Ça y est nous y sommes : l’année 2021 marque un tournant décisif dans la réforme du bac. Nouvelle année, nouvelles épreuves, malheureusement chamboulées par la crise épidémique. Dernière actualité : le maintien des épreuves de spécialité, alors même que lycéens et enseignants annoncent un retard dans le programme… Pour autant, l’incertitude plane sur la tenue et les modalités des examens, soumis aux aléas des directives sanitaires. Toutefois, pour le moment, le Grand oral est maintenu. Un examen emblématique du nouveau bac qui veut embarquer les jeunes vers leur projet professionnel. Alors, en quoi consiste ce Grand oral ? Comment s’y préparer et mettre toutes les chances de son côté ? Il est temps de faire un bilan des attendus de cette épreuve et surtout de vous donner quelques pistes pour s’y entraîner au mieux.
Pourquoi une épreuve de Grand oral ?
Récemment, nous avions interrogé Enzo Conan de sur la réforme du bac et la nouveauté de cette épreuve aussi angoissante qu’attirante. En effet, sur son compte Instagram, cet élève de Terminale donne de nombreux conseils pour mieux comprendre le Grand oral et s’y préparer. Enzo a bien senti que l’absence de repères et de précédents déstabilisent nombre de ses amis et camarades. Personne pour témoigner de son expérience ! Bien sûr certaines épreuves du baccalauréat se déroulent depuis toujours à l’oral, mais elles interrogent des contenus disciplinaires. Ici, ce n’est pas tant le contenu qui prime que la prestation orale en elle-même.
La prise de parole est une compétence qui s’acquiert.
L’oralité historiquement négligée
Mais avant d’entrer dans les détails, il faut comprendre pourquoi le ministère de l’Éducation nationale a imposé un Grand oral au bac. Depuis plusieurs décennies, les programmes de français mentionnent l’expression orale comme une compétence incontournable. Dans les faits, l’oralité est encore très largement déclassée face à l’écrit. En effet, hormis les fameux exposés réclamés dans diverses matières, le français oral manque cruellement d’envergure et d’ambition. Il se limite le plus souvent au travail de groupe, où le plus loquace prend la parole laissant dans l’ombre des gratte-papier peu valorisés. Or, la prise de parole est une compétence comme une autre. Elle s’apprend avant d’atteindre un degré de maîtrise.
Encore fallait-il que les décideurs de l’Instruction publique reconnaissent l’intérêt de développer les compétences langagières. Historiquement, l’école de Jules Ferry se fonde sur l’enseignement de et par l’écrit. Écrire, lire, compter demeurent les fondamentaux face à un oral perçu comme vulgaire, voire dangereux. Dans un contexte de laïcité républicaine, l’oral doit être encadré strictement par crainte de débordements d’opinion. Il revêt alors un caractère impulsif, menaçant , dont les pédagogues peinent à se départir encore aujourd’hui. D’après Françoise Waquet, dans Parler comme un livre (2003), l’oralité n’apparait que de façon négative dans les apprentissages.
[…] l’hégémonie de la culture écrite, plus que dans tout autre système éducatif, est bien un trait caractéristique de l’école républicaine.
Roberte Langlois, Les précurseurs de l’oralité scolaire en Europe, Presses Universitaires de Rouen et du Havre, 2012
D’après Roberte Langlois, « il faudra attendre 1972, et sa tentative de réforme de l’enseignement du français, pour que les instructions officielles s’intéressent aux activités orales d’expression et de communication. » Cependant, l’écrit l’emporte toujours sur l’oral encore de nos jours. En effet, avec l’importance croissante donnée aux diplômes scolaires, « l’écrit devient à la fois un outil et un objectif incontournable dans une réussite sociale future. » (Roberte Langlois). Toujours au détriment de l’oral, comme le relevait encore l’ancien ministre de l’Éducation nationale, Jack Lang, en 2006 dans la revue Les Temps modernes. Il semblerait donc qu’avec la réforme du bac, le ministère de l’Éducation nationale ait souhaité remédier à plus d’un siècle de domination de l’écrit sur l’oral. Il a sans doute aussi voulu tirer les enseignements d’autres systèmes éducatifs, de type anglo-saxon notamment. Ainsi, « l’oral représente jusqu’à 50% des épreuves et de la note finale » du bac britannique, d’après francetvinfo.
