Depuis une bonne dizaine d’années, le secteur de la presse n’en finit plus d’agoniser. Certains prédisent sa mort définitive, d’autres parient sur de nouvelles approches portées par l’ère du numérique. Une certitude cependant se confirme : la crise de la presse entraîne un changement d’attitude vis-à-vis des médias détenteurs de l’actualité. En 2020, la presse nationale affichait une baisse record avec, par exemple, une perte de 40% de son lectorat papier pour Libération. Seuls quelques titres comme l’Humanité ou La Croix parviennent à maintenir leur lectorat grâce aux abonnements. 2021 ne s’annonce guère plus radieuse.
Bien sûr, la tendance générale consiste en un transfert du papier vers le numérique. Mais le report de lectorat enregistre un solde négatif. D’une manière générale, les médias traditionnels rencontrent de très grandes difficultés et doivent faire face à la concurrence de nouveaux médias. L’explosion du numérique a ouvert la possibilité aux non-journalistes d’entrer dans la grand-messe de l’actualité. Plus particulièrement, les jeunes se détournent de l’information traditionnelle, écrite ou télévisuelle. Ils ont recours aux médias sociaux pour s’informer.
Cette semaine pour Weeprep, j’ai interrogé Anthony, 24 ans, professeur agrégé de Sciences de la Vie et de la Terre. Passionné par l’actualité et la science, il a créé et administre le compte Instagram @media.actus qui compte presque 13 000 abonnés (voir notre article sur les studygram). Il évoque pour nous les nouvelles habitudes des jeunes pour s’informer et les enjeux des nouveaux médias dans un contexte de crise de l’information.
Comment t’es venue l’idée de créer ce compte Insta sur l’actualité ? Combien de temps y consacres-tu ? Quelle est la plus-value éducative pour toi, tes élèves, tes abonnés ?
Ce compte Instagram est né de mon envie de transmettre au plus grand nombre des informations relatives à la Science. Au départ, je réalisais cela sur Snapchat et j’ai ensuite voulu toucher une plus grande communauté, qui n’appartient pas à mon cercle familial ou amical. Et c’est pour cela que j’ai commencé une chaîne YouTube (#SVTime) puis ma page Instagram.
Je consacre un temps très conséquent à cette page Instagram, environ 10-13H par jour, en plus de mon emploi du temps de professeur au lycée. Ce temps excessif, parfois pesant, s’explique par le fait que je dois chercher les infos que je partage, les vérifier et surtout, monter mes stories animées, ce qui demande un gros travail.
Pour moi, la plus-value que je tire de ce compte est déjà, le fait que je reste informé de l’actualité forte qui se passe dans le monde, et pas uniquement dans le domaine de la science. Ce compte me permet aussi d’échanger avec les personnes qui suivent mon Instagram, des avis et points de vue sur l’actu et je trouve cela très enrichissant.
Pour mes élèves et mes abonnés, ce compte leur permet de rester informés, de manière claire, fiable et en continu, de l’actualité majeure, en regardant tout simplement une story Instagram. Les infographies et les montages des stories permettent une compréhension plus aisée des infos, qu’un simple tweet ou une notification d’une application d’information en continu.
Mes élèves peuvent également « découvrir » leur professeur sous un autre angle, extra-scolaire, ce qui facilite pour certain(e)s le contact.
Quel est le rapport des jeunes face à l’actualité ? Est-ce qu’ils sont demandeurs d’informations, si oui lesquelles et sous quel format ?
Mes jeunes sont très demandeurs d’informations. Ils vivent dans une époque où tout va très vite et où tout le monde parle de tout. Ainsi, ils essayent de suivre tout cela mais parfois c’est difficile.
Toutefois, toutes les informations, et c’est bien normal, ne les passionnent pas (politique, économie, santé…) et il est donc nécessaire d’arriver à les intéresser à ces domaines majeurs.
Mes jeunes suivent l’actualité, d’abord sur leur téléphone, notamment via Snapchat et Instagram, donc des formats courts, et lors des grands événements, avec leurs parents à la télévision
À ton avis, pourquoi les jeunes se détournent-ils des médias traditionnels pour suivre l’actualité ?
Les jeunes consomment beaucoup moins la télé que nous à leur âge, c’est un fait. Cette différence s’explique par le fait, que nous, les 20-30 ans, n’avons grandi qu’avec la télévision, alors qu’eux, ont, dès le plus jeune âge, grandi au fil de l’évolution des smartphones, tablettes, et des applis qu’ils contiennent. Ainsi, le rendez-vous du 20H pour suivre l’actualité via les médias nationaux traditionnels, n’a que rarement été ancré dans l’enfance de nos jeunes.
