Sous couvert d’humilité, Blaise Pascal encourageait ses contemporains à s’effacer derrière leurs actes et pensées. Le moi est haïssable. Aujourd’hui, grâce à la psychologie, nous sommes bien loin de cette injonction. Et connaissons les difficultés liées à une faible estime de soi. Pour autant, de nombreux jeunes se sentent en échec, peinent à trouver leur voie, brident leurs capacités parce qu’ils se mésestiment. Pourquoi ? Décryptage grâce aux travaux du psychiatre Christophe André.
Les trois ingrédients de l’estime de soi
Selon Christophe André, l’estime de soi est une donnée fondamentale de la personnalité, au carrefour des trois composantes essentielles du soi : comportementale, cognitive et émotionnelle. Elle influence nos actions, dépend de notre regard sur nous-même et varie en fonction de notre humeur. Ainsi, ce qu’elle recouvre dépasse de loin la stricte étymologie du latin aestimare qui indique un sens d’évaluation.
En effet, ce psychiatre et psychothérapeute fait reposer l’estime de soi sur trois piliers :
- la confiance en soi
- la vision de soi
- l’amour de soi
Tout d’abord, la confiance en soi mobilise les capacités et compétences au service des actions à conduire. Elle se nourrit de nos réussites et échecs et trouve du soutien dans l’entourage. Avoir confiance en soi favorise l’engagement, mais n’induit pas une connaissance complète et objective de ses capacités. De plus, elle peut tout à fait s’appliquer à une tâche, mais pas à une attitude générale.
Ensuite, la vision de soi tient davantage de la conviction, en négatif comme en positif, que de la réalité. Tant que la vision de soi ne se confronte pas au miroir de l’entourage, elle ne peut atteindre ni la connaissance, ni l’affirmation de soi, et encore moins son acceptation. De ce fait, des conflits internes peuvent parasiter le jugement sur soi-même et entraver une prise de décision ambitieuse et cohérente avec la personnalité.
Enfin, l’amour de soi est de loin le facteur le plus important dans l’estime de soi.
L’amour de soi comme fondement de l’estime de soi
Soyons tout de suite clair : il ne s’agit pas de sombrer dans un lac comme Narcisse cherchant à embrasser son reflet. Mais bien plutôt de puiser à sa source l’énergie, le ressort qui nous fait lever chaque matin. Notre ikigaï. A l’origine, l’amour de soi nous vient de l’amour de nos parents. De cet amour éternel et inconditionnel qu’ils nous portent et qui nous portent tout au long de notre vie. Quand tout va bien.
D’après Christophe André, il est l’ingrédient principal de l’estime de soi. Car, il nous permet de résister à l’adversité et (de) nous reconstruire après un échec. Il n’empêche ni la souffrance ni le doute en cas de difficultés, mais il protège du désespoir. C’est cette petite voix qui nous murmure : « ce n’est pas grave. Je n’avais pas compris ou pas assez travaillé. Je n’ai pas été à la hauteur cette fois-ci, mais la prochaine fois je me préparerai mieux et je pourrai réussir ».
Ainsi, Diane Marcotte, spécialiste de la dépression et de l’anxiété chez les adolescents, montre combien la relation parent/enfant influence les troubles intériorisés. Elle relève d’ailleurs qu’en fonction de l’âge du jeune, les besoins d’accompagnement ne sont pas les mêmes. Alors que la qualité des soins et l’attachement peuvent constituer des facteurs médiateurs significatifs dans la transmission chez les enfants, c’est plutôt l’encouragement à l’autonomie et à l’indépendance qui s’avère un élément important de la relation parent-adolescent. Un manquement ou un dysfonctionnement parental peut provoquer une faible estime de soi chez les jeunes. Et constituer un facteur de risque accrue de dépression.
« Les enfants exposés à un style parental marqué par des pensées négatives, le pessimisme et les inquiétudes constantes risquent d’adopter, tout comme leurs parents, une vision négative d’eux-mêmes et du monde dans lequel ils vivent ».
Diane Marcotte, Les problèmes internalisés : la dépression et l’anxiété à l’adolescence, La psychologie de l’adolescence, ss la dir. de M. Claes et L. Lannegrand-Willems, Montréal, Les Presses de l’Université de Montréal, 2014
Comparaison sociale : le test de M. Top et M. Bof
Même si l’estime de soi dépend grandement de l’amour que nous avons reçu de nos parents, elle fluctue aussi en fonction des interactions avec l’environnement. Dans de nombreuses situations, nous nous comparons aux autres pour nous évaluer nous-mêmes. La comparaison sociale peut être descendante, lorsque nous prenons un exemple d’échec pour nous remonter le moral. Elle peut également être ascendante, quand nous trouvons de la motivation dans un modèle inspirant. Enfin, nous cherchons confirmation de nos qualités par identification à une personne ou à groupe à travers des codes vestimentaires, des intérêts communs etc.