Redonner sa valeur à l’oral comme compétence psycho-sociale
Pour reprendre le linguiste Claude Hagège, l’homme est un « être de paroles ». Minimiser la place et l’impact de l’oral, a fortiori dans l’enseignement, revient donc à nier cet aspect humain, pourtant indispensable pour vivre en société.
Par ailleurs, selon Bertrand Buffon, « la parole nous est naturelle, consubstantielle même. Par la parole, nous donnons sens, nous exprimons, nous échangeons, nous comprenons, nous concevons et nous agissons. » (Buffon, Bertrand. « Chapitre premier. L’homme et la parole », La parole persuasive. Théorie et pratique de l’argumentation rhétorique, 2002). Ainsi, de nombreux chercheurs et chercheuses ont analysé cette compétence langagière et montré comment elle peut être à la fois un outil et une contrainte. La parole ressort de l’inné comme de l’acquis, elle nous libère ou nous enferme, selon l’usage qu’on en fait. C’est pourquoi elle nécessite une approche pédagogique dédiée à sa compréhension et à sa maîtrise.
Pour un lycéen aujourd’hui, exposer sa parole à travers l’épreuve du Grand oral revient à signifier son importance et en montrer la maîtrise. Cette épreuve est commune aux filières générales et technologiques pour 10 et 14% de la note finale. Au final, l’idée est de doter tous les candidat·e·s de la compétence de communication orale. Ce savoir-être constitue un facteur primordial de réussite à un entretien à visée professionnelle (demande de formation, concours, entretien d’embauche…).
Ce constat détermine la volonté politique éducative de permettre à toutes et tous d’accéder à la prise de parole. Et ceci pour plusieurs raisons, à diverses échelles, individuelles et collectives :
- exprimer ses idées favorise la diversité des initiatives et des innovations et donc profite à toute la société,
- donner une égalité d’accès à la parole promeut l’égalité entre les candidats,
- énoncer son projet incite à mieux le penser et augmente les chances de réussite.
Ce que l’on conçoit bien, s’énonce clairement,
Et les mots pour le dire arrivent aisément.
Nicolas Boileau, Art poétique, Chant I, v. 147-207, 1674, Paris
En fait, dès la maternelle les enfants participent à des échanges, donnent leur avis, expriment leurs émotions. Le développement du langage oral joue un rôle fondamental dans la socialisation des jeunes enfants et les préparent à entrer dans l’écrit. Cependant, plus le niveau de classe augmente, plus la prise de parole diminue. Elle finit par ne concerner que la présentation de données collectives ou littéraires, laissant peu de place à l’expression orale proprement dite. Car ne l’oublions pas : le Grand oral est une épreuve d’expression. En effet, le·la candidat·e doit non seulement délivrer du contenu sur un sujet, mais il·elle doit aussi et surtout montrer ses capacités d’expression. Qu’est-ce que cela signifie ?
Soigner sa présentation : quid des vêtements ?
Il y a quelques mois « fuitaient » les critères de notation du grand oral sous forme d’une grille interne, non confirmée par l’Éducation nationale. De cette actualité, nous pouvons retenir l’émoi des réseaux sociaux autour de la mention « tenue vestimentaire inadéquate (+/- provocante, +/- propre, +/- appropriée) », somme toute subjective. Cependant, ce tollé doit sans doute beaucoup au mouvement des jeunes filles du #lundi14septembre qui revendiquaient le droit de s’habiller comme elles le souhaitent sans être stigmatisées. Cet incident rappelle la forte crispation autour de la question vestimentaire / identitaire qui éclipse les vraies visées éducatives du Grand oral.
Laissons aux lycéen·ne·s la liberté de déterminer quelle tenue les servira au mieux pour les mettre en valeur et surtout pour qu’ils·elles se sentent eux-mêmes, à l’aise dans leur corps et bien dans leur tête.
