La fin de l’année scolaire approche. Une année entièrement vécue sous la contrainte du COVID. Présentiel, distanciel, le jargon éducatif adopte durablement le vocabulaire né sous le premier confinement. L’heure n’est plus à la sidération, mais à l’adaptation. Un effort sur soi qui dure depuis le mois de septembre et entame les meilleures volontés. On a beaucoup parlé des enfants, des écoles lieux de contamination, moins des étudiants. Restés chez eux, cloîtrés face à leur écran animé de visio-conférences en continu, les étudiants font figures d’oubliés de la crise. Comme si leur jeunesse leur donnait un avantage, comme s’ils avaient du temps devant eux, indéfiniment.
Les quelques données statistiques dont on dispose à l’heure actuelle montre une dégradation importante de la qualité de vie des 15-30 ans. Ainsi d’après un sondage France bleu / franceinfo, « 80% […] disent avoir « subi des préjudices importants » en raison de l’épidémie, que ce soit relatifs au pouvoir d’achat, à la santé mentale ou aux habitudes de vie » (source Julien Baldacchino pour France Inter 11/02/21). On sait aussi que un jeune sur six a arrêté ses études et que le taux de chômage pour les 18-25 ans a augmenté de 16% en 2020. Par ailleurs, ils étaient 1/3 à avoir renoncé au moins une fois à un soin, et 31% à déclarer que leur addiction avait augmenté avec le confinement. Enfin, le recours à une aide psychologique a fortement augmenté sur la période : + 56 à 83% dans les services d’accueil spécialisé et jusqu’à 40% de plus pour Nightline (écoute gratuite).
Cette semaine, j’ai recueilli le témoignage de deux étudiants, Léa (22 ans) et Mehdi (bientôt 23 !) qui ont accepté de partager leur ressenti pendant cette année de crise de sanitaire. Quel impact la pandémie a-t-elle eu sur leurs études, leurs projets et leur vie au quotidien ? Léa est étudiante en BTS communication et Mehdi achève sa troisième année en école de commerce, spécialité finance.
En tant qu’étudiants, avez-vous une visibilité sur vos projets professionnels ?
Les étudiants en difficulté dans leurs projets de stages et voyages à l’étranger
Mehdi : Avant la crise du covid, j’ai suivi des études de droit, mais j’ai senti que je n’étais pas fait pour ce domaine. Mon objectif professionnel à présent est de pouvoir travailler dans la gestion des risques financiers en entreprise. J’ai choisi mon école de commerce parce qu’elle proposait des enseignements variés et des stages à l’étranger. J’aurais bien voulu partir à Hong-Kong, mais vu le contexte ce n’est pas possible. Actuellement, j’effectue mon stage à Narbonne et je m’estime heureux de l’avoir trouvé. J’ai d’autres amis étudiants en galère de stage et qui ont dû se replier sur des secteurs qui les intéressaient moins. Moi, j’ai beaucoup appris dans l’entreprise qui m’accueille. C’est un peu à la dure, à l’ancienne, mais c’est formateur !
Faire du commerce c’est toucher un peu de tout, ce qui m’a permis de découvrir de réels centres d’intérêt comme la politique internationale. D’ailleurs, je regrette parfois de ne pas avoir davantage d’enseignement en « politique internationale ». Je dois réfléchir à cette question pour la suite de ma formation, ce n’est encore très clair pour moi.
Pour le moment, je me consacre à mon stage dans le développement de projet d’énergies renouvelables. L’année prochaine, j’envisage de faire un échange dans le cadre de ma 4e année pour obtenir un double diplôme.
J’ai vraiment le sentiment qu’il faut que j’ajuste au fur et à mesure mon parcours d’étudiant. C’est en avançant dans mon cursus que je me rends le mieux compte de ce que j’aime faire, de ce qui m’intéresse le plus.
Les étudiants en alternance moins touchés que ceux en cours exclusivement ?
Léa : Je ne sais pas quels sont mes buts professionnels, mais je veux rester dans le secteur de la communication, du marketing et de la pub. Je suis satisfaite de ma formation car elle me convient et c’est un domaine qui me plaît. J’ai tâtonné quelques années avant de me décider, car beaucoup de domaines m’intéressaient. Finalement, c’est en suivant les cours que je me suis rendu compte que ça ne me correspondait pas.
