Loin de moi l’idée de tirer les cartes du tarot, d’envoûter une poupée ou d’observer les conjonctions astrales pour vous dire comment favoriser la communication entre les familles et les enseignants. Mais, il faut bien reconnaître que ce sujet est hautement sensible, voire carrément radio-actif…
Dans l’histoire de l’Instruction publique, on ne trouvera aucune période d’idylle dans la communication parents/profs. Alors, pourquoi tant de haine ?
Tentative de contextualisation
Difficile de faire l’historique des relations parents/profs. Mais celui-ci est sans doute hérité des débuts de l’Instruction publique qui avait pour objectif de sortir les enfants de leur famille. Dans un contexte géo-politique tendu, après la défaite de la France face à l’Allemagne, il est urgent de fonder une nation. De rassembler les citoyens autour d’une langue commune, d’éradiquer les dialectes et patois, d’insuffler le patriotisme pour préparer la revanche. Rappelons-nous comment étaient surnommés les instituteurs de l’époque : les hussards noirs de la République !
Déjà au XVIIIème siècle, Elisabeth Badinter relève que la plupart des enfants sont confiés à des nourrices à la campagne. Et pas seulement dans les milieux les plus aisés. Les parents ne s’occupent pas des enfants, qu’ils travaillent ou non. Après la nourrice, ces derniers aident aux champs ou à l’atelier. Et dès l’âge de 12/13 ans, ils sont considérés comme de la main d’oeuvre. Les plus chanceux·ses suivent un enseignement payant dans l’école d’un·e maître·sse. Les plus riches sont instruits chez eux par un précepteur.
Ainsi, l’enseignement obligatoire des lois Ferry, bien que gratuit, a mécontenté de nombreux parents. En effet, ceux-ci comptaient sur l’aide de leurs enfants pour faucher le blé, garder le troupeau de brebis ou gagner quelques pièces à l’usine ou à la mine. Envoyer ses enfants à l’école, c’était perdre leur force de travail.
Etat des lieux actuel
Aujourd’hui, la donne est complètement différente. Personne ne discute le bien fondé d’instruire les enfants dès l’âge de trois ans, filles comme garçons et quelle que soit leur origine sociale. L’école reste avant tout le symbole du savoir, la promesse d’acquérir des connaissances et l’espoir de s’accomplir en tant qu’individu et citoyen. Certes, tout n’est pas rose au pays de l’Education Nationale, et certains combats sont difficiles à mener. Ainsi, l’institution peine à réduire le taux l’illettrisme des 18-65 ans, qui est actuellement de 7% (2011). De même, elle doit œuvrer pour davantage d’inclusivité. Mais aussi lutter contre le harcèlement, le décrochage scolaire, le sexisme, l’homophobie… De fait, l’école porte et défend les valeurs de la République et a pour mission sous-jacente d’améliorer la société de demain. Mais elle n’est pas seule responsable de cette entreprise !
D’un côté, l’école doit reconnaître la valeur éducative des parents et de l’autre, les parents doivent assumer pleinement leur rôle.
Si tout simplement nous reconnaissions que nous avons besoin les uns des autres ? Qu’un enfant n’est pas qu’un élève et qu’un jeune ne se réduit pas à des compétences scolaires. On ferait déjà un grand pas ! Ayant la double casquette de parent et d’enseignante, j’en arrive parfois à être en contradiction avec moi-même. Ce qui me permet d’expérimenter deux points de vue !
Parents versus profs : la guerre des points de vue
Pourtant, les uns comme les autres ont souvent l’impression de ne pas être sur la même longueur d’ondes.
Aujourd’hui, la propagande républicaine de Jules Ferry a disparu, mais l’objectif de l’Education Nationale est toujours de dispenser un enseignement de base et une culture commune. D’ailleurs, l’ambition de fédérer la nation autour de valeurs partagées est sensée garantir le maintien de la démocratie. La plupart des enseignants a pleinement conscience de cette mission et peut avoir tendance à écarter les particularismes au profit de l’oeuvre collective.
Si les parents adhèrent parfaitement à l’objectif de bien commun, ils doivent aussi gérer l’aspect individuel de chacun de leurs enfants. Ainsi, ils ont souvent l’impression de devoir batailler pour faire accepter la singularité de leurs gamins. Avec parfois à l’esprit une image très violente de machine à broyer les individus en guise de représentation mentale de l’Education Nationale.
De fait, dans la relation parents/profs s’opposent deux points de vue différents : le collectif et l’individuel. Toute la subtilité d’une bonne communication passe par un juste dosage de ces deux aspects !
Malheureusement, je crois que, d’entrée de jeu, nous partons sur de mauvaises bases, guidées par la défiance des un·e·s envers les autres.
Les clichés qui pourrissent la communication parents/prof
Des enseignants qui n’écoutent pas les besoins des élèves ?
Pour certains parents, tout se passe comme si l’enseignant imposait un rythme et des activités en décalage avec la singularité de son enfant. Il y a trop d’écrit, pas assez de sport, pas de temps pour souffler, diront les parents. Mais surtout, pas assez de temps pour prendre en compte la fatigue, la maladie, un handicap, un moral au plus bas, des troubles du sommeil…
Parfois, l’enseignant a l’impression que les parents voient en lui un être pervers. Un Robocop qui s’acharne à faire travailler les élèves, quel que soit leur état de fatigue ou de santé. En bref, une personne dénuée d’émotions, dépourvue d’empathie et au passage terriblement narcissique. Car c’est bien connu le prof sait tout et regarde de haut tous les ignares, en gros tous ceux qui ne sont pas profs comme elle ou lui ! Les années passant, certains enseignants deviennent même de véritables ennemis dont on se méfie et dont on décline de plus en plus les rendez-vous.