Ces multiples comparaisons nous aident à préserver notre estime personnelle. Cependant, même si elles sont nécessaires et inévitables, elles peuvent altérer notre jugement sur nos capacités réelles. Ainsi un élève ayant un 13/20 dans une classe où la moyenne est de 10 se jugera bon élève. Tandis que pour le même résultat dans une classe atteignant une majorité de 18/20, il s’estimera moyen, voire mauvais. C’est l’effet « mare aux poissons ».
De plus, comme le montre un test pratiqué par des chercheurs en psychologie dans différents pays, notre perception, subjective, des qualités ou défauts de nos camarades ou collègues augmentent ou diminuent nos chances de réussite.
Ainsi, le test de M. Bof et M. Top conclut à l’instabilité de l’estime de soi. En fonction des éléments de comparaison dont nous disposons, nous sommes amené·e·s à revoir notre jugement sur nous-mêmes. Le processus de comparaison sociale peut donc avoir des conséquences sur les performances scolaires. Mais également sur les décisions d’avenir. Les problèmes de mixité dans les choix d’orientation découlent aussi de ce biais de jugement. En s’identifiant à un groupe, la tentation est grande de suivre les choix de celles et ceux qui nous ressemblent. Et si mes amies choisissent une carrière littéraire ou sociale, je suis tentée de suivre cette voie. Me conformant ainsi, inconsciemment, à des stéréotypes de genre.
Connais-toi toi-même : la sagesse de Socrate dans l’orientation scolaire !
C’est pourquoi déjà au V siècle avant J.C. , Socrate enjoignait ses lecteurs à l’introspection. Réfléchir à ses actes et pensées s’inscrit dans une dynamique menant à une prise de décision. Un nouveau choix pour soi-même implique à nouveau un retour d’expérience pour continuer de progresser. Contrairement aux sophistes qui cherchent à atteindre le savoir absolu, Socrate fonde la sagesse sur l’attitude réflexive en elle-même. Elle ne doit pas mener au doute perpétuel qui ne provoque que stérilité et frustration. Mais elle doit au contraire accompagner chacune et chacun dans son quotidien et ses projets d’avenir.
En cela, le personnage de Janet dans la série The good place résume bien ce but socratique. Robot humanisé détenant tout le savoir du monde, Janet acquiert de nouvelles compétences sociales et émotionnelles à chaque redémarrage de son système. Plus elle apprend sur les autres et sur elle-même, plus elle contribue à la résolution des problématiques humaines. Cet exemple montre l’importance des expériences et interactions sociales dans l’élaboration de la personnalité. Laquelle s’affirme et s’exprime d’autant mieux qu’elle peut se reposer sur une estime de soi suffisante.
D’abord, se connaître soi-même, c’est se distinguer. Ensuite, c’est aussi mieux comprendre les autres. Comme l’énonçait Montaigne : Chaque homme porte la forme entière de l’humaine condition. Identifier les réussites et les échecs de son entourage aide à analyser les siens propres. Ainsi, les processus de comparaison, va-et-vient entre soi et les autres, nous permettent de mieux nous connaître et nous accepter. Ainsi, nous développons une plus grande adaptabilité et une meilleure résistance aux conflits internes. L’estime de soi en sort renforcée et nous gagnons en créativité et liberté d’expression de soi. Des éléments fondamentaux pour une orientation scolaire réussie !
Bibliographie :
- Michel Claes et Lyda Lannegrand-Willems (Sous la direction de), La psychologie de l’adolescence, Montréal, Les Presses de l’Université de Montréal, 2014, p 204 à 312
- L. Friedmann, Se comparer aux autres, Reconnaissance et estime de soi, La reconnaissance Des revendications collectives à l’estime de soi, Auxerre, Sciences humaines Editions, 2013
- C. André, L’estime de soi au quotidien, Reconnaissance et estime de soi, La reconnaissance Des revendications collectives à l’estime de soi, Auxerre, Sciences humaines Editions, 2013
- Christophe André et François Lelord, L’estime de soi, s’aimer pour mieux vivre avec les autres, Paris, Odile Jacob, 2007