Après trois semaines de continuité pédagogique en confinement, le ministre de l’Education nationale a tranché pour l’option contrôle continu pour tous les candidats aux bac et brevet. Quelles seront les modalités exactes de mise en oeuvre et qu’en pensent les enseignants et les élèves concernés ? J’ai interrogé des professeurs de collège et de lycée pour être au plus près de leurs préoccupations. Je leur ai demandé aussi quelles étaient les réactions de leurs élèves.
Le point sur les modalités des bac et brevet 2020
Le contrôle continu pour tous
La mesure principale à retenir est bien sûr le contrôle continu pour tous, brevet, bac et BTS. Toutefois quelques variantes subsistent entre ces trois diplômes.
Tout d’abord, les candidats aux baccalauréats professionnels font face à un problème de taille : les PFMP (périodes de formation en milieu professionnel). Sur ce sujet, le ministre n’a pas encore indiqué ses intentions pour le moment. On comprend que cela soit difficile de trouver une solution pour valider des stages non accomplis… Souvent seuls les PFMP 1 ont eu lieu vers le mois de novembre/décembre, avec une variabilité des calendriers d’un établissement à un autre. Restent donc encore les PFMP 2 et 3 qui n’ont pu avoir lieu.
Ensuite, pour les candidats du brevet et du bac, les modalités sont les mêmes, car les notes prises en compte sont celles des trois trimestres.
Le cas particulier des élèves de 1ère
En revanche, les élèves de 1ère qui inaugurent la réforme du bac cette année font face à davantage d’incertitude. S’ils bénéficient du contrôle continu en français en lieu et place des épreuves écrites, deux questions demeurent.
D’une part, les épreuves orales de français sont maintenues et devraient se dérouler fin juin/début juillet. Mais rien ne garantit qu’elles se dérouleront comme prévu, si la reprise des cours est reportée en septembre, comme c’est le cas en Italie. De plus, de nombreux enseignants s’opposent à la tenue de ces épreuves (source Vousnousils). Une pétition soutenue par le collectif Lettres vives et l’AFEF a déjà rassemblé 3000 signatures. Les motifs invoqués sont multiples :
- la difficulté des épreuves, même si le nombre d’oeuvres présentées a baissé (15 en voie générale et 12 en technologique),
- l’inégalité entre élèves,
- la sécurité des élèves (500 000 concernés) et des enseignants, le SNALC indiquant qu’il « refusera d’envoyer personnels de l’éducation nationale et élèves au casse-pipe ».
D’autre part, les élèves de 1ère devaient passer cette année deux épreuves dites E3C (épreuve commune de contrôle continu). L’épreuve E3C2 étant ajournée, la moyenne sera calculée l’année prochaine en Terminale avec les notes obtenues aux épreuves E3C1 et E3C3. Eloïse, professeure d’histoire-géographie dans le 93, pointe cependant des difficultés dans certains établissements où les grèves des mois précédents ont empêché la tenue des épreuves E3C1. Ces cas de figures n’ont pas été évoqués pour le moment. Il pourrait être envisagé de les faire passer avec les Premières l’année prochaine.
Finalement, le choix du contrôle continu n’a surpris personne dans ce contexte si particulier. Les enseignants s’attendaient à cette annonce qui apporte une réponse concrète et pragmatique alors qu’il est impossible d’anticiper un retour dans les écoles. Pourtant M. Blanquer insiste sur la possibilité d’une reprise jusqu’au 4 juillet. Soulevant ainsi plusieurs problématiques.
L’assiduité comme condition d’obtention du bac et du brevet ?
Cette injonction d’assiduité est-elle applicable ?
À en croire l’allocution du ministre J.M. Blanquer, les bac et brevet ne seront délivrés que “sous condition d’assiduité jusqu’au 4 juillet”. Comment interpréter cette directive ? Selon Mehdi, professeur de français en région parisienne, le ministre n’avait pas le choix. Dans le cadre de la continuité pédagogique prônée depuis le début du confinement, il était logique d’imposer l’assiduité à la reprise des cours. Même si rien n’indique que cette reprise aura bien lieu.
Cependant, suite à l’annonce du contrôle continu, beaucoup d’élèves ont déserté les ENT. Ainsi, Éloïse a relevé une nette différence dans la participation de ses élèves sur la plateforme numérique. Les premières semaines ses 26 élèves de Terminale ES lui envoyaient les travaux demandés. Mais vendredi 3 avril, elle n’avait reçu que la moitié des devoirs. De plus, la qualité des travaux récoltés avait baissé. Preuve de la démobilisation suite à l’annonce du ministre.
