogique afin de favoriser la réussite de tous. Et redonner l’estime de soi à tous les élèves. Cependant, il s’agit d’une des missions les ardues pour un enseignant. Reconnaître à chacun ses mérites, sans jugement négatif des pairs représente un challenge éducatif majeur face à des jeunes fonctionnant en mode compétitif. L’injonction de la réussite laisse de nombreux ados sur le côté de la route. Des jeunes à l’estime de soi fragilisée qui perdent toute motivation.
Or, comme le prouvent les études conduites par Carol Dweck (dont on reparlera sur le blog d’ici peu), en changeant de conduite de classe, les élèves, toutes catégories sociales confondues, améliorent leurs scores de façon spectaculaire. Dire à un jeune qu’il ne maîtrise « pas encore » une compétence, plutôt que « pas du tout » ouvre une perspective dynamique. Et la voie d’une réussite à venir.
Remédiations à l’impuissance apprise
Redonner sa place à l’erreur
« Je ne perds jamais. Soit je gagne, soit j’apprends. »
Nelson Mandela
Cette (pas si) simple phrase de l’ancien président d’Afrique du Sud et défenseur de l’égalité résume bien ce que devrait être l’erreur. C’est quand on se trompe qu’on apprend. Pourquoi ? En fait, ceci n’est vrai que si l’on a conscience de son implication personnelle dans les insuccès répétés. Non pas en terme de responsabilité imputable à ses talents, mais plutôt au regard des efforts que l’on peut fournir pour trouver une solution. En changeant notre point de vue sur nos performances, nous pouvons nous placer en situation de progresser. C’est tout le propos de la psychologie positive.
Enrayer la spirale de l’échec, restaurer la confiance en soi en atteignant des objectifs raisonnables. Apprendre sur soi, c’est comprendre nos propres façons d’apprendre, et donc de réussir. Malheureusement, l’école consacre peu de temps à former les jeunes à mieux se connaître et à lutter contre l’impuissance apprise. Le plus souvent, la résignation des élèves laisse l’institution sans réponse opérante.
C’est pourquoi nous, parents et éducateurs, avons intérêt à revoir notre position vis-à-vis de l’erreur. Relativiser de mauvais résultats en demandant à nos ados de les analyser avec honnêteté. Faire prendre conscience des facteurs externes : humeur, fatigue, comparaison, résultats décevants par rapport aux attentes. Prendre du recul et ouvrir vers des fenêtres plus larges que celles d’un simple résultat permet aux jeunes de reprendre en main leur attitude d’apprentissage. Cet état d’esprit nécessite une certaine autonomie qui se construit dès le plus jeune âge.
Développer l’autonomie dès le plus jeune âge
Ainsi la médiatique et non moins pertinente Céline Alvarez mise beaucoup sur l’autonomisation dès la maternelle. En engageant les enfants, dès leur plus jeune âge, dans des manipulations, des processus qui font sens dans le quotidien de la classe et à la maison, on favorise une grande plasticité cérébrale. En fait, en multipliant les expériences et la résolution de problèmes de plus en plus abstraits, les connexions neuronales s’intensifient. Le sentiment de maîtriser son environnement permet d’avancer en toute sécurité dans les apprentissages et de faire face à l’adversité. Grâce à cet état d’esprit, l’autonomie gagnée dans la petite enfance induit généralement une meilleure responsabilisation des adolescents.
En revanche, cette grande flexibilité du cerveau des enfants implique l’éventualité d’un conditionnement négatif. Si tout petit l’enfant n’évolue pas dans un milieu qui l’incite à agir pour se maîtriser et maîtriser son environnement, alors il peut mettre en place des stratégies de retrait et d’évitement. Et tomber déjà dans la résignation et la perte de motivation. C’est pourquoi dès l’entrée à l’école, les éducateurs doivent être attentifs à donner toutes les clés pour développer l’estime de soi et agir sur sa propre vie.
Ouvrage cité :
Diane Marcotte, Les problèmes internalisés : la dépression et l’anxiété à l’adolescence, La psychologie de l’adolescence, ss la dir. de M. Claes et L. Lannegrand-Willems, Montréal, Les Presses de l’Université de Montréal, 2014