Cette année a été décisive pour moi, car maintenant je suis convaincue que je veux travailler dans la communication digitale. Ma formation en alternance me convient parfaitement, car j’ai besoin d’être en contact direct avec le monde du travail, de rencontrer les porteurs de projets et de coopérer avec une équipe. J’ai l’impression que mon cursus en BTS m’avantage dans le cadre de la crise du COVID. Il n’y a pas eu d’interruption de cours et j’ai pu trouver mon alternance sans problème. Mais j’ai bien conscience que pour d’autres étudiants, c’est plus difficile. Tous ceux qui sont sensés suivre des cours à temps plein ne vivent pas cette crise comme moi.
De plus, à côté de mes études, je développe un projet avec une amie. On a créé un pop up où le principe est de donner l’opportunité aux gens de vendre leur habits. On dispose d’un espace et on organise un vide dressing tous les mois dans lequel 10 personnes, hommes ou femmes, vendent leurs vêtements. Les invendus sont reversés à une association.
Comment la crise du COVID a-t-elle influencé vos vies d’étudiants ?
L’absence de cours compensée par les relations amicales
Mehdi : Les cours sont totalement en ligne. Ça fait un an et demi que je ne suis pas allé à l’école, les examens sont également en ligne, le stage est en télétravail. Le manque de contact humain se fait réellement sentir. D’autant que j’ai un caractère très sociable, j’ai besoin de voir les gens en vrai, de discuter les yeux dans les yeux et pas par caméras interposées. J’attendais beaucoup de ma troisième année, car normalement je devais partir en échange, ce qui a dû être annulé à cause du COVID. J’avais aussi d’autres projets qui ont été reportés, comme la création d’une marque de vêtements. Il faut être patient, mais parfois c’est angoissant, car j’ai l’impression de manquer des occasions et je ne sais pas si elle se présenteront de nouveau.
Heureusement, grâce à mon stage j’ai pu quand même découvrir de nouvelles personnes et développer mon réseau. Évidemment, j’aurais pu encore plus le développer s’il n’y avait pas eu de COVID. On ne sait pas trop ce qu’on perd, alors on continue d’avancer. Entre amis, on se soutient aussi et on se dit que ça va passer et que bientôt nous pourrons nous donner à fond dans nos projets.
C’est pas facile pour certains. De mon côté, je n’ai pas rencontré de difficultés économique, mais j’en connais qui ont perdu leur petit boulot et qui galèrent. Même si des mesures ont été prises, elles étaient un peu tardives. Dommage que le gouvernement n’ait pas d’entrée de jeu pris en compte les besoins des étudiants. Il a fallu des drames pour alerter l’opinion publique. On aurait pu éviter d’en arriver là. Pourtant, les étudiants sont clairement identifiés, on sait qui est boursier, qui est fragile etc. Sous prétexte qu’on est adulte, on doit se débrouiller seul, mais de nombreux travailleurs ont reçu des aides rapidement. Pas les étudiants. J’ai l’impression que le problème est plus important dans les universités. Dans les écoles, l’administration nous encadre et nous suit sans doute davantage. Il y a probablement de fortes inégalités entre étudiants, alors qu’on devrait tous avoir les mêmes chances.
Des étudiants habitués au numérique à l’aise avec le télétravail
Léa : La crise COVID n’impacte pas mes études. Depuis septembre, je suis en présentiel en alternance et au lycée. Il y a eu un léger changement pendant le dernier confinement puisque j’ai eu cours en visio-conférence et été mise au chômage partiel. Mais cela ne me dérange absolument pas. Au contraire, j’ai l’impression d’avoir plus de temps pour mener des projets personnels et développer ma créativité.
D’ailleurs, cette crise n’impacte pas non plus mes projets d’avenir puisque je travaille dans la communication digitale. Tout peut se faire à mon domicile, donc ce n’est vraiment pas un problème ! Je reste assez optimiste et finalement ça m’oblige à me débrouiller aussi par moi-même. Je me suis découverte auto-didacte. Quand j’ai besoin d’un outil, que je cherche une solution technique ou graphique, je trouve toujours une solution numérique. Et bien sûr, je peux aussi solliciter l’aide d’amis ou collègues. Je suis finalement assez autonome et j’apprends mieux ainsi, à chaud, en fonction des besoins, des problèmes qui se présentent.