On parle d’éducation aux médias pour sensibiliser face aux fausses informations. Comment ton compte @media.actus contribue à cette sensibilisation ?
Dans plusieurs de mes rubriques en story ou en feed et notamment mes longs formats (information expliquée sur plusieurs posts), je démonte plusieurs fake news en expliquant pourquoi ces dernières sont fausses (en le prouvant par A+B). Les dernières en date sont évidemment consacrées à la COVID. Mon parcours professionnel universitaire me permet d’avoir un regard avisé sur ce problème des informations infondées. Ainsi, c’est assez naturel pour moi de vouloir à chaque fois démontrer pourquoi telle ou telle information est fausse. C’est effectivement une habitude scientifique que de vouloir « prouver » une notion. Du coup, dès que je vois une fake news prendre de l’ampleur sur internet, j’ai toujours le réflexe de vouloir la « démonter » dans une actualité.
Comment choisis-tu les sujets et les angles des actualités que tu publies sur ton compte Instagram ?
J’utilise plusieurs sources, LCI, AFP, BFMTV, les journaux régionaux etc., pour trouver ma base d’informations. Ensuite, je regarde les tendances d’actualité sur Twitter (Top tweet) pour savoir quels sont les sujets les plus commentés, et j’en sélectionne parmi eux.
Toutefois, ayant un regard scientifique, lorsque je vois de gros sujets d’actualité scientifique passer et qui ne sont pas forcément relayés sur internet je m’oblige à les traiter. Pour ouvrir le regard du plus grand nombre sur la science, qui est plus que jamais au cœur de notre société.
Enfin, ayant une communauté en majorité lycéenne et étudiante, je me focalise souvent sur les actus qui les concernent : bac, réformes …
Mets-tu en avant ta spécialité SVT ? Si oui, comment et avec quelle(s) actualité (s) ?
Ma spécialité SVT est très présente sur ma page et sous divers formats : des longs formats en feed ou story « à la une » pour expliquer des notions scientifiques de santé, de biologie, de géologie etc. Dernièrement, j’ai par exemple fait un format sur « qu’est ce qu’un suçon ? Est ce que c’est dangereux ?… ». Je parle beaucoup également de la crise de la COVID, sous un point de vue scientifique : qu’est-ce qu’un virus ? Comment fonctionne un vaccin ? Qu’est-ce qu’un « virus mutant » ?
Enfin, étant passionné de nature, l’été, je réalise des capsules « SVTime » dans lesquelles je présente la faune et la flore de France. Ainsi, dans de courtes vidéos, je fais découvrir les scorpions de France, comment « chantent » les cigales, etc.
Le contenu est donc très diversifié. Il y en a pour tous les goûts.
Quelles sont les infos les plus partagées ? Celles qui pourraient refléter les préoccupations des jeunes actuellement ?
Aucune surprise : les actualités dédiées à la crise sanitaire (date d’allocutions présidentielles, annonces de mesures sanitaires…) sont les informations les plus commentées et partagées.
Que penses-tu de la réforme du bac et des modalités de la session 2021 ?
Je pense que la réforme du Bac est une bonne chose. Le diplôme, dans la forme dans laquelle je l’ai connu, n’était plus du tout celui que nos parents connaissaient, il s’essoufflait. Il avait besoin d’un « lifting ». Je trouve le format actuel plus cohérent : les élèves sont évalués sur du long terme, avec des examens officiels qui débutent dès le deuxième trimestre de première, avec les « EC ». Ce nouveau bac laisse également plus de place au contrôle continu, ce qui permet de refléter le niveau réel de l’élève. Ce que l’ancien bac ne permettait pas.
La session 2021 est difficile à organiser… Les élèves vivent depuis septembre dans la crise sanitaire, à l’inverse de ceux de la session 2020. Et de l’autre côté, le gouvernement doit montrer qu’en un an, les choses ont changé. Il n’est donc pas concevable d’annuler toutes les épreuves comme en 2020. Ce serait un échec pour le gouvernement. Et je pense aussi pour les élèves, car leur diplôme risquerait d’être dévalué. Ainsi, la session 2021 n’est peut-être pas dans le meilleur des formats, mais je ne sais pas s’il aurait été possible de faire mieux.