Ainsi, Éloïse et Mehdi s’accordent tous deux pour dire que l’assiduité des Terminales sera extrêmement difficile à obtenir. En effet, ils ont tout de suite constaté que l’allocution de M. Blanquer a enchanté les élèves. Beaucoup y voient les vacances d’été anticipées… Cependant Mehdi a perçu une pointe d’angoisse dans la réaction de certains élèves de 3ème. Alors que très peu ont pu s’exercer aux épreuves de brevet blanc, ils ont l’impression de manquer une étape de leur scolarité en évitant ce rituel de passage vers le lycée. Leurs parents s’inquiètent aussi, non pas de la simplification de l’obtention du diplôme du brevet, mais de l’occasion manquée de se confronter à des épreuves communes.
Comment l’assiduité peut-elle impacter l’obtention du bac et du brevet ?
Concrètement, un manque d’assiduité pourrait-il nuire à un-e élève ? D’après Éloïse, si la moyenne des notes atteint le niveau requis d’obtention du diplôme, l’assiduité n’aura pas d’impact. En revanche, elle comptera pour accéder au rattrapage et aux mentions. Comme chaque année, les commissions d’harmonisation statueront sur ces cas. Il faut savoir que cette commission ne suit pas de directive nationale.
En effet, elle varie d’un jury à l’autre et répond aux consignes de l’inspection, établissement par établissement. Ainsi, les barêmes de points fluctuent : ici des marges à 10 points, là-bas à 30. Cependant cette année, l’hypothèse d’une bienveillance accrue s’impose. Si l’on ajoute au contexte du coronavirus la réforme du bac, les commissions d’harmonisation vont sans doute donner un maximum de chances aux candidats. Selon Éloïse, “l’assiduité comptera à la marge pour les rattrapages”. La situation est inédite pour les enseignants qui auront à statuer sur des livrets scolaires et non sur des notes d’épreuves anonymes. Les jurys pourront consulter les observations des professeurs et analyser les profils des candidats.
D’ailleurs la professeure d’histoire-géographie rappelle que les enseignants disposent d’un accès permanent aux livrets scolaires. Ce qui signifie qu’ils pourront les annoter jusqu’à la fin de l’année scolaire. Ainsi, on peut imaginer la possibilité de mentionner les cas particuliers. Tel qu’un-e élève dont la famille a été touchée par le Covid-19…
Quel public visé pour la session de septembre ?
Traditionnellement, la session de septembre est réservée aux candidats n’ayant pas pu se présenter en juin, sur motif jugé recevable par l’administration. Cette année, la session de remplacement accueillera également les candidats libres (ils n’ont pas de livrets scolaires !).
De plus, « les élèves non reçus en juillet et autorisés par le jury au vu de leur assiduité, pourront passer la session dite de remplacement de septembre ». Typiquement, d’après Éloïse, certains élèves « bachoteurs » bénéficieront de cette session. Chaque année, dans ses classes de Terminale, elle compte des élèves absentéistes qui révisent au dernier moment. Ils viennent peu en cours et ne sollicitent pas l’aide des enseignants, se référant plutôt aux annales du bac. D’après Mehdi, les garçons sont davantage concernés que les filles. Selon lui, d’une manière générale, l’assiduité est plus féminine que masculine. Constat déjà relevé par Guillaume que j’interrogeais à propos de Parcoursup en juin dernier. Ce qui m’avait d’ailleurs conduit à explorer la question de la mixité dans l’orientation scolaire.
Pour tous ces candidats, les épreuves écrites porteront sur l’ensemble du programme.
Par ailleurs, un autre paramètre va peser dans la balance pour maximiser les chances de réussite des candidats. Éloïse rappelle que la réforme du bac complique d’autant plus la donne cette année. En effet, les élèves actuellement en Terminale n’ont pas choisi d’options, ni passé d’E3C. Donc les élèves qui redoubleraient leur Terminale ne disposeraient pas des mêmes notes que leurs camarades aux épreuves du baccalauréat 2021. Un casse-tête pour l’administration et pour les enseignants qui doivent gérer cette transition.
Le challenge de la continuité pédagogique
Lorsque M. Blanquer a annoncé la prise en compte des notes des trois trimestres pour le brevet et le bac, je me suis posée plusieurs questions. Je les ai posées à Mehdi et à Éloïse pour connaître leur point de vue d’enseignants.
Il y aura-il vraiment un troisième trimestre ?