Cependant, je sais que je ne représente pas tous les étudiants, loin de là ! De nombreux amis ont connu des moments difficiles cette année, par manque de contact. Je sais qu’ils auraient vraiment voulu que les cours reprennent en présentiel. Et je les comprends parce que certains avaient parfois cours en ligne des journées entières. Comment on peut rester concentré et attentif pendant toute une journée ? Il y a de quoi devenir dingue ! En fait, la plupart des étudiants que je connais laissent tourner la vidéo et font autre chose pendant que le prof parle. C’est ennuyeux et fatiguant de rester bloqué derrière son écran, sans interaction. Et quand on te demande de participer tu te défiles parce que ta perdu toute ton énergie…
Pour ma part, mon projet de pop up m’a bien aidée à tenir aussi. Au final, on fait comme si le COVID n’existait pas ! On fonce et on agit pour avancer. D’ailleurs, j’ai pu continuer de développer mon réseau, car nous sommes nombreux à vouloir entreprendre sans se laisser freiner par le COVID. C’est notre envie et notre énergie qui nous rassemble et nous motive pour développer nos projets communs.
Avez-vous rencontré des difficultés autres que pédagogiques ? (isolement, troubles alimentaires, anxiété, dépression…)
Le manque d’activité physique pèse sur le moral
Mehdi : Même si j’ai tendance à me dire que tout va bien et qu’il y a pire, j’ai effectivement eu une baisse de régime ces derniers mois. Je suis quelqu’un qui fait énormément de sport. Avant le COVID, je mangeais 4 à 5 fois par jour en contrôlant mes apports pour les optimiser. J’ai beaucoup souffert de la fermeture des salles de sport que je fréquentais assidument. Ne pouvant plus exercer d’activité physique, je n’avais plus d’appétit. J’ai découvert d’autres aspects du fonctionnement de mon métabolisme et je ne me sens pas à l’aise sans pratique sportive. J’attends avec impatience de pouvoir reprendre au même rythme qu’avant la crise. Je pense qu’il faut pratiquer pour comprendre à quel point cela peut manquer !
Heureusement, les aspects de mon quotidien, de mes habitudes sociales ont été peu impactées. Je vis en famille et ai conservé mes relations amicales malgré la crise. J’ai respecté le protocole sanitaire et ai aussi passé beaucoup de tests PCR pour m’assurer de ne pas contaminer mes proches. C’est vrai qu’au moindre rhume ou petite fièvre, l’angoisse monte, mais finalement nous nous en sommes bien sortis.
Je n’ai pas particulièrement été affecté psychologiquement par la crise COVID, mais plutôt physiquement. L’hygiène de vie d’un confiné est tellement différente de l’hygiène de vie de quelqu’un qui ne l’est pas. Je pense que c’est le manque d’activité qui a été le plus compliqué pour moi. Je suis quelqu’un qui en général s’ennuie très facilement et rester à la maison m’a rendu flemmard ! J’ai besoin d’activité physique pour retrouver mon dynamisme.
Une vie plus monotone qui a des répercussions psychologiques
Léa : Je suis une personne très sociable qui d’ordinaire sort beaucoup. J’ai un groupe d’amies dont je suis très proche. Évidemment, nous n’avons pas pu nous voir comme avant, ni faire la fête comme nous en avions l’habitude. Cela m’a pesé tout au long de cette année. La vie est plus triste, monotone. On a le sentiment d’habiter dans une ville fantôme qui ne reverra jamais le monde.
Mais je n’ai pas subi des troubles psychologiques graves tels qu’une dépression. La vie en famille n’est pas toujours facile et je me suis souvent sentie bloquée chez mes parents. Mais au final, je passe cette épreuve en me disant que bientôt les choses vont bouger. Déjà les terrasses et les magasins ont rouvert, quel soulagement ! J’étais très contente de pouvoir retourner travailler sur place dans le cadre de mon alternance. Pourvu que nous ne soyons pas à nouveau confinés à la rentrée !