Si parents et enfants ont parfois du mal à cohabiter sous le même toit, les tensions s’exacerbent d’autant plus avec le confinement. Pourtant, cette situation inédite pourrait être l’occasion de prendre du recul et développer ses compétences psycho-sociales. Encore faut-il les découvrir ! Coopération, entraide, autonomie, auto-régulation… Après la chasse aux oeufs du week-end pascal, c’est parti pour dénicher les compétences à l’oeuvre en milieu familial. Et comme il y en a beaucoup, la dégustation se fera sur deux semaines. Commençons par la première partie.
Les compétences psycho-sociales pour bâtir un projet commun
La coopération au sein de la famille
La première compétence qui vient à l’esprit est celle de la coopération. Savoir coopérer pour mener à bien un projet est une aptitude très recherchée dans le monde du travail. Mais comment se manifeste-elle à la maison ? En sondant la toile à ce sujet, je n’ai trouvé que des articles qui traitent de la coopération en entreprises ou de la coopération école/familles. Pourtant, la coopération en milieu familial existe bien !
Plusieurs types de coopération peuvent se mettre en place entre parents et enfants, entre frères et soeurs, entre proches. On pense immédiatement aux tâches ménagères et à la préparation des repas. Toutes ces actions servent l’ensemble des membres de la famille. Cependant, il n’est pas si évident de mobiliser les 13+ si l’on se cantonne aux besoins et habitudes des parents.
Nécessité de définir collectivement le cadre coopératif
En fait, si nous, parents, pensons obtenir de l’aide pour réaliser notre programme quotidien, il ne s’agit plus de coopération. Coopérer implique des besoins communs qu’il faut donc définir conjointement. En un mot, il faut se mettre d’accord, négocier si besoin, sur ce qui bénéficie à tous au sein de la famille. Bien sûr, il s’agira de la propreté de la maison et de la préparation des repas, mais aussi du respect de l’intimité. En fait, la liberté des uns et des autres comptera comme facteur de réussite de la coopération. Personne n’aime se sentir « subalterne », mais si tout le monde participe le principe d’équité permet l’engagement de tous. Alors l’ingratitude des tâches s’efface.
Cependant, ce principe n’est pas forcément si simple à respecter, car certaines habitudes familiales s’y opposent. Ici l’aîné-e sera perçu-e comme rigoureux-se et aidant-e et le cadet-te turbulent-e et anxieux-se. Ailleurs certain-e-s seront rangé-e-s dans la catégorie des têtu-e-s ou des rebelles ou encore dans celle des introverti-e-s ou timides… La vision que nous avons des un-e-s et des autres empêche d’évoluer sereinement et de nous adapter à de nouvelles situations, comme ici celle du confinement. Elle se rapproche souvent du biais de jugement. Développer ses compétences psycho-sociales implique la capacité de dépasser les jugements hâtifs et routiniers.
Malheureusement, notre perception des personnalités de notre entourage induit un conditionnement, souvent inconscient. Il peut déboucher sur l’impuissance apprise (Seligman). C’est-à-dire qu’à force d’entendre qu’on est nul-le ou qu’on ne fait rien, on fait tout pour se conformer à cette image. C’est pourquoi la coopération s’installe d’autant mieux que les points de vue parents/enfants se renouvellent, se réactualisent. L’idée étant d’effacer l’historique pour s’ouvrir à l’autre dans l’instant présent et observer ses potentialités actuelles plutôt que ses failles passées.
L’entraide comme moteur de la coopération
On associe souvent entraide et coopération pour montrer le lien qui existe entre les buts et les moyens. En effet, s’entraider concourt à la réalisation d’un projet commun. Cependant, l’entraide ne nécessite pas forcément d’oeuvrer dans un même sens, mais plutôt de prendre en compte les besoins du demandeur. De plus, cette relation de réciprocité vaut comme facteur d’égalité et de respect de l’autre. L’entraide est un échange qui prend en compte la demande singulière de l’autre. C’est pourquoi elle peut tout à fait inciter à coopérer.