Dans la mesure où les enseignants achevaient seulement de remplir les livrets du second trimestre, quelles notes figureront dans celui du troisième ? Pour Mehdi, l’affaire est entendue : il n’y aura pas de troisième trimestre. Selon lui, le ministre ne peut pas affirmer le contraire, mais tout concourt à penser qu’il en sera ainsi.
En effet, M. Blanquer a rappelé qu’aucune évaluation ne pouvait être réalisée en confinement. Les disparités familiales et personnelles des élèves ne permettent pas de garantir une égalité face aux épreuves. Sans reprise, pas de notes donc pour le 3ème trimestre. Par ailleurs, même si les établissements rouvraient en mai ou en juin, de quel temps disposeraient les professeurs pour enseigner et évaluer dans de bonnes conditions ? Surtout lorsque l’on sait que dans la tête de la plupart des élèves de 3ème et de Terminale les vacances ont déjà débuté.
La reprise des cours aura-t-elle lieu ?
De plus, certains parents pourraient s’opposer à la reprise de l’école dans le contexte actuel. La pandémie progresse toujours, aucun vaccin n’a vu le jour et aucun traitement miracle n’autorise des soupirs de soulagement. Sur les réseaux sociaux, des parents ont déjà déclaré vouloir prémunir leurs enfants du service civique… Alors que le contrôle continu répond à l’impératif d’obtention du diplôme, comment justifier un présentiel ?
Sans doute au nom de la continuité pédagogique… Cette formule tendance depuis la fermeture des établissements masque pourtant la réalité de l’école à la maison. Une enquête de l’EHESS se penche actuellement sur les conditions de travail des élèves, leur ressenti et leur propre analyse de la situation. Cette étude devrait par exemple permettre d’évaluer les capacités de travail à domicile. Une journée de collège ou de lycée n’est pas transposable à la maison. Difficile d’étudier plus de deux heures pour un-e collégien-ne ou trois heures pour un-e lycéen-ne. On est loin du compte en présentiel et ce pour des raisons bien compréhensibles :
- la disponibilité du matériel informatique,
- la maîtrise des outils informatiques,
- la compréhension des consignes,
- la capacité de concentration dans un environnement bruyant ou stressant,
- les tentations de distractions…
La plupart de ces facteurs valent aussi pour les adultes en télétravail. Lors de mon précédent article, j’évoquais les différents cas de figures familiaux. Je pointais ainsi les inégalités sociales et personnelles qui influencent les apprentissages des élèves et qui se trouvent exacerbées en confinement.
À noter que selon Le café pédagogique, le CHSCT (comité d’hygiène de sécurité et des conditions de travail) a demandé au ministère le dépistage des élèves et des personnels avant la reprise des cours. Cependant, il faudra attendre un délai de deux mois pour obtenir une réponse.
Quels contenus pédagogiques proposer aux candidats au bac et au brevet ?
Cette disparité des profils rend le travail des enseignants encore plus ardu à distance. Comment différencier, étayer, expliciter sans contact humain réel ? Éloïse m’indique recevoir des centaines de messages concernant la compréhension des consignes. Répondre à chacun prend beaucoup de temps, alors qu’en classe il suffit qu’un-e élève pose la question pour que les autres profitent de la réponse. De plus, l’entraide, la coopération fonctionne beaucoup mieux en direct que par messages ou vidéos interposés. Voici donc de beaux objectifs de compétences pour la rentrée prochaine !
D’après Mehdi et Éloïse le travail à distance n’a fait que révéler davantage l’absence d’autonomie et de méthodologie des élèves. C’est pourquoi les équipes réfléchissent actuellement à accompagner leurs élèves de Terminale vers leur première année post bac. Ainsi, ils ont prévu d’aborder les méthodologies utiles dans l’enseignement supérieur. D’autant plus qu’ils savent que cette première année se solde majoritairement par un échec (4 étudiants sur 10 passent en L2 d’après le Monde). Pour les y aider, la librairie des cahiers pédagogiques a remis en avant une publication de l’an passé : Evaluer sans notes au collège . Par ailleurs, de nombreux enseignants mutualisent leurs idées sur les réseaux sociaux pour trouver des solutions adéquates pour les collégiens et les lycéens.
Gageons que les mois à venir seront l’occasion pour les jeunes de s’ouvrir à de nouvelles connaissances. Les ressources et les volontés sont là pour proposer des alternatives pédagogiques attractives et utiles. Et faire de ce temps de confinement un temps d’apprentissage : sur soi, le monde et ses richesses multiples.