Sans négliger l’apparence qui créé un premier contact visuel important, mais non décisif, revenons plutôt à la voix, clé de voûte de cette épreuve du Grand oral.
Prise de parole : savoirs et capacités oratoires
Dans un précédent article sur le blog, la prise de parole des jeunes occupait une place centrale autour de deux axes :
- l’acquisition d’une compétence utile dans de nombreux domaines,
- l’expression de soi comme impulsion d’un projet personnel, exercice de sa liberté et participation à la société.
L’épreuve du Grand oral du bac recouvre tous ces aspects à la fois : le.la candidat.e doit maîtriser les contenus disciplinaires pour montrer son savoir et valider la pertinence de ses choix de matières. Mais il.elle doit surtout s’approprier « ces savoirs et [prendre] la parole de façon personnelle et engagée, pour élaborer un jugement argumenté qui manifeste la façon dont l’enseignement qu’il a suivi fait sens pour lui. » (doc. PDF de présentation officielle de l’épreuve).
En clair, le savoir seul ne suffit pas. En revanche, la capacité à analyser, à argumenter, à présenter clairement son propos face à un jury majorent nettement la prestation. D’autre part, et c’est une grande nouveauté, cette épreuve du Grand oral doit permettre aux candidats de présenter leur projet professionnel. À noter qu’ils ne sont pas tenus de poursuivre leurs études dans l’un des domaines présentés. En revanche, il faut argumenter ses décisions d’orientation, en creux comme en positif. Il faut aussi assurer le jury sur la conduite d’un projet professionnel réfléchi, mais pas nécessairement définitif.
Il semblerait que l’orientation devienne enfin un vrai sujet d’apprentissage. Se questionner sur soi, chercher des informations, se déplacer à la rencontre des professionnels, prendre des décisions, trouver sa place dans la société, autant de compétences psycho-sociales mobilisables pour bâtir son projet professionnel ! D’autre part, l’intelligence émotionnelle occupe aussi une large place dans les compétences convoquées pour la réussite de cette épreuve. Observer son auditoire, guetter ses réactions, s’adapter aux variations de thèmes et d’humeur requièrent une attention et une analyse accrues. Par ailleurs, anticiper les questions démontre également une bonne connaissance de soi. Autant d’éléments à travailler en amont de l’épreuve.
Sur le blog de Weeprep, de nombreux articles aident à comprendre et prendre conscience de l’importance de la connaissance de soi dans son projet d’orientation professionnelle :
- le récit de vie pour déchiffrer le sens de nos actes et aller de l’avant en construisant son identité,
- l’ikigai pour formuler ses aptitudes, ses talents, ses besoins,
- la connaissance de soi pour faire des choix qui nous correspondent.
De plus, il est fondamental d’analyser les mécanismes de blocage, ces habitudes de penser et d’être qui empêchent de s’accomplir, de réussir. À consulter sur le blog de Weeprep, des topos sur les grandes théories en psychologie et sciences cognitives :
Conseils pour préparer le Grand oral
Par ailleurs, voyons de plus près quelques conseils plus techniques et pragmatiques liés au déroulement de l’épreuve.
Aspects techniques
Commençons par les aspects techniques de l’épreuve :
Durée : 20 minutes
Préparation : 20 minutes
Coefficient : 10 (voie générale) et 14 (voie technologique)
La préparation de 20 minutes ne sert qu’à se préparer à l’oral et à éventuellement produire un support écrit avec les moyens à disposition (tableau…). À noter toutefois que la présentation se fera sans note et face au jury. Le recours à d’autres supports (schémas, dessins,…) est possible, mais ne doit pas nuire à l’expression orale. Le jury choisit entre deux questions préparées par le.la candidat.e avec son enseignant·e et éventuellement un groupe de camarades.
Ces questions portent sur « deux spécialités, soit prises isolément, soit abordées de manière transversale en voie générale. Pour la voie technologique, ces questions s’appuient sur l’enseignement de spécialité pour lequel le programme prévoit la réalisation d’une étude approfondie. »
Pour se faire une idée de sujets possibles par spécialité, les comptes @conseilbac et @infosbac2021 sur Instagram proposent de nombreux sujets par spécialité ou transversaux. Attention cependant à bien vérifier auprès des enseignants que ces sujets correspondent aux programmes de Terminale.