Alors quoi, on continue comme ça ?
L’Education Nationale fait de la communication avec les familles une de ses priorités…en REP
Ces dernières années, l’institution Education Nationale a pris conscience du malaise et cherche quelques moyens d’y remédier. Par exemple, en REP, la communication à destination des familles fait désormais partie des six priorités du référentiel. Certains coordinateurs organisent des rencontres ludiques pour faire découvrir le collège aux CM2 et leurs familles : buffet dinatoire, jeux de société… Entente et bonne humeur pour renouer des liens de confiance. Et même si ça ne résout pas tous les problèmes de notre société, le quotidien des écoles s’apaise et gagne en humanité. Dommage que cette initiative ne concerne que les Réseaux d’Education Prioritaire.
Par ailleurs, une collègue, coordinatrice REP, m’expliquait que son « travail serait tout à fait inutile sans la collaboration et la participation des associations de quartiers. » De même, elle relève combien la politique de la ville conditionne le succès des projets de son secteur. En finançant les associations, en mettant à disposition des locaux et des budgets pour des activités et des aides à destination des familles. Ainsi, les jeunes sont mieux soutenus dans leur vie de tous les jours.
Parallèlement, les rendez-vous avec les parents sont souvent l’occasion de découvrir un trait méconnu de la personnalité de l’enfant. Mais les rencontres individuelles sont aussi l’occasion de mettre des mots sur des ressentis, des malentendus. Ainsi, parents et enseignants peuvent réfléchir ensemble aux buts et moyens adaptés à leurs enfants/élèves. Par ailleurs, cette communication inclut souvent les élèves eux-mêmes. La plupart des professeurs réclament leur présence. En effet, ils considèrent que ce rendez-vous a lieu pour parler d’eux et définir des axes d’amélioration qu’ils s’engagent à tenir.
Des parents mal informés des réalités de la classe
A contrario, les enseignants estiment que les parents sont souvent mal informés sur le fonctionnement et l’organisation des cours. En fait, dès l’entrée en Petite Section, des réunions présentent aux parents le déroulement de l’année scolaire. Elles fournissent toute l’information institutionnelle (horaires, programmes etc.). De plus, elles permettent aux enseignants de présenter leurs projets et expliciter leur démarche pédagogique.
Malgré tout, ces réunions sont souvent jugées barbantes et répétitives. Et ce, pour les deux parties. Imaginez un prof qui a vingt ans de carrière ou une famille qui compte plusieurs enfants… Comme une légère impression de déjà-vu ! En fait, le caractère obligatoire de cette réunion explique la tension dans laquelle elle se déroule parfois. Comme toute première rencontre, elle a sa part d’angoisse et de peur de l’imprévu. Je pense qu’il faut s’interdire d’en tirer des conclusions trop hâtives… Et se donner d’autres occasions, d’autres rendez-vous pour discuter sereinement de l’élève/l’enfant dans sa classe.
Le numérique comme facilitateur de communication
De même, l’image de l’enseignant enfermé dans sa tour d’ivoire a fait long feu. Grâce au numérique, la classe sort de ses murs pour proposer aux parents une communication soutenue. Ainsi, de nombreux enseignants mettent en ligne les devoirs, les leçons, les sorties sur un blog, un fil twitter ou sur une application dédiée.
En fait, la situation actuelle de la communication parents/profs est ambivalente. D’un côté des crispations de plus en plus violentes qui éloignent les familles des écoles. Et qui peuvent déboucher sur des situations dramatiques, comme récemment ce suicide d’un instituteur dans le Val d’Oise. De l’autre, une amélioration de la circulation de l’information à destination des familles et une plus grande convivialité.
Preuve du besoin grandissant des enseignants à palier ce manque de communication avec les familles, l’utilisation de l’application Klassroom a explosé ces derniers mois. Un outil simple qui permet de transmettre des informations rapidement, de publier des photos et des contenus relatifs à la vie de la classe. Les profs en raffolent. Et les parents adhèrent ! D’après les témoignages recueillis sur le fil twitter de l’application, ces derniers s’inscrivent massivement au compte de la classe. Par sa neutralité, ce lieu d’échange numérique parvient à rapprocher familles et enseignants. Et quand on se rencontre pour de vrai, c’est avec un bagage d’aventures communes partagées au fil des jours. De quoi fonder une vraie communauté éducative !
Personnellement, je trouve cela très positif et évocateur par ailleurs de la nécessité d’impliquer les parents dans les apprentissages. C’est peut-être moins vrai pour les grands ados dont l’espace privé s’accroît d’année en année. Mais la relation de confiance avec l’institution scolaire démarre dès l’entrée en maternelle !
Des éducateurs de bonne volonté
En définitive, nous devons tous nous considérer comme des éducateurs avant tout. Nous, parents et profs, avons un seul et même objectif : accompagner les jeunes dans leur parcours. Les aider à apprendre, à comprendre, à accepter les autres et eux-mêmes dans une société qui a besoin d’eux pour exister aujourd’hui et demain.
Miser sur la bonne volonté de tous, c’est se donner un point de vue large, libéré des préjugés. C’est aussi accepter les difficultés, sans les dramatiser, mais en cherchant des solutions collectivement, pour le bien de tous. Il y va tout à la fois du bien être du jeune, mais aussi de sa famille, de son prof et de ses camarades de classe.