De plus, elle permet de mobiliser les spécificités de chacun et chacune pour effectuer une tâche. Ainsi, elle est l’occasion de définir ses besoins et de se définir à travers eux vis-à-vis des autres. En clair, qu’est-ce que ça signifie ? En demandant de l’aide et en donnant la sienne, on apprend à mieux se connaître. Prenons un exemple très pragmatique : la préparation des frites en famille. Quelqu’un doit sortir acheter les pommes de terre après avoir dûment rempli son attestation et s’être muni des protections éventuelles. À son retour, une autre personne prend en charge le lavage et l’épluchage, une autre le façonnage des allumettes. Puis encore une autre la mise en friture. La table est dressée et enfin tout le monde s’attable pour la dégustation.
Responsabilité et coopération : deux compétences psycho-sociales qui interagissent
Dans cette situation banale, une seule personne aurait pu tout faire, mais la participation collective apporte une toute autre saveur au plat. Par ailleurs, la réussite du repas repose sur l’ensemble des participants et non sur une seule, ce qui en allège le poids et favorise l’engagement de chacun. Imaginez un instant que vous dites à votre grand-e : « prépare-nous des frites ! ». Quels pourraient être les motifs de son refus ? Ils sont multiples, car les difficultés sont nombreuses : peur de sortir, peur de se couper, de mal faire, de se brûler etc. Alors que si les tâches sont fractionnées et distribuées, elles deviennent plus abordables, plus faciles, moins intimidantes.
Cet exemple nous amène à une des autres compétences psycho-sociales fondamentale : l’autonomie.
L’autonomie et l’auto-régulation : des compétences psycho-sociales qui font grandir
L’autonomie s’acquiert, mais ne se décrète pas
Être autonome suppose de savoir faire seul-e, dans une société où l’on a besoin des autres pour avancer. Finalement, l’autonomie c’est la capacité à estimer ses besoins, à évaluer ses propres compétences avant d’aborder une tâche. Elle découle grandement de nos expériences et des retours de nos proches pour évaluer notre capacité à faire (apprentissage vicariant de Bandura).
Dès la maternelle, les jeunes enfants sont poussés vers l’autonomie. Ils doivent s’habiller, manger, ranger tout seul et sont félicités pour leur progrès dans ces domaines. Mais parfois il y a une surenchère de l’autonomie au détriment de l’entraide. On attend des performances sans faille, là où on devrait inciter l’enfant à évaluer ses capacités et accepter de demander de l’aide. Beaucoup de jeunes enfants sont frustrés de ne pas réussir comme des grands. La pression est forte et leur colère en proportion. En définitive, cette attitude des plus jeunes ne cesse pas avec l’âge. Il est toujours aussi insupportable de ne pas réussir là où les adultes « excellent ».
La peur de l’échec comme facteur d’inertie
Lorsqu’un jeune montre peu d’autonomie, c’est peut-être qu’il a peur de l’échec. En classe, pour aider les élèves à progresser, les enseignants réfléchissent à organiser des tâches en graduant leur niveau de difficulté. On parle de différenciation pédagogique. L’idée est de proposer des approches différentes pour arriver au même objectif d’apprentissage. Cette méthode s’inspire des théories de Piaget sur les stades de développement. Appliquée à l’autonomie des jeunes de 14-18 ans, la différenciation permet aux parents d’explorer les voies d’amélioration possibles pour leurs enfants. En gardant à l’esprit que l’émancipation des jeunes les aide à faire des choix d’avenir qui leur correspondent. Car être autonome c’est mieux se connaître et évaluer ses besoins.
L’auto-régulation permet de mieux se connaître
Par ailleurs, lorsqu’on accède à davantage d’autonomie, on augmente ses capacités d’auto-régulation. Cette compétence psycho-sociale implique un contrat avec soi-même qui a des répercussions sur ses relations aux autres.