Déroulement de l’oral (20 minutes)
L’oral se déroule en trois temps :
- 5 minutes d’exposé relatif à la question choisie (présentation et réponse),
- 10 minutes d’échanges avec le jury pour évaluer les connaissances et l’argumentation liées aux spécialités présentées,
- 5 minutes d’échanges pour articuler la présentation à son projet d’orientation (études et projet professionnel).
Coordonner ses connaissances à sa prise de parole
Tout débute par un choix : celui des questions présentées. Il peut toujours planer une incertitude concernant ces choix. Mais il ne faut pas oublier que c’est la qualité de la prestation orale qui comptera. En définitive, une fois les questions choisies, si elles s’avèrent moins intéressantes que prévues, il faut se concentrer sur la qualité de l’argumentation. Une question est un postulat de départ qui demande d’être développé, confronté, comparé… Il n’y a donc pas de mauvaises questions !
Notons bien cette maxime de Condorcet :
« Il faut douter même de la nécessité de douter de tout. »
Nicolas de Condorcet, L’esquisse d’un tableau historique, Posthume, 1795
En effet, demeurer dans le doute, dans l’incertitude paralyse. S’il est bon de se questionner, nous avons toutefois besoin d’un certain degré de certitude pour avancer.
Par conséquent, une fois l’étape de la formulation des questions franchie, il faut passer à la suite ! Et garder en tête le déroulement travaillé en amont avec l’enseignant ou ses camarades. Ce n’est pas le moment d’improviser mais bien plutôt de montrer la qualité du travail préparatoire.
Ensuite seulement, dans la dernière partie de l’épreuve, il sera possible de proposer une approche plus dynamique sous le mode du débat. Mais il ne s’agira pas totalement d’une improvisation, car les questions éventuelles doivent avoir été majoritairement anticipées. Cela évite la confusion et la sensation d’être pris.e en défaut.
Comment se préparer à l’avance à l’épreuve du Grand oral
Premièrement, il faut faire un bilan de ses compétences langagières. Suis-je à l’aise ? Si non, de quoi aurais-je besoin pour l’être ? Méditation, relaxation, yoga, sophrologie, compléments alimentaires ? La palette de remèdes est suffisamment large pour permettre à chacun.e de trouver sa solution pour vaincre le trac, l’angoisse, les troubles gastriques… Aller piocher du côté des groupes d’entraide au sein de son établissement ou sur le web (studygrams, comptes Discord…) aide à se sentir moins seul.e avec ses difficultés.
Côté long cours pour apprendre à placer son corps, sa voix et articuler : théâtre, chant, chorale, comédie musicale, cirque… Et pour travailler sa répartie : jeux d’improvisations (Taboo, Times up…), impros théâtrales, concours de punchlines…
Enfin, pour terminer sur un dernier conseil pour le jour du Grand oral : RESPIRER. Avant toute prestation orale, inspirer calmement et vider complètement ses poumons aide à maîtriser ses angoisses. Ce conseil vaut pour toutes les situations stressantes de la vie !
Bon courage pour la préparation et n’hésitez pas à nous envoyer un message via notre compte Instagram si vous voulez partager votre expérience, votre ressenti, vos conseils pour aborder cette épreuve du Grand oral.
Bibliographie
- Françoise Waquet, Parler comme un livre, l’oralité et le savoir XVI-XXème, Albin Michel, Paris, 2003
- Roberte Langlois, Les précurseurs de l’oralité scolaire en Europe, Presses Universitaires de Rouen et du Havre, 2012
- Buffon Bertrand, « Chapitre premier. L’homme et la parole », dans : , La parole persuasive. Théorie et pratique de l’argumentation rhétorique, sous la direction de Buffon Bertrand. Paris cedex 14, Presses Universitaires de France, « L’Interrogation philosophique », 2002, p. 19-33. URL : https://www.cairn.info/la-parole-persuasive–9782130524090-page-19.htm
- Claude Hagège, L’homme de paroles, Contribution linguistique aux sciences humaines, Fayard, Paris, 1996