Toutefois, je pense que pour les élèves scolarisés via le CNED, ou les candidats libres, il y a un gros problème et un loupé du côté du gouvernement. Ils ont été et sont encore, trop souvent dans le flou.
Questions destinée au prof de SVT :
As-tu remarqué un engouement spécifique pour les sciences dû au contexte du COVID ?
À ma grande surprise… Pas vraiment ! Et pourtant j’aurais pensé l’inverse. Aussi grave soit-elle, cette crise sanitaire a toutefois permis de remettre la science au cœur de notre société, et notamment les SVT. Des sujets comme la transmission des pathogènes, le fonctionnement d’un vaccin, les mécanismes de l’immunité ou encore le rôle de l’ARN, sont autant de sujets brûlants de l’actualité qui sont dans les programmes des SVT.
Est-ce que tes élèves suivent l’actualité sur ton compte Instagram ?
Une partie de mes élèves est effectivement abonnée à mon compte. En début d’année je leur en parle, pour 3 raisons :
- je préfère qu’ils tombent sur mon compte parce que c’est moi qui leur ai dit ;
- cela me permet d’interagir plus facilement avec eux. Lorsqu’ils ont une question, ils m’écrivent via Instagram, ce qui me permet de voir directement la notification, et ainsi de leur répondre ;
- via la messagerie de l’ENT, c’est beaucoup plus long : je ne suis pas tout le temps dessus, le délai de réponse est donc plus grand.
Comment es-tu perçu par tes collègues, ta hiérarchie, en tant qu’instagrameur ?
Peu de mes collègues et autres personnels du lycée connaissent mon compte Instagram. Ceux qui me suivent en sont satisfaits, et cela me ravit.
Quels sont tes projets d’avenir ?
Mon plus gros projet d’avenir : devenir à terme journaliste. Je me laisse 2-3 ans pour réfléchir à cette reconversion qui me tient à cœur. Chaque jour, je respire « actu » je mange « actu » et je dors « actu », ce qui me pousse à concrétiser ce rêve.
Toutefois, le plaisir, et je dirais même la chance que j’ai d’être entouré chaque jour au travail de jeunes, me pousse à rester professeur, car j’aime cela.
Parler avec un jeune de science ou de tout autre sujet, pour avoir son point de vue, est toujours passionnant.
Questions d’actualité : quel est ton point de vue sur ces deux sujets très importants pour les jeunes :
La gestion du COVID ?
Je lis, sur les messages que je reçois, beaucoup de critiques sur la gestion par notre gouvernement de la crise COVID. Pour ma part, je me dis que si c’était moi à leur place, je n’aurais sans doute pas fait mieux. Je pense que peu de gens auraient fait mieux, et la preuve, peu de pays démocratiques, comme la France, ont réussi à mieux gérer cette crise. Cependant, le gouvernement s’est emmêlé les pinceaux au sujet des masques, et ça c’était une grosse erreur. Ils auraient dû, en mars 2020, être francs et dire « le masque c’est important, mais on en a pas encore », plutôt que de dire « ne vous inquiétez pas, on a pas encore de masques, mais c’est pas grave, car c’est pas utile. Par contre, si vous avez un masque, allez le donner aux soignants car c’est quand même utile pour eux ! ».
La loi de sécurité globale ?
Cette loi part d’une bonne idée : donner plus de pouvoir à nos forces de l’ordre, qui en ont besoin, et punir plus sévèrement ceux qui enfreignent nos lois. Toutefois, il y a eu des couacs, notamment sur l’article 24, mentionnant l’interdiction de filmer un policier en intervention puis publier les images dans X but. Tant du côté du ministre Darmanin qui s’est sans doute mal exprimé, que de la population qui a parfois pu mal saisir les phrases écrites par de hauts fonctionnaires.
Un grand merci à Anthony pour son témoignage. L’éducation aux médias reste un sujet majeur pour la bonne santé de notre démocratie. L’école joue un rôle important dans l’analyse des informations disponibles sur Internet, sites et réseaux sociaux compris. Les jeunes ont conscience que les informations sont des matériaux sensibles qui peuvent être détournés à des fins de manipulation. C’est pourquoi ils recherchent des plateformes stables, vérifiables, sérieuses et gratuites pour accéder à l’actualité de façon synthétique et accessible, comme sur @media.actus. La démarche et l’engagement d’Anthony s’inscrivent pleinement dans ce besoin. Nous avons hâte de le suivre dans ses futurs projets et lui souhaitons de belles réussites en tant que journaliste !