Par exemple, alors que tout le monde vaque à ses occupations à la maison, il peut être tentant de grignoter entre les repas ou de traîner dans la salle de bain. Ce qui peut occasionner des frictions en rapport avec le stock de chocolat ou la quantité d’eau chaude disponible ! Développer ses capacités d’auto-régulation permet d’assurer le bien-être collectif en respectant les besoins de tous. En général, ce type de régulation est bien compris et assumé par les jeunes.
La problématique de la régulation du temps d’écran
Typiquement, là où les parents attendent que leurs ados s’auto-régulent c’est sur leur temps d’écran. L’image des jeunes courbés du matin au soir sur leur smartphone contrarie de nombreux adultes. Monde irréel, tentaculaire, omniprésent, hypnotisant, il catalyse de nombreuses craintes. Les parents se sentent démunis face à un usage abusif, addictif des écrans. D’ailleurs, les nombreuses enquêtes et ouvrages de psychologie corroborent leur inquiétude. Ainsi le modèle 3-6-9-12 du psychiatre Serge Tisseron décline des recommandations par tranche d’âge. Plus récemment, Michel Desmurget, docteur en neurosciences et directeur de recherche à l’Inserm renfonçait le clou avec son ouvrage La fabrique du crétin digital. De fait, la plupart des études considèrent qu’un jeune aura du mal à s’auto-réguler avant l’âge de 13, voire 15 ans. Ce qui signifie que les plus jeunes ont besoin d’un cadre imposé par leurs parents.
Les aides à l’auto-régulation des écrans
Les limites posées concernent plusieurs points :
- temps global d’écran,
- contenus autorisés (musique, navigation, réseaux sociaux, jeux en ligne…)
- usage des réseaux sociaux (éducation aux médias),
- moments autorisés (plages horaires indicatives),
- interdictions d’usage (dans la chambre, à table, en soirée…
Cependant, les parents peuvent rencontrer des difficultés à faire appliquer des règles qu’ils ne suivent pas pour eux-mêmes. D’où l’idée de développer chez les jeunes l’auto-régulation, en tant que compréhension de ce qui est bon pour soi. Lorsqu’un-e jeune passe sa journée entière sur les écrans, il se prive de nombreuses activités enrichissantes pour lui-elle. Mais il reste extrêmement difficile de changer des comportements ancrés depuis plusieurs mois, voire années. Dans ce contexte, imposer de nouvelles règles en période de confinement, sans aide extérieure, tient de la gageure. Plus particulièrement les élèves de 3ème et de Terminale qui vont obtenir cette année leur diplôme en contrôle continu. La plupart d’entre eux se réjouissent des vacances anticipées et ont tendance à passer encore plus de temps sur leur smartphone.
Les bénéfices de l’auto-régulation sur le bien-être général
Par contre, si l’on considère l’auto-régulation comme une compétence psycho-sociale globale et non pas sélective, alors il peut être valable de la développer dans certains domaines, en espérant des répercussions sur d’autres. Par exemple, se réguler sur son alimentation en prenant soin de manger équilibré entre dans une logique globale de bien-être. La diminution du temps d’écran répond à la même logique. Comprendre que l’auto-régulation vaut pour différents aspects de notre vie et qu’elle concourt à notre épanouissement personnel permet d’éviter l’écueil de la privation ou de l’injonction. C’est pourquoi il est essentiel que les jeunes établissent leurs propres règles et qu’ils s’auto-évaluent. Ils pourront ainsi analyser leurs propres pratiques et déterminer un seuil à ne pas dépasser.
De plus, cette démarche pro-active développe des compétences psycho-sociales connexes, comme la gestion du temps et du stress.
Pour découvrir la suite de cette « enquête » sur les compétences psycho-sociales en milieu familial, rendez-vous lundi prochain. J’enchaînerai sur la gestion du temps et du stress et aborderai la résolution de problème, la créativité, la prise de décision, l’empathie et la communication. À la semaine